FRAENKEL Boris. Pseudonymes : KNIEF Johannes, MÜNZER Thomas, MARIATÉGUI

Par Michael Löwy, Enzo Traverso

Né le 10 janvier 1921 à Dantzig (ville libre), mort fin avril 2006 ; éducateur ; sioniste puis trotskiste, membre du PCI et de son comité central, exclu ; membre de la tendance « École émancipée » de la FEN.

Boris Fraenkel
Boris Fraenkel
Cliché Alain Giami

Boris Fraenkel naquit au sein d’une famille d’émigrés juifs d’Europe centrale. Son père étant décédé cinq jours avant sa naissance, il ne fut élevé que par sa mère, très religieuse. Il parla l’allemand dès son enfance, bien que les langues dominantes dans son milieu familial furent surtout le russe et le yiddish. À l’âge de quatorze ans, il adhéra aux Habonim (« Les constructeurs »), le principal mouvement de jeunesse de la gauche sioniste de Dantzig, lié au Poale Sion. En 1938, peu après son baccalauréat, Boris Fraenkel quitta Dantzig pour s’installer en France, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), où il obtint, en 1940, un diplôme d’agronomie dans la perspective d’une émigration future en Palestine. Entre 1940 et 1942, il vécut avec sa mère à Grenoble (Isère). Pendant l’été 1942, il parvint à se réfugier en Suisse grâce à l’aide des sœurs de Notre-Dame de Sion. Ne disposant pas de papiers en règle, il se retrouva, en 1942-1943, dans un camp d’internement réservé aux juifs, près de Zurich, où il devint un des animateurs de la cellule sioniste. C’est là qu’il fit la connaissance de Lucien Goldmann, de Manès Sperber, des frères Mény et d’Aby Wieviorka.

Libéré du camp, Boris Fraenkel s’inscrivit à l’université de Bâle où il entama des études de science politique. Il se déplaça ensuite à Sierre, dans un camp de travail sioniste, en vue de son Alya en Palestine. C’est dans ce camp qu’il rompit avec le sionisme sur la base d’une adhésion aux idées de Trotsky. À Bâle, il adhéra au mouvement trotskiste organisé et se lia à trois figures qui contribuèrent de manière décisive à sa formation politique : Fritz Belleville, un exilé allemand, Moishe Ajnsztajn, un exilé polonais, et Joseph Frei (alias Georg Hirt), qui avait été l’un des fondateurs du Parti communiste autrichien.

À Bâle, Boris Fraenkel milita dans le groupe Proletarische Aktion. Il disposait d’une petite bourse octroyée par une fondation juive, mais il n’acheva pas ses études, se consacrant entièrement à l’activité politique. Pendant cette période, il fit la connaissance de Leo Kofler et créa, avec Fritz Belleville et Richard Löwenthal, une revue théorique, Bewusstsein und Sein, éditée par les étudiants socialistes suisses, où il publia des textes de Brecht et du poète surréaliste Enrique Beck. En 1949, à cause de son engagement militant, il fut expulsé de Suisse vers la France, où il résida avec un statut d’apatride. Dès l’année suivante, il s’installa à Paris et reprit les contacts avec le mouvement trotskiste, sans pour autant adhérer à sa section française. Pendant les années 1950, il travailla à Paris comme secrétaire du peintre Sonia Delaunay. Lors de la crise qui secoua la IVe Internationale, en 1951, il se rapprocha du courant international dirigé par Pierre Lambert*, qui critiquait l’orientation dominante (« pabliste ») au sujet de l’analyse des partis communistes.

En 1958, craignant l’instauration d’un régime autoritaire par le général de Gaulle, Boris Fraenkel décida de prendre contact avec Pierre Lambert et adhéra au Parti communiste internationaliste (PCI) avec un petit groupe d’amis, dont sa future épouse Denise Salomon*. Chargé du travail de formation des militants et sympathisants étudiants, il rejoignit, au début des années 1960, le comité central du PCI. Pendant ces années il gagna sa vie comme instructeur des Centres d’enseignement aux méthodes d’éducation active (CEMEA) et milita dans le courant « École Émancipée » de la FEN, dont il devint un des principaux idéologues, en participant activement au travail de formation lors des campements d’été de ce mouvement syndical.

