Par Andrée GAUTIER, Yves LEQUIN
Née le 24 décembre 1877 à Saint-Laurent-du-Pont (Isère), morte le 3 juin 1956 à Virieu-sur-Bourbre (Isère) ; syndicaliste CFTC du tissage, présidente des syndicats libres féminins de l’Isère.
Troisième enfant d’Antoine, Dominique Cottin, cultivateur et de Louise Devoraz-Cabanon, ménagère, Eugénie Cottin résida avec sa famille à Saint-Laurent-du-Pont (Isère) au moins jusqu’en 1896.
Elle vécut ensuite avec sa mère à Voiron (Isère), dans le quartier ouvrier de Paviot. En 1906, alors qu’elle était tisseuse dans l’usine-pensionnat Permezel, une grande grève, menée par la CGT, éclata. Pendant plusieurs semaines, la commune vécut au rythme des cortèges, des cantines populaires, des réunions. Les troupes intervinrent, faisant de Voiron une ville occupée.
A cette période, Cécile Poncet, issue de la bourgeoisie grenobloise, appartenant au courant du catholicisme social dans la lignée de l’encyclique Rerum novarum de 1891, lança un appel pour fonder les syndicats libres féminins de l’Isère. Comme il n’était pas question de faire connaître publiquement cette démarche, on peut supposer que les premières ouvrières furent mises en contact par l’intermédiaire d’un prêtre. Eugénie Cottin avait 29 ans, et déjà une longue expérience de tisseuse. Ce qu’elle avait pu voir dans les fabriques l’incita à répondre à cet appel et à adhérer au syndicat libre qui insistait sur la négociation avec les patrons et écartait la lutte des classes.
L’organisation eut un certain succès et la multiplication de syndicats d’inspiration analogue aboutit en 1911 au regroupement dans une fédération départementale ; jusqu’à la guerre de 1914, elle s’orienta surtout vers la création d’œuvres sociales, écoles professionnelles, sociétés de secours mutuels, caisse de chômage. Les milieux catholiques aidaient à son financement, et elle recevait la coopération de femmes de la bourgeoisie à titre de « conseillères ».
Très vite Cécile Poncet remarqua les qualités d’Eugénie Cottin, la forma, en fit une dirigeante ouvrière, mais toujours sous sa présidence. Ainsi Eugénie Cottin occupa successivement plusieurs fonctions, parmi lesquelles : secrétaire, vice-présidente de la Fédération nationale du textile et conseillère prud’homale en 1924. Enfin, en 1932, elle devint présidente des Syndicats libres de l’Isère, poste qu’occupait pour la première fois une ouvrière après le retrait de Cécile Poncet. Pendant toutes ces années, elle fut présente partout où l’on faisait appel à elle, elle négocia, elle écrivit aux administrations et aux industriels.
Une anecdote rapportée par l’historien Jean Bron montre qu’Eugénie Cottin était une révoltée qui n’avait pas froid aux yeux : dans une fabrique où elle avait travaillé très jeune, elle alla voir le patron pour se plaindre de son salaire et des conditions de travail. Il lui répondit en faisant allusion à la période de Carême dans laquelle on se trouvait et pendant laquelle il fallait faire pénitence. Elle fut outrée, et le fit savoir. Elle retrouva plus tard ce patron lors de négociations, il lui parla familièrement et elle remarqua : « il est vrai qu’il m’a connue si petite ».
Un autre exemple du caractère volontaire d’Eugénie Cottin nous est donné par une lettre qu’elle envoya en 1919 à Cécile Poncet, à qui elle réclamait ses appointements pour une période où elle avait été malade. Elle écrivit que comme permanente, elle était « moins payée qu’une ouvrière », et rappela qu’elle avait sacrifié au syndicat sa famille et sa santé. Eugénie Cottin fut aussi une femme imprégnée des valeurs du syndicalisme, « dont le but n’était pas de faire du patronage », alors que les dirigeantes bourgeoises pensaient par cette pratique attirer les ouvrières.
