FRIEDRICH Charles [FRIEDRICH Georges, Charles]. Pseudonyme à l’ELI : DUVAL

Par Étienne Kagan, René Lemarquis, Pierre Schill

Né le 1er janvier 1892 à Buchelberg (Lorraine annexée), mort le 4 août 1979 à Briey (Meurthe-et-Moselle) ; mineur, ouvrier métallurgiste ; secrétaire du syndicat CGT des Métaux de la Moselle ; membre du comité central du Parti communiste (1925-1926, 1929-1936) ; conseiller municipal de Thionville (Moselle) de 1947 à 1959.

Charles Friedrich à l’Ecole léniniste internationale, en juin 1928
Charles Friedrich à l’Ecole léniniste internationale, en juin 1928
Il est au 2e rang, assis à l’extrême droite à côté de la femme au chemisier blanc.
Collection Pierre Schill

Charles Friedrich (parfois orthographié Friederich) était l’enfant naturel d’une femme qui avait elle-même neuf frères et sœurs, qui était quasi analphabète et vivait en 1923 séparée d’un second mari. Sans profession ni ressources, elle subsistait grâce à l’aide de son fils. Jusqu’à dix-huit ans ce dernier travailla comme carrier près de Phalsbourg puis, en 1910, il entra dans l’industrie sidérurgique lorraine chez De Wendel à Hayange puis à Rombas (Moselle). En octobre 1913 il fut mobilisé dans l’armée allemande et y resta jusqu’à sa démobilisation en novembre 1918. Après quatre années de service il était devenu sous-officier mais, précisait-il, « dans ce temps ce n’était pas un honneur, l’avancement venait automatiquement, les années de guerre comptant double ». Il reprit après-guerre son travail à l’usine de Rombas mais fut licencié à la suite des grèves de 1922 qu’il avait dirigées au nom du Parti communiste, dont il était apparemment responsable dans la commune. Inscrit sur la « liste noire » il ne put trouver du travail en Lorraine. Marié à Rombas le 9 août 1919 et père d’une fillette, veuf, il épousa, le 23 octobre 1928, Anna Clavé, non salariée, adhérente au Parti communiste depuis 1926. Elle était la fille d’un sonneur de cloches de Morsbach (près de Forbach), « en relation étroite avec le curé du village ».

Charles Friedrich adhéra en 1913 au Syndicat allemand des Métaux et, après la guerre, au Parti socialiste SFIO le 7 janvier 1919. Il militait dans la section de Rombas et participa aux luttes pour l’adhésion à la Troisième Internationale. Il participa aussi aux diverses grèves : en juin et octobre 1919 (métallurgie), en 1920 (grève générale), en 1923 (bassin houiller). Il participa, le 15 avril 1923 à Sarralbe (Moselle), à une réunion contradictoire avec Guy de Wendel. Ce rassemblement avait lieu dix jours après la fin d’une grève de deux mois dans les houillères lorraines et le communiste interpella notamment le membre de la famille propriétaire des Houillères de Petite-Rosselle sur les nombreux renvois de grévistes qui avaient lieu dans cette compagnie. Guy de Wendel présenta ces renvois « non seulement comme un droit, mais encore comme un devoir » en n’écartant pas l’hypothèse d’un examen individuel des recours déposés par les ouvriers renvoyés.

En janvier 1923 il fut nommé, lors du congrès fédéral de la Moselle secrétaire départemental du Parti communiste jusqu’en octobre 1930 où il devint secrétaire régional. Délégué au IIIe congrès du Parti communiste (Lyon, janvier 1924)), il avouait à son retour en Moselle ne pouvoir en faire qu’un compte rendu réduit, du fait de cette ignorance du français alors générale chez les militants alsaciens-lorrains. Il entra au comité central du Parti communiste lors du congrès de Clichy (janvier 1925). Non réélu pour cause de santé (il venait de passer quatre mois en sanatorium) au Congrès de Lille (juin 1926), il le fut à ceux de Saint-Denis en avril 1929 et de Paris en mars 1932. La Moselle, « pont rouge » entre la France et l’Allemagne, selon Albert Treint, était considérée comme importante dans le mouvement communiste.

Le Parti communiste désigna Charles Friedrich au début de 1926 pour suivre les cours de l’École léniniste internationale à Moscou où il résida de mai 1926 à octobre 1928 sous le pseudonyme de Duval. Le secrétariat du PC dans une lettre signée par Pierre Semard demanda à l’Internationale de bien vouloir prendre en charge une partie des 600 F mensuels qui lui étaient alloués pour venir en aide à sa famille (il était alors veuf avec un enfant et sa mère à charge). Qualifié dans cette lettre de « très sérieux », il était mentionné (par erreur ?) comme membre du comité central depuis le Congrès de Lyon de 1923 où il n’avait été que délégué. À la fin des cours, les jugements sur le travail « scolaire » faisaient état, avec une certaine condescendance, d’aptitudes moyennes, de résultats presque satisfaisants, de connaissances incomplètes et non systématiques (Léninisme) de capacités modestes, assimilation difficile, résultats moyens (Matérialisme historique). On admettait que « sous la direction de camarades compétents on [pouvait] l’utiliser comme orateur de masse, capable de travail indépendant (Évaluation). La direction de l’ELI le jugea dans l’ensemble favorablement pour sa « fermeté à l’égard du parti » : il « applique correctement la discipline, s’acquitte consciencieusement de ses tâches ». Bref, « il peut occuper un poste responsable à l’échelle régionale ou dans les syndicats. »

De retour en France, Charles Friedrich fut, de janvier 1929 à septembre 1930 secrétaire permanent de la Moselle. Il assista à la réunion clandestine du comité central le 9 juin 1929 à Achères (Seine-et-Oise).

Au début de l’année 1930, Charles Friedrich anima de nombreuses réunions publiques organisées par la CGTU dans le bassin houiller lorrain et en Moselle. Il participa ainsi le 12 janvier 1930 au congrès des mineurs CGTU à Forbach (Moselle) qui rassembla environ deux mille personnes. Il fut le principal orateur de la réunion du Parti communiste, le 7 février 1930, à Vieille-Verrerie (commune de Petite-Rosselle, Moselle). La réunion rassembla environ cinquante personnes. Il anima encore le même jour, avec Mathieu Philippi*, une réunion de deux cents mineurs communistes à Stiring-Wendel (Moselle). Il prit part deux jours plus tard à Forbach, à une réunion organisée par la CGTU. Elle réunit cent un délégués de cette organisation, vingt-trois « inorganisés » et deux délégués du syndicat chrétien l’UGB (Unabhängiger Gewerkschaftsbund, Fédération des syndicats indépendants). Il participa, le 16 février 1930, à Merlebach (Moselle), à une nouvelle réunion de quatre-vingt-dix délégués mineurs, dont soixante de la CGTU et trente pour l’UGB, la CGT et les « inorganisés ». Les délégués passèrent en revue la situation des Houillères de Lorraine, celle de la soudière Solvay à Sarralbe, des mines de potasse d’Alsace et de l’entreprise pétrolifère de Pechelbronn (Bas-Rhin). Il assista encore à une réunion organisée à Metz (Moselle) par la CGTU le 13 avril 1930. Le rassemblement concernait une cinquantaine de délégués de toutes les catégories de travailleurs.

Du 1er octobre 1930 au 1er juin 1932 Charles Friedrich fut secrétaire permanent à Strasbourg de la région d’Alsace-Lorraine. Il fut l’un des principaux orateurs s’exprimant devant cent cinquante délégués de l’ensemble du bassin houiller lorrain rassemblés le 29 mars 1931 à Merlebach par la CGTU. Il participa à une nouvelle réunion de cent dix délégués CGTU le 6 avril 1931 à Merlebach. Par 48 voix contre 2 les délégués décidèrent de fixer la grève au vendredi 10 avril. La grève du 10 avril fut finalement annulée en raison de la faible mobilisation des mineurs et du refus de la CGT et de l’UGB de suivre l’action initiée par la CGTU. Le 26 juillet 1931, il fut l’un des animateurs de la réunion de trente-cinq secrétaires de la CGTU à Forbach. Le 28 février 1932 se tint une importante réunion à Forbach. Plus de deux mille personnes étaient venues écouter des exposés sur la révolution russe. Charles Friedrich fut avec Victor Doeblé le principal orateur communiste. Il porta la contradiction à Mathis qui aurait fréquenté avec lui l’École léniniste internationale et qu’il accusait d’avoir renié son engagement communiste. De son séjour en Russie, Charles Friedrich disait n’avoir que des enseignements positifs à tirer.

À partir du 1er juin 1932 il fut rédacteur à l’Humanité d’Alsace-Lorraine en langue allemande (« ma langue éternelle » dit-il dans sa traduction de Muttersprache !). Le Parti communiste le présenta aux élections législatives dans la circonscription de Saverne (Bas-Rhin). Il recueillit 994 voix sur 24 561 inscrits et 19 327 votants, puis se maintint au second tour et conserva 307 voix. Le 16 octobre 1932 il se présenta aux élections sénatoriales en Moselle. Il obtint 53 voix sur 1 456 suffrages exprimés pour 1 457 votants et 1 466 électeurs inscrits. Il ne fut pas élu.

En janvier 1933, Charles Friedrich et trois autres militants communistes avaient été condamnés par le tribunal de Metz pour « divulgations de documents intéressant la défense nationale ». C’est en sa qualité de gérant de L’Humanité d’Alsace-Lorraine qu’il était mis en cause pour la publication dans le journal communiste des 17 et 21 septembre 1932 d’articles sur les ouvrages de la Ligne Maginot alors en construction en Lorraine.

En mars 1934, il anima de nombreux rassemblements organisés par la CGTU dans le bassin houiller à propos de la situation sociale difficile et de la réforme de la caisse de secours minière. Il était alors chargé de l’organisation au comité dirigeant le rayon communiste de Metz-Montigny. À cette période les communistes messins développaient une importante propagande contre la récente condamnation de Charles Friedrich.

Charles Friedrich prit une part importante dans les réunions organisées le 16 septembre 1934 par le comité (communiste) antifasciste franco-sarrois dans l’ensemble du bassin houiller lorrain. Il s’agissait notamment de mettre en garde les mineurs, français et sarrois, contre la menace hitlérienne quelques mois avant le vote d’autodétermination en Sarre. Il devait intervenir lors du grand rassemblement de Forbach ainsi qu’à Marienau et Petite-Rosselle.

Aux élections cantonales d’octobre 1934, il fut le candidat communiste dans le canton de Moyeuvre-Grande (Moselle). Il ne fut pas élu.
A la fin de l’année 1934, Charles Friedrich rencontrait régulièrement Paul Féry*, chef de file des socialistes mosellans, pour tenter de mettre sur pied un « front unique ».

Au début de l’année 1936, alors qu’il était toujours membre du comité régional de Lorraine du Parti communiste, Charles Friedrich menait les discussions avec les socialistes mosellans en vue de constituer un front unique des forces de gauche. Il aurait alors aussi été un agent de l’Internationale communiste, placé sous l’autorité de deux agents tchèques du Komintern chargés de contrôler les régions germanophones d’Alsace-Lorraine.

Charles Friedrich avait sans doute été délégué au VIIe congrès de l’Internationale communiste puisqu’il écrivit en tant que « membre de la délégation française » une autobiographie à Moscou le 17 juillet 1935. D’ailleurs il est indiqué qu’il avait un mandat (n° 186) avec voix délibérative. Charles Friedrich fut écarté du comité central lors du congrès de Villeurbanne (22-25 janvier 1936), pendant qu’il était destitué de ses fonctions à l’Humanité de Strasbourg suite aux attaques portées contre lui par M. Kirsch [Marcel ?], ainsi qu’aux désaccords sur la tenue du journal et la vente de l’immeuble du Parti communiste et de la CGTU à Metz situé au 18 Rempart Saint-Thiébault. Charles Friedrich devint alors secrétaire permanent du Syndicat des Métaux de la Moselle, aux côtés de René Schwob*.

Charles Friedrich se trouva impliqué dans les querelles fréquentes entre dirigeants communistes mosellans. Dès 1933 la commission des cadres qui jugeait « bonne » sa biographie se demandait : « pourquoi ne parle-t-il pas de sa position au moment des crises régionales (Béron-Hueber) » (voir Émile Béron et Charles Hueber*) ? Il fut de nouveau mêlé aux affaires Eugène Anstett* et Paul Entzmann alors qu’il était responsable syndical. Il soutint le premier en mars 1939 contre Entzmann qui l’avait remplacé à la tête du secrétariat régional. Anstett exclu du Parti communiste en avril 1939, Entzmann attaqua durement Friedrich et Schwob*, traités de « bureaucrates » et « réformistes », ce qui entraîna son exclusion du Syndicat des Métaux. Sans doute Friedrich quitta-t-il, ainsi que Schwob*, le Parti communiste à ce moment.

Reprit-il contact avec le Parti communiste pendant la guerre ? La Fédération communiste de Moselle le présenta comme « ancien résistant » dans son faire-part de décès.

Charles Friedrich retrouva son poste de secrétaire des Métaux de la Moselle à la Libération.

En octobre 1947, Charles Friedrich fut élu conseiller municipal communiste de Thionville et conserva ce mandat jusqu’en mars 1959. Un grave accident survenu le 20 février 1951 l’avait affaibli. La fédération de la Moselle du Parti communiste français et l’Association des vétérans du Parti Communiste Français appelèrent à ses obsèques civiles qui eurent lieu le 7 août 1979 à Moyeuvre-Grande (Moselle).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24544, notice FRIEDRICH Charles [FRIEDRICH Georges, Charles]. Pseudonyme à l'ELI : DUVAL par Étienne Kagan, René Lemarquis, Pierre Schill, version mise en ligne le 8 janvier 2013, dernière modification le 5 juin 2009.

Par Étienne Kagan, René Lemarquis, Pierre Schill

Charles Friedrich à l'Ecole léniniste internationale, en juin 1928
Charles Friedrich à l’Ecole léniniste internationale, en juin 1928
Il est au 2e rang, assis à l’extrême droite à côté de la femme au chemisier blanc.
Collection Pierre Schill

SOURCES : Arch. Nat. F7/13129, juillet 1932. — Arch. Dép. Moselle, M Sûreté générale 53 et 24 Z 20 ; 24 Z 16. — RGASPI, 495.270.8723 : autobiographie du 10 juillet 1933 (texte allemand plus traduction) ; autobiographie du 17 juillet 1935 ; lettre au bureau de l’ELI (affaire Dubois) ; appréciations de l’ELI ; 517 1 846. — Arch. des Houillères du Bassin de Lorraine, Vt323-B26, Vt421-B41. — René Schwob, Réalités vécues au cours de 40 années d’activité syndicale, UD-FO de la Moselle, s.d. (1966). — Le Métallurgiste. — E.-L. Baudon, Les Élections en Moselle, 1919-1956, Metz, 1956. — Didier Kompa, La Formation du Front populaire en Moselle, 1934-1936, mémoire de maîtrise d’histoire (dir. Alfred Wahl), Université de Metz, 1985. — Renseignements communiqués par Monsieur Paul Souffrin, sénateur-maire de Thionville, 11 septembre 1984. — Notes de Jacques Girault, Jean Maitron et Claude Pennetier. — État civil de Phalsbourg, le 4 octobre 1984.

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