Ayant fait la connaissance de Herbert Marcuse grâce à Lucien Goldmann, il contribua à le faire connaître en France, en traduisant certains de ses écrits (dès 1966, dans la revue Partisans) et en prenant l’initiative de faire traduire Eros et Civilisation (Éditions de Minuit, 1968). De même, il diffusa le freudo-marxisme et l’œuvre de Wilhelm Reich, en organisant des numéros des revues Partisans et L’Homme et la société au cours des années 1966-1972. La brochure de la revue Partisans qui reprenait son article sur Reich fut largement diffusée en Mai 68. Enfin, il fut, sous le pseudonyme de Johannes Knief (un des fondateurs du PC allemand, originaire de Brême), l’organisateur d’un numéro de Partisans sur Rosa Luxemburg.

Ce fut au cours des années 1960 que Boris Fraenkel, domicilié rue Henri Barbusse à Montreuil, fit la connaissance de Lionel Jospin, qu’il recruta au PCI et dont il fut pendant quelque temps le seul « contact » politique. Vers 1967, accusé par Gérard Bloch et Stéphane Just* de disséminer des idées hétérodoxes et étrangères au marxisme orthodoxe (notamment les écrits de Lukacs et de Marcuse), il fut exclu par Pierre Lambert* du PCI. Il se lia ensuite à un groupe d’étudiants vivant à Paris mais proches du SDS allemand (parmi lesquels Daniel Cohn-Bendit). En juin 1968, lui et quelques autres jeunes du groupe furent arrêtés par la police et amenés à Forbach, à la frontière franco-allemande, pour être expulsés. Apatride, Boris Fraenkel fut refusé par les autorités allemandes et finalement assigné à résidence en Dordogne par le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin. Malgré les protestations d’intellectuels de gauche de différentes tendances, il ne fut libéré que onze mois plus tard. Après une longue période sans activité militante organisée, Boris Fraenkel adhéra, à la fin des années 1990, à la Ligue communiste révolutionnaire.

Le Monde du 2 mai 2006 annonçait son suicide par noyade : il s’était jeté du haut d’un pont parisien.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24548, notice FRAENKEL Boris. Pseudonymes : KNIEF Johannes, MÜNZER Thomas, MARIATÉGUI par Michael Löwy, Enzo Traverso, version mise en ligne le 14 février 2009, dernière modification le 25 février 2022.

Par Michael Löwy, Enzo Traverso

Boris Fraenkel
Boris Fraenkel
Cliché Alain Giami

ŒUVRE : « Pour Wilhelm Reich », Partisans (numéro Sexualité et Répression), n° 32-33, octobre-novembre 1966, réédité en brochure « dossiers partisans », 1968, et reproduit à nouveau dans Partisans, n° 56, novembre-décembre 1970. — « Rosa Luxemburg Vivante », Partisans, n° 45, janvier 1969 (sous le pseudonyme de J. Knief). — « Le freudo-marxisme (présentation) », L’Homme et la Société, n° 11, janvier-février-mars 1969. — « Présentation », Partisans (« Sexualité et Répression » II), n° 66-67, juillet-octobre 1972. — Profession : révolutionnaire, Latresne, Éditions Le Bord de l’eau, coll. « Clair & Net », 2004, 200 p.

SOURCES : Fonds Boris Fraenkel, La Contemporaine, inventaire en ligne. — « Boris Fraenkel, un militant trotskyste inclassable », Le Monde, 6 juillet 2001, p. 6-7. — Romain Leick, « Eine seltene Perle. Premier Jospin macht die trotskystische Vergangenheit zu Schaffen. Sein einstiger Mentor ist ein Danziger Jude », Der Spiegel, 18 juin 2001, p. 132-134.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable