CADET Jean-Joseph

Par Véronique Bourquin-Valzer

Né le 4 juin 1936 à Chambéry (Savoie) ; technicien de Peugeot-Sochaux ; militant de la CGT Peugeot-Sochaux (Doubs) ; militant de la culture ; militant communiste.

Prison militaire à Alger

Né le jour même de la formation du gouvernement du Front Populaire, Jean-Joseph Cadet était fils de Jean-Michel Cadet, né en 1909, et de Jeanne Jacquemmoz, née en 1908 et mariés le 4 mai 1935. Trois enfants naquirent de cette union : Jean, l’aîné, puis Monique en 1941 et Gisèle en 1944.
Sa mère avait été domestique avant son mariage. Elle était croyante et s’intéressait peu à la politique. Son père était infirmier à Bassens, près de Chambéry et secrétaire de la CGT à « l’asile des aliénés » qui devint hôpital psychiatrique en 1937. Deux oncles paternels de Jean étaient engagés politiquement. Louis, employé à Nord Aviation à Châtillon dans le département de la Seine (Hauts-de-Seine aujourd’hui) était communiste depuis 1930. Julien Cadet était éboueur à la ville de Chambéry et anarchiste. Tous deux s’engagèrent en Espagne républicaine , lors de la Guerre d’Espagne. Louis fut enrôlé le 11 octobre 1936 dans le bataillon Dumont des Brigades internationales, il participa à la défense de Madrid et fut rapatrié en aout 1937. Julien Cadet combattit sur le front de l’Huesca, dans une unité anarchiste.
Jean Cadet fit ses études primaires et secondaires à Chambéry. En 1950, le jeune lycéen milita pour la signature de l’appel de Stockholm, qui demandait l’interdiction totale de l’arme nucléaire. Du fait des influences familiales et de ses premières expériences militantes, Jean se rapprocha idéologiquement du Parti Communiste Français Après avoir obtenu la 1ère partie du baccalauréat technique en 1955, il chercha un travail dans l’industrie et se présenta à l’embauche le 6 novembre 1956 chez Peugeot à Sochaux, dans le Doubs, pour passer des tests. Il fit le trajet Chambéry-Sochaux aller et retour à vélo, car la randonnée cycliste était son loisir de prédilection. Le 12 novembre 1956 il entrait à l’usine, comme OS (ouvrier spécialisé), à la chaine. Au bout de 4 mois il fut muté au bureau de dessin. Il était hébergé à l’hôtel Peugeot n°2, réservé aux techniciens. Un de ses premiers actes de militantisme fut de réclamer des conditions de vie décentes dans ces hôtels pour célibataires, par exemple des locaux de loisir pour jouer au baby-foot et regarder la télévision. De même, lui et ses camarades protestaient contre le règlement intérieur sévère appliqué par les concierges, qui interdisait toute visite extérieure dans les locaux.
En 1957, lors d’une fête locale du Parti communiste à Montbéliard, Jean Cadet rencontra la future compagne de sa vie, Muguette Bencetti, militante de l’UJFF, dont la famille était connue pour ses engagements à la CGT et au PCF. Tout au long de leur vie, « les Cadet », Jean et Muguette indissociables, partagèrent leurs engagements.
En janvier 1958, Jean Cadet, qui avait bénéficié d’un sursis depuis le 13 décembre 1955, fut incorporé à Grenoble, au 93e RA. Il partit en Algérie en mai 1958 et fut démobilisé en mai 1960. Durant cette période il resta soldat de 2e classe. Il fut affecté à Duperré (actuelle Aïn Defla), dans une zone rurale considérée par les autorités militaires comme instable et classée « zone interdite ». À Miliana, il participa à l’encadrement d’un camp de regroupés, créé dans le cadre d’une stratégie militaire visant à priver l’Armée de Libération Nationale du soutien de la population locale. En 1958, lors du référendum du 28 septembre sur la nouvelle Constitution, Jean Cadet fit campagne pour le NON. Il envoya une lettre à France Observateur, qui en publia des extraits en anonymisant son auteur, dans un article intitulé « Échos du referendum en Algérie ». Il y témoignait des conditions dans lesquelles le vote était organisé à Duperré : « Il y a un Algérien qui demandait le non (NDLR : un bulletin « non ») : il a reçu un coup de matraque comme réponse. Les copains qui ont voté ici étaient obligés de demander les non, car il n’y en avait pas sur la table : les Européens les avaient planqués. Ce n’est pas difficile d’obtenir 98 % de oui ainsi ». Pour avoir milité pour le non Jean Cadet écopa de 15 jours de prison militaire à Alger.
Après sa démobilisation, Jean Cadet rentra dans le Pays de Montbéliard et épousa Muguette le 6 août 1960 De leur union naquit Valérie, le 1er avril 1964.
D’abord hébergé par la famille de Muguette à Bethoncourt, le couple fit l’acquisition en 1972 d’une maison située rue de la Résistance, qu’il occupa jusqu’en 2007, date du déménagement à Montbéliard.
Retourné à l’usine, il s’engagea dans le syndicalisme et prit rapidement des responsabilités à la CGT. Membre de la commission exécutive de Peugeot-Sochaux de 1960 à 1996, il intégra la Commission exécutive fédérale de la Métallurgie le 11 novembre 1968, date du 26e Congrès. Il en fut membre jusqu’en novembre 1973. De 1968 à 1969, il fut élu secrétaire général du syndicat de Sochaux. De même il fut longtemps directeur de la publication de la CGT de l’usine « le Métallo de Sochaux », dont il assurait une bonne partie de la rédaction. Son intérêt pour l’histoire ouvrière le conduisit à la fonction d’administrateur de l’Institut d’Histoire Sociale de la Métallurgie, et ce jusqu’à ce jour.
Longue est la liste de ses mandats syndicaux :
-  1963 - 1969 : délégué du personnel 2ème collège
-  1965- 1970 : représentant syndical au CE
-  1966-1969 : représentant syndical au CCE
-  1971-1976 : élu titulaire au CE
-  1971-1972 : élu suppléant au CCE
-  1973-1976 : élu titulaire au CCE
-  1973-1976 : secrétaire du CE
-  1974-1976 : membre du Conseil de Surveillance de PSA
-  1977-1996 : représentant syndical au CE
-  1978-1984 : représentant syndical au CCE
Jean Cadet fut également administrateur à la Mutuelle de Sochaux, de 1974 à 1979, administrateur à la CPAM de Montbéliard à compter du 9 mai 1984 et à la CRAM de Dijon à partir du 17 avril 1984.
Les années d’usine de Jean Cadet furent jalonnées par de nombreux conflits auxquels il participa comme militant et responsable syndical et dont il rendit compte dans Le métallo de Sochaux  : grève dite « des 100 sous » en 1965, grèves de 1968, « conflit des pistoleurs » en 1969, révolte des OS en 1981, conflit de 1989 pour les « 1500 balles ». À plusieurs reprises, comme représentant de la CGT, il participa aux négociations avec la direction. En 1968, celles-ci débouchèrent sur un protocole approuvé par les salariés le 20 juin et des acquis importants notamment en matière de salaires et de reconnaissance de la section syndicale dans l’entreprise. Le 24 novembre 1968 il intervint au 26e congrès de la fédération de la Métallurgie pour faire le bilan de « 68 à Sochaux ». En 1969 lors du « conflit des pistoleurs », les négociations desquelles Jean cadet fut partie prenante se soldèrent par l’instauration d’une assurance contre les aléas de carrière.
En 1997, Jean Cadet devint aussi le président de la SCOP éphémère créée par les salariés de la manufacture horlogère l’Epée de Ste Suzanne, dans le contexte du conflit qui éclata suite à la liquidation de l’entreprise.
Après sa retraite, Jean Cadet mena encore un combat contre la discrimination syndicale. Il était personnellement concerné puisque durant toutes ses années d’activité il était resté agent technique alors qu’il aurait dû terminer sa carrière comme cadre. Un accord général était intervenu le 11 septembre 1998, permettant à 169 salariés syndiqués à la CGT d’obtenir des redressements de carrières et des indemnisations pour le préjudice subi. L’accord prévoyait aussi qu’à l’avenir les militants auraient la même évolution salariale que la moyenne de leur catégorie professionnelle Mais ceci ne concernait que les actifs.9 retraités, anciens militants, dont Jean Cadet, saisirent en 2003 le Conseil des Prudhommes de Versailles puis la Cour d’appel, pour discrimination syndicale. Ils obtinrent gain de cause et touchèrent des indemnités conséquentes pour une somme totale de 190 000 euros. Jean Cadet toucha personnellement 50 000 euros dont il reversa, ainsi que ses camarades, 10% à la CGT.
