GABISON Germaine [née ALBERTI Germaine, Yvonne]

Par Jacqueline Gabison-Duval, Alain Viguier

Née le 15 avril 1913 à Paris (XIVe arr.), morte le 16 février 1998 à Boulogne-Billancourt (Seine, Hauts-de-Seine) ; responsable de la bibliothèque du Comité d’entreprise de la Régie Nationale des Usines Renault (RNUR) à Billancourt (Seine, Hauts-de-Seine), de 1950 à 1977 ; adhérente de la CGT et membre du Parti communiste français.

Archives familiales

José Alberti, le père de Germaine, probablement né en 1885, espagnol, originaire des Baléares, était garçon de restaurant. Il était de sensibilité anarchiste et communiste. Sa mère, Marie Smetryns, née en Flandres en 1881, était de nationalité belge. Elle avait travaillé dès l’âge de huit ans en Belgique et avait déjà un fils, René, né en 1904, quand elle rencontra José Alberti à Paris et se mit en ménage avec lui dans une mansarde, rue Dupetit-Thouars (IIIe arr.). Le couple eut bientôt deux enfants, Germaine en 1913, Hélène en 1918. Ils vivaient à cinq dans un logement minuscule, éclairé à la lampe à pétrole, avec l’eau courante dans l’escalier. José Alberti y construit des volières pour élever des oiseaux, fabriquait des banjos et en jouait, tandis que Marie Smetryns chantait les opérettes à la mode. Le frère aîné de Germaine, René, violoniste, peintre, fou de cinéma, eut une grande influence sur ses goûts artistiques.

Germaine Alberti obtint son Certificat d’études primaires à treize ans. Sans autre formation, elle exerça divers métiers peu qualifiés (petite main chez Jenny, ouvrière dans une fabrique de parapluies…). Dans ce quartier proche du square du Temple, très populaire, vivaient de nombreuses familles juives et beaucoup de communistes. Le premier combat de la jeune Germaine fut de se battre, au square de Temple, avec un autre gosse qui avait tenu des propos antisémites. En 1928, Marie, sa mère, mourut d’un cancer. Après deux années de vie à trois (René le frère aîné, s’était marié), José Alberti retourna à Palma de Majorque. Il mourut quelques temps après.

Germaine Alberti se maria le 30 juin 1931 avec Pierre, Théophile Rodolphe à Paris (IIIe arr.) mais le couple se sépara et le mariage fut officiellement dissous en 1947 par le tribunal civil de Tunis, le 20 janvier 1947.

Germaine Alberti adhéra aux Jeunesses communistes et y rencontre Roger Gabison en 1935. Il était communiste, tunisien et juif. Ses talents d’orateur et sa culture politique l’éblouirent, son engagement dans les Brigades Internationales en Espagne conforta l’admiration qu’elle lui portait. Début 1939, Germaine et Roger décidèrent de vivre ensemble. Mais en septembre 1939, Roger Gabison rejoignit Tunis où il fut mobilisé au 3e régiment de zouaves. Le 28 février 1940, c’est à Angers, où elle s’était réfugiée avec sa sœur, que Germaine Alberti accoucha de sa fille Jacqueline. Fin juin 1940 le bataillon des zouaves ayant été décimé à Angerville, Roger Gabison fut fait prisonnier et interné à Drancy. Germaine lui porta des colis. Apprenant que des fonctionnaires étaient libérés, elle constitua un dossier prouvant que Roger Gabison l’était et le porta au commandant du camp de Drancy. Le 1er septembre 1940, il fut libéré.

Le couple vécut quelques temps à Paris, chez la famille Bassis, beaux-parents de sa sœur Hélène, parents d’Henri Bassis, qui les engagèrent à quitter Paris. Le couple embarqua à Marseille (Bouches-du-Rhône) pour la Tunisie où vivait la famille de Roger Gabison. Il se cacha dans la banlieue de Tunis, mais piégé par la police française, il fut réincorporé dans l’armée, après avoir été torturé en prison. En Tunisie, Germaine était déjà connue sous le nom de Gabison. Toutefois, son mariage avec Roger Gabison intervint le 18 octobre 1952 à Bagneux (Seine, Hauts-de-Seine). Elle continua de militer et devint secrétaire de la Section Goulette-Kram-Carthage de l’Union des Femmes de Tunisie, qui réunissait des femmes de toutes nationalités et religions, françaises, italiennes, tunisiennes, « musulmanes », « israélites » et catholiques. Elle créa au Kram une halte-garderie laïque où les enfants tunisiens, français, italiens pouvaient déjeuner le midi et goûter à la sortie de l’école, favorisant ainsi les échanges entre les femmes de toutes nationalités.

