ESTIENNE Jacques, Pierre, Jean

Par Alain Dalançon

Né le 6 mai 1932 à Amiens (Somme), mort dans la nuit du 2 au 3 juillet 2022 ; professeur ; syndicaliste, militant associatif et laïque ; membre de la CA et du BN du SNES « Unité Indépendance et Démocratie » (1971-1975), tête de liste du courant UID-Rénovation (1975-1992), secrétaire adjoint du S3 d’Amiens (1967-1973), secrétaire de la section départementale de la Somme de la FEN (1971-1992), membre de la CA, du bureau puis de l’exécutif de la FEN (1976-1992) ; militant socialiste.

Jacques Estienne au congrès du SNES en 1973
Jacques Estienne au congrès du SNES en 1973
[IRHSES]

Fils de Joseph Estienne, archiviste, directeur des archives départementales de la Somme, et de Renée Devillers, sans profession, Jacques Estienne avait quatre frères et une sœur. Il fut baptisé et fit sa communion solennelle. Il effectua sa scolarité primaire et secondaire au lycée de garçons d’Amiens puis des études supérieures d’histoire à la faculté des lettres de Lille où il obtint la licence d’histoire-géographie et un diplôme d’études supérieures d’histoire. Reçu au certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement public de second degré, après une année de formation au centre pédagogique régional de Nancy, il débuta sa carrière enseignante en 1956 comme professeur certifié d’histoire-géographie au collège supérieur de Mamers (Sarthe). Le 16 août 1956, il épousa Colette Graff, professeure certifiée de mathématiques avec laquelle il eut sept enfants. En 1957, il fut nommé au lycée mixte Thuillier d’Amiens. Déchargé de service à temps complet à titre syndical depuis 1978, il termina sa carrière affecté au collège Sagebien d’Amiens.

Syndiqué au Syndicat national de l’enseignement secondaire depuis 1955-1956 au CPR, Jacques Estienne prit rapidement des responsabilités syndicales locales dans sa section d’établissement (S1), à la section départementale de la Somme (S2).

Quand le nouveau SNES (classique, moderne, technique) fut créé en 1966-1967, il devint secrétaire adjoint de la section académique (S3) dans le cadre d’une gestion unitaire commune avec des militants « Unité et Action », Michel Renault et Robert Cerisier, co-secrétaires généraux. A la même époque, il rejoignit la tendance autonome et figura en 54e position sur sa liste pour les élections à la CA nationale de 1967, conduite par Louis Astre* et fut élu suppléant. En 1969, la liste étant tombée de 42% à 23% et de 29 élus à 16, il resta suppléant, ayant été présenté en 24e position. En juin 1971, Estienne devint titulaire parmi les 14 élus à la CA et membre suppléant du BN (4 sièges) au titre UID. La même année, il fut élu secrétaire de la section départementale de la FEN de la Somme.
Un an plus tard, Estienne adhéra au Parti socialiste mais n’y prit jamais de responsabilités, incompatibles à ses yeux avec ses responsabilités syndicales.

En 1972, Estienne signa pour la première fois une tribune libre dans l’Université syndicaliste avec Astre, défendant la « revalorisation substantielle » obtenue par la FEN qualifiée par André Dellinger* de « réformette ». En juin 1973, la liste UID, toujours conduite par Astre, continua de perdre du terrain dans le SNES et en dépit de l’arrivée de camarades se réclamant du CERES comme Jean-Pierre Exbrayat, passa en troisième position derrière celle de l’École émancipée-Rénovation syndicale. A la suite de ces élections, il resta titulaire à la CA et suppléant au bureau national du SNES (3 sièges).

À l’automne 1973, Estienne fut amené à présenter une liste UID à la CA du S3 d’Amiens en raison de l’aggravation des oppositions à l’intérieur de la FEN entre la majorité fédérale UID et la tendance U et A majoritaire au SNES notamment, et à cause de la pression de militants U et A de l’Oise. Il estima que la décision du SNES d’appeler à la grève Fonction publique du 11 octobre 1973 était en contradiction avec la position de la FEN et ses responsabilités fédérales. Il soutint donc le projet de « Manifeste » soumis par la majorité au congrès fédéral et présenté par elle comme un rappel des règles de cohésion et d’unité de la fédération. Néanmoins la cogestion du S3 d’Amiens se poursuivit jusqu’en 1977.