Eugénie Cottin s’impliqua dans le syndicalisme au plan national et international. Ainsi, elle participa, en octobre 1919, au Congrès constitutif de la Confédération CFTC, puis à son IIe congrès en 1921, où elle représentait les syndicats de l’Isère. Elle fit partie de la délégation de la CFTC qui prit part, du 21 au 23 juin 1922 à Innsbruck (Autriche) au congrès de la CISC (Confédération internationale des syndicats chrétiens).
Élue au CSN en 1924 dans le groupe VIII (soie), elle présenta un rapport sur les assurances sociales et un autre consacré à la main-d’œuvre étrangère. Elle se présenta, en janvier 1921et en juin 1933, à l’élection des membres du Conseil supérieur du travail (CST). Lors de ces deux scrutins, elle ne fut pas élue
Dans sa région, en septembre 1933, elle représenta les syndicats féminins de l’Isère à la commission départementale du travail. Le 21 et 22 avril 1934, A. Buisson, secrétaire de l’union départementale CFTC de l’Isère accueillit à Grenoble le congrès de l’Union régionale CFTC du sud-est présidée par Auguste Gruffaz. Eugénie Cottin y participa, aux côtés notamment de Louis Naillod, secrétaire de l’Union départementale CFTC du Rhône. En juillet 1935 elle prit part à la session d’études de l’Ecole normale sociale ouvrière à La Rivette, à Caluire (Rhône) non loin de Lyon. En 1936, après beaucoup de difficultés, l’Union fédérale des syndicats libres de l’Isère et l’Union départementale des syndicats masculins fusionnèrent en une Union des syndicats CFTC. Le 10 septembre 1938 Eugénie Cottin participa au congrès de l’Union des syndicats chrétiens de l’Isère où elle parla des quatre premières syndiquées, et des conditions difficiles dans lesquelles furent créés les syndicats libres, en butte à l’hostilité de la CGT. On la retrouva de 1930 à 1940 aux congrès de l’Union des syndicats libres du tissage, aux fêtes chrétiennes de Grenoble, et à différentes réunions. En 1940, lors du repas organisé par le Conseil de l’Union Départementale de l’Isère, elle prit la parole : « Melle Cottin apporta l’assurance que les anciens sauraient tenir le coup pour remplacer les militants mobilisés, »
Eugénie Cottin, restée célibataire, décéda en 1956 dans la maison de repos de Virieu-sur-Bourbre (Isère) qui appartenait aux Syndicats libres, et où s’étaient tenus de nombreux congrès.
Par Andrée GAUTIER, Yves LEQUIN
SOURCES :
Arch. départementales de l’Isère, dossiers 35 J, état-civil, recensements. — Mairie de Virieu-sur-Bourbre, acte de décès. — P. Barral, Le Département de l’Isère sous la IIIe République, Paris, 1962, p.225. — J. Bron, Histoire ouvrière, la cfdt dans l’Isère, P.U.G., 1984. — A. Gautier, Les ouvrières du textile dans le Bas-Dauphiné sous la IIIe République, thèse pour le doctorat de 3ème cycle en Histoire, sous la direction de M. le professeur Yves Lequin, Lyon, 1983. — M. Ratto, Les Syndicats Libres Féminins dans l’Isère, 1906-1936, sous la direction de M. Vallerant, CNRS, A.T.P. Femmes, 1983. — Circulaire CFTC puis Syndicalisme chrétien, organe de la CFTC, d’octobre 1919 à octobre 1934 (CODHOS, BNF Gallica). — BNF Gallica, La voix sociale, journal de la CFTC du sud-est, septembre 1930, juin 1931, juin 1932, juin, septembre et octobre 1933, mai 1934, janvier, février, avril, juillet-août et septembre 1935, mars, avril, mai et décembre 1936, 20 mars, 29 mai, 18 octobre 1937, 8 janvier, 25 mai et 10 septembre 1938, 27 avril et 25 décembre 1939, février 1940. — Notes de Louis Botella et André Vessot.