En 1949 Roger et Germaine Gabison décidèrent de revenir en France et trouvèrent un petit appartement à Meudon (Seine-et-Oise, Hauts-de-Seine). Après des mois de chômage, Roger Gabison obtint un emploi à la CNAVTSP, rue de Flandres (XIXe arr.). Germaine Gabison fut embauchée aux Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP). Dès son retour en France, elle suivit les cours de l’Université nouvelle, organisée par le PCF : philosophie, histoire de la Révolution française, du mouvement ouvrier, du marxisme. Un ami libraire, Victor Smadja, lui signala une annonce parue dans un périodique des libraires : un poste de bibliothécaire était à pourvoir au Comité d’entreprise de la Régie nationale des usines Renault (RNUR), à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Elle y fut embauchée le 21 août 1950.

« Loisirs et Culture », organisation culturelle agréée par le Ministère de l’Éducation nationale et subventionnée par le Comité d’entreprise de la RNUR, comprenait bibliothèque, clubs de disques, de photos, d’échecs, de théâtre, etc... Devenue très vite responsable de la bibliothèque, Germaine Gabison s’engagea avec ardeur dans la « Bataille du Livre », mouvement lancé par le Parti communiste en 1950 et impulsée par Elsa Triolet. Fin 1950, la bibliothèque rejoignit les locaux du Comité central d’entreprise au 119 rue du Point du Jour, à Billancourt. Ce local anonyme devint, sous l’impulsion de Germaine Gabison, un cadre particulièrement soigné qui accueillait les travailleurs à l’heure du déjeuner ou de la sortie du travail : plantes vertes et poteries offertes à la bibliothèque par les artistes (vases de Picasso « le Barbu et la Femme du Barbu », céramique de Roland Brice), avaient leur place en haut des rayons de livres. Le coin des petits n’était pas oublié, ni celui des enfants d’âge scolaire. La très grande table de lecture offrait diverses publications littéraires, scientifiques, historiques, artistiques, d’actualité. Ainsi les revues scientifiques côtoyaient les collections de haute couture, les albums d’art côtoyaient les revues de jardinage ou de pêche, les revues littéraires, celles de cinéma. Julien Cain (membre de l’Institut, de l’Unesco, directeur des bibliothèques de France, administrateur de la Bibliothèque nationale), qui visita la bibliothèque en 1957, envoya ses félicitations et souligna : « la présence, sur les tables mêmes, de grands et coûteux ouvrages qui sont autant d’initiations aux formes les plus récentes et les plus évoluées de l’art, la présence aussi d’albums, qui sont autant d’invitations au voyage. »

Tout était fait pour attirer 1’attention des travailleurs sur l’existence de leur bibliothèque, et les inciter à lire : panneaux, tracts, extraits de catalogue, lettres individuelles. Dès 1951, Germaine Gabison fit fabriquer des casiers pour transporter les livres au plus près des ateliers, grâce aux véhicules de Loisirs et Culture. Ce fut le début des « bibliobus ». Dans les couloirs des cantines, les halls des ateliers, les livres étaient exposés et accessibles aux lecteurs. En 1953, les bibliobus se déployèrent dans huit cantines et une fois par semaine au cœur de l’Île Seguin. En 1970, ils figuraient dans treize cantines. Leurs horaires s’adaptaient à ceux des équipes. À cette époque, 60 % des prêts de livres se faisaient par les bibliobus.

L’action de Germaine Gabison s’appuyait sur « Les Amis de la Bibliothèque », amicale qui permettait aux lecteurs de devenir des militants de la lecture qui introduisaient les livres au cœur des ateliers, suscitant des envies de lecture.

Les activités s’amplifièrent : cours de littérature avec l’aide de l’Université nouvelle, vite suivis (et remplacés) par des causeries débats qui réunissaient trois à quatre fois par an 30 à 50 lecteurs, autour d’un écrivain, d’un savant, d’un professeur, sur le thème littéraire, scientifique, social ou d’actualité dont il était spécialiste. Il n’était pas rare que soit aussi invité un artiste dont le travail était en rapport avec le sujet. Chaque conférence était minutieusement préparée pour faire participer le maximum de travailleurs. On prenait soin de préciser l’heure de fin de la causerie car la fatigue de la journée et le temps de trajet pouvaient être un frein à leur participation. Tracts, invitations, affiches, une intense publicité était faite en faveur des œuvres de l’invité ou bien encore des ouvrages qui se rapportaient au sujet traité.

Une attention toute particulière était apportée aux femmes et aux travailleurs immigrés (environ 5 000 dans les années 1950, 10 000 dans les années 1970) qui étaient nombreux à vouloir s’instruire, connaitre l’histoire de leur pays, voire en connaitre mieux la langue, mais aussi apprendre la culture du pays où ils travaillaient.