En 1975, à la suite de débats menés dans la majorité fédérale sur l’avenir de la FEN sous l’impulsion d’André Henry, nouveau secrétaire général et dans UID-SNES, face en particulier à la création d’une liste « Unité et Rénovation » conduite par Exbrayat, Estienne devint tête de liste avec Christian Brard, Astre étant en 3e et Pierre Gros en 4e position. A ces élections, UID et UR obtinrent respectivement 9 et 4 sièges de titulaires à la CA nationale. Il devint un des trois membres titulaires UID du BN, avec Brard et Gros, Astre n’en faisant plus partie. En février 1976, il entra à la CA fédérale comme titulaire au titre du SNES.

En 1977, après discussion avec des militants UR (Christian Lefevre, Daniel Percheron, Claude Galametz), Estienne conduisit une nouvelle liste aux élections à la CA dénommée « Union pour l’Indépendance, la Démocratie, la Rénovation du SNES », défendant une « pratique responsable de la négociation comme de la contestation », prônant une éducation réellement libératrice de la maternelle à la terminale avec un corps unique de maîtres, afin de promouvoir l’émancipation des travailleurs que « seul le socialisme peut libérer de l’aliénation capitaliste ». Avec 14,79% des voix, UIDR progressa légèrement (+ 0,86%) et redevint de justesse la 1re minorité, l’EE-RS étant à 14,51% ; UR ne présentait plus de liste mais ses 4 élus de 1975, dont Exbrayat, « excluant toute connivence avec la majorité UID de la FEN » appelaient à voter pour la liste « Unité et Action » qu’ils considéraient comme la « seule tendance qui a effectivement soutenu le programme commun ».

Après 1977 et jusqu’à l’exclusion du SNES de la FEN en 1992, gros travailleur, militant aux compétences reconnues, Estienne poursuivit avec persévérance le combat d’UIDR entouré d’une équipe formée d’anciens militants UID comme lui, Gros, Jean-Pierre Bonnac, Lucette Morand, Pierre Auxémery, Claudine Ripoche, mais dont Brard, Armand Burlin et Jean-Claude Dupont disparurent et avec de nouveaux camarades comme Bernard Januel, Nicole Gérodolle, Yves Prévost, Marie-Madeleine Hoff, Jean-Francis Grasset ainsi que les dirigeants de la section académique de Strasbourg, le seul S3 à être resté à majorité UIDR, Jacques Ungerer, Edgar Harmelin*, Gérard Houvion.

Durant cette période, dans un contexte d’opposition de plus en plus dure à l’intérieur de la fédération et entre le SNES et le SNI-Pegc, de sorte que la majorité dénonçait l’existence de deux FEN, UIDR se maintint comme première tendance minoritaire dans le SNES à 14-15 %. Défendant la cohésion nécessaire d’une fédération indépendante et unitaire, ses propositions d’aller rapidement vers la création d’un corps unique de maîtres de la maternelle à l’université, recrutés au niveau de la maîtrise furent parfois mal comprises dans la majorité fédérale (en raison de son rejet du projet d’École fondamentale du SNI-Pegc) et critiquées par la direction SNES (le débat tournant autour des priorités, de la nature de la maîtrise et des centres de formations universitaires).

À partir du congrès fédéral d’Avignon en février 1982, où furent adoptées des modifications des statuts, Jacques Estienne fut membre titulaire du conseil fédéral national toujours au titre du SNES, et membre titulaire du bureau fédéral national au titre de la majorité fédérale. La victoire en mai 1981 de François Mitterrand l’avait laissé espérer une amélioration des rapports mais après la rupture de l’union de la gauche en 1984, qu’il imputa au PCF, il constata que persistait la réalité des deux FEN, rendant de plus en plus évidents à ses yeux les risques d’éclatement de la fédération. Il poursuivit pourtant avec UIDR son combat pour le renforcement du syndicalisme unitaire dans une FEN rénovée dont les décisions devraient être respectées par tous ses syndicats.

Jacques Estienne défendit le projet éducatif de la FEN « L’École de l’an 2000 », projet « lucide, responsable et ambitieux », adopté au congrès de La Rochelle de 1988 alors que 7 syndicats (SNES, SNEP, SNESup, SNCS, SNETAP, SNPEN, SNPCEN) avaient demandé à ce qu’il ne soit pas soumis au vote. Il avait en effet travaillé à l’élaboration de ce projet auprès de Jean-Yves Cerfontaine et de Yannick Simbron, secrétaire général de la FEN, mais il désapprouva l’éviction de la direction fédérale de Michel Charpentier, secrétaire général du SNETAA, parce que ce dernier avait porté la majorité des mandats de son syndicat en abstention sur le rapport d’activité fédéral.