Les bilans annuels mesurent la fréquentation croissante de la bibliothèque et le nombre de livres en rayons : 14 000 en 1951, 30 000 en 1957, 45 000 en 1963, 90 000 en 1977. L’acquisition de livres était prétexte à une fête dont le but était d’exalter la lecture, et la culture de façon générale. Pour le 20 000e livre, en 1954, ce fut une grande kermesse, dans les locaux de la cantine mitoyenne. En janvier 1956, le 25 000e volume était « l’Apocalypse d’Angers » avec la réception de Jean Lurçat « maitre et rénovateur de la tapisserie française ». À cette occasion, Loisirs et Culture, réserva la Comédie française pour une représentation du Barbier de Séville. Jusqu’au 90 000e volume, en 1977, galas, soirées théâtrales au TNP ou à la Comédie française, visites, projections de films, marquèrent à chaque fois l’extension de la bibliothèque.

L’équipe de bibliothécaires s’étoffa également : trois salariés en 1951, une dizaine dès 1955.

Dans son rapport à la Journée d’étude des bibliothèques d’entreprises, organisée par le Parti communiste, en octobre 1953, Germaine Gabison insistait : « le succès de tous dépend du bon travail de chacun, [et des] petits efforts chaque jour accumulés », il s’agit de « transformer le train-train du travail bibliothécaire en travail militant pour aller à la conquête des lecteurs ». Chaque bibliothécaire devait savoir parfaitement ce qu’elle devait faire et en être responsable. Convaincue de l’importance de la bataille pour la culture, « arme pour l’émancipation humaine », Germaine Gabison intervint dans les journées d’étude du Parti communiste. Invitée à des colloques où elle présentait son travail, elle insistait sur l’importance d’une bonne formation des bibliothécaires, et sur l’importance aussi des rapports humains avec les lecteurs.

Le retentissement de la bibliothèque du Comité d’entreprise de la RNUR fut tel qu’on vint la voir de partout, d’abord de toute la France puis du monde entier : bibliothécaires d’entreprise, animateurs de théâtre, étudiants de Grandes écoles ou d’IUT, Unesco, Radiodiffusion française, journalistes, stagiaires d’entreprises, élus syndicaux, ministère du Travail…. De l’Ohio, d’Argentine, d’Allemagne, de Russie, du Brésil, de Tchécoslovaquie et même du Dahomey, les visiteurs « des milieux les plus divers, du monde ouvrier à celui de la littérature, en passant par l’Université » envoyaient leurs félicitations par des lettres ou relataient leurs visites dans les journaux de leur pays.

En 1959, Jean Vilar écrivit à Germaine Gabison : « un souci commun nous anime [….] le souci de servir d’abord les travailleurs ».

En 1977, elle prit sa retraite. Elle s’inscrit à l’École du Louvre, assista aux cours d’Histoire de la Sorbonne : le Moyen Age par Robert Fossier, la Révolution Française par Michel Vovelle et les conférences de Michel Serres.

Grâce à ses économies, elle avait acquis en 1972 un champ en Normandie. Elle y fit construire une petite maison et y créa un jardin qui devint un petit parc admiré du voisinage. Dès sa retraite et pendant vingt ans, elle l’entoura de soins passionnés.

Germaine Gabison décéda le 16 février 1998, des suites d’un AVC. Ses obsèques au Père Lachaise furent l’occasion d’un après-midi d’hommage qui réunit sa famille, ses collègues, ses amis, ses camarades, et nombre de travailleurs de chez Renault, anciens lecteurs et Amis de la Bibliothèque. Chacun voulut dire ce que Germaine lui avait apporté. Ainsi Pierre Virolle déclarait : « Sans Germaine jamais je n’aurai su ce dont j’étais capable, elle m’a permis de développer des choses que j’avais en moi et que j’ignorais ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article245463, notice GABISON Germaine [née ALBERTI Germaine, Yvonne] par Jacqueline Gabison-Duval, Alain Viguier, version mise en ligne le 11 février 2022, dernière modification le 11 février 2022.

Par Jacqueline Gabison-Duval, Alain Viguier

Archives familiales
Conférence de Jacques Arnault, en novembre 1965 à la bibliothèque de la RNUR. Germaine Gabison est à gauche, mains posées sur la table de lecture (Photographie par Willy Ronis, Archives familiales).

SOURCES : Témoignages et archives familiales réunis par sa fille, Jacqueline Gabison-Duval. — Alain Viguier, Renault Billancourt, 1950–1992 Le Parti communiste et les ouvriers. Identités ouvrières et identité de parti, thèse d’histoire, Paris 1, 2014. — Élise Abassade, Militantes communistes en Tunisie (1921-1963), thèse d’histoire, Paris 8, 2021. — État civil.

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