Estienne affirmait toujours la nécessité d’un corps unique des maîtres de la maternelle à la terminale avec certification à la maîtrise. Sa demande étant prise en compte par le congrès de la FEN de Clermont-Ferrand de février 1991, et alors que le SNI-Pegc avait obtenu la création du corps des professeurs d’école au niveau certifié, il souhaita en conséquence que se réalise la création d’un syndicat unitaire de tous les enseignants permettant de mettre fin aux divergences catégorielles. Cela nécessitait une profonde réforme des structures de la FEN à laquelle travaillait depuis mars 1990 un groupe de travail de la majorité fédérale auquel il participait. Il appela donc à voter contre la charte proposée par le SNES et 10 autres syndicats nationaux, 30 sections départementales de la FEN et 4 courants de pensée, estimant que son adoption transformerait définitivement la FEN en un cartel de syndicats déchiré par les corporatismes et impuissant. Il soutint au contraire la résolution de la majorité fédérale décidant la réunion d’un congrès extraordinaire, précédé d’une consultation de tous les adhérents, afin d’adapter les structures de la FEN et de renforcer sa cohésion et son efficacité. Après ce congrès, il devint membre de l’exécutif fédéral, en accord avec la stratégie défendue par Simbron de prendre le temps nécessaire à la réalisation de l’objectif adopté par le congrès. Il fut seulement informé de la démission forcée de ce dernier en juin 1991 et son remplacement par Guy Le Néouannic, traduisant le choix (notamment par Jean-Claude Barbarant, Martine Le Gal et Jean-Paul Roux) d’une stratégie d’accélération d’un processus qui conduirait à l’exclusion du SNES et du SNEP de la FEN.

Trouvant que les discussions engagées après le congrès du SNES de Saint-Malo d’avril 1991 avec sa direction (Monique Vuaillat et Pierre Toussenel), proposant d’envisager une gestion en commun du syndicat, n’aboutissaient à aucun résultat concret et que le SNES persistait dans son refus d’appliquer les mandats de la FEN en dénonçant le congrès extraordinaire décidé au congrès de Clermont-Ferrand, Estienne rédigea un courrier « confidentiel » fin mars 1992, destiné au secrétaire général du SNI-Pegc, Barbarant, concernant les mesures à prendre rapidement dès la rentrée suivante pour créer le nouveau syndicat des enseignants et interrogeant « comment mettre SNES, SNEP et SNETAA hors de la FEN ? ». Ce courrier, oublié dans une brasserie où les responsables du SNES déjeunaient régulièrement, fut rendu public par la direction du SNES et par Le Monde, précipitant le processus. Le 6 mai 1992, le conseil fédéral national décida l’exclusion du SNES et du SNEP de la FEN approuvant ainsi le rapport de la commission des conflits fédérale (13 voix contre 12) constatant la désaffiliation du SNES et du SNEP à la FEN. Estienne, en accord avec Le Néouannic, décida alors de s’éloigner des responsabilités nationales et de la direction d’UIDR, qui fut reprise par le secrétaire académique du S3 de Strasbourg, Claude Ritzenthaler. Ce dernier signa donc le 7 mai avec Barbarant, P. Fayard, secrétaire général du SNEEps, l’appel à construire un « syndicat de la FEN commun à tous les enseignants, de l’école au lycée ».

Dès lors Estienne n’apparut plus aux premiers rangs dans les deux congrès fédéraux de Créteil (6 octobre 1992) et de Perpignan (2-4 décembre 1992) qui avalisèrent la décision du CFN de mai 1992, adoptèrent de nouveaux statuts et donnèrent mandat à la FEN de contribuer à la constitution de l’Union nationale des syndicats autonomes, à la suite de l’appel du 10 juillet 1992 de cinq fédérations, dont la FEN elle-même.

En retraite à partir de mars 1993, Jacques Estienne s’engagea alors activement dans le militantisme associatif et familial dans son département et sa région, notamment aux Pupilles de l’Enseignement public dont il assurait encore la présidence départementale en 2009. Il militait également à la Jeunesse au plein air, à l’Union départementale et l’Union régionale des associations familiales, dans le tourisme associatif, et était secrétaire départemental de la Fédération générale des retraités de la Fonction publique. Il était toujours adhérent retraité du Syndicat des Enseignants de l’UNSA-Education et membre du Parti socialiste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24540, notice ESTIENNE Jacques, Pierre, Jean par Alain Dalançon, version mise en ligne le 14 février 2009, dernière modification le 21 août 2022.

Par Alain Dalançon

Jacques Estienne au congrès du SNES en 1973
Jacques Estienne au congrès du SNES en 1973
[IRHSES]
Lancement de la campagne JPA dans la Somme en 2013

SOURCES : Arch. de la FEN (CAMT). — Arch. de l’IRHSES (dont S3 d’Amiens, CA, congrès, L’Université syndicaliste). — Entretien avec l’intéressé.

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