Jean Cadet n’a jamais séparé l’action syndicale et la lutte pour la culture. Le 9 mars 1962 de la CGT, il devint administrateur de la Cité, association loi 1901 créée le 23 avril 1960 par le Comité d’établissement pour promouvoir les loisirs et la culture du personnel et de leurs familles. Il en devint vice-président le 15 mars 1963, puis président. Cette activité prit de l’ampleur de 1972 à 1984 période pendant laquelle le CE fut géré par l’alliance CGT-CFDT. On peut parler alors d’un véritable âge d’or de la culture ouvrière. La Cité développait une activité multiforme, dans laquelle Jean Cadet et Marcel Castioni, son animateur permanent, jouèrent un rôle de premier plan. Elle s’occupait des loisirs du personnel avec une section camping-tourisme et un centre situé à Clermoulin près de Clerval, qui devint un pôle culturel important de la région, sous l’impulsion de son animateur Pol Cèbe. La Cité favorisa aussi la création culturelle avec la commande en 1973 d’un film sur le CE. Elle soutint également le groupe Medvedkine de Sochaux, entre 1969 et 1974. Animé par de jeunes ouvriers aidés par des réalisateurs comme Bruno Muel, le groupe fut à l’origine de films comme Week end à Sochaux ou Le 11 juin 1968. Le théâtre des Habitants, 1ère troupe subventionnée par un CE, hébergé à Clermoulin, fonctionna de 1970 à 1972, avant d’être chassé par la direction Peugeot, à la suite d’un procès contre la troupe et le CE. En 1984, la Cité invita en résidence Jean-Paul Goux, qui écrivit « Mémoires de l’Enclave » sur le Pays de Montbéliard et sa classe ouvrière. La Cité c’était également une bibliothèque de 38 000 ouvrages, qui proposait aussi des prêts de disques. Elle était gérée par une commission dont Jean Cadet était le secrétaire. Emblématique de cette période, fut la lutte victorieuse menée par la CGT, animée par Jean Cadet, Marcel Castioni et Muguette Cadet, bibliothécaire, pour que le bibliobus qui circulait dans les communes périphériques de l’usine, puisse accéder à l’intérieur de l’enceinte de l’usine Peugeot. Suite au changement de majorité syndicale, La disparition de la Cité, symbolisée par la vente de Clermoulin et la destruction du stock de la bibliothèque fut un moment de grande tristesse pour Jean et Muguette.
En reconnaissance de son travail de promotion de la culture en milieu ouvrier Jean Cadet fut nommé en 1981 chevalier des Arts et Lettres par le ministre de la culture Jack Lang et promu officier en juin 2021.
Jean Cadet fut aussi engagé politiquement. La proximité avec le PCF, qui s’était développée durant sa jeunesse savoyarde, se concrétisa dès son retour d’Algérie, favorisée par des rencontres, à l’usine et dans le cercle familial. L’influence de militants aguerris, comme le parrain de Muguette, Oreste Pintucci, fut importante. Sa première adhésion au Parti Communiste Français date de 1961 et fut renouvelée sans interruption jusqu’en 1989. Il appartenait à la section d’entreprise de Peugeot-Sochaux et à la cellule des « services divers ». Jean Cadet, militant syndicaliste important de Peugeot Sochaux, qui fait un peu figure d’exception en tant que technicien dans une usine majoritairement constituée d’OS, fut élu au comité fédéral du PCF. Son engagement politique correspondait à des convictions profondes mais demeura secondaire par rapport au militantisme syndical. Pour preuve, il ne participa jamais à des « écoles du parti », ni fédérale, ni centrale. À la fin des années 1980, une crise importante divisa les communistes du Doubs : la fédération du PCF, dont le secrétaire était Martial Bourquin, entra en dissidence. Suite à la dissolution de la fédération du Doubs du PCF par le Comité Central à l’automne 1988, une scission de fait intervint à l’automne 1988 entre les militants qui rejoignirent la nouvelle « Fédération communiste du Doubs » et ceux qui décidèrent de rester au PCF. Jean Cadet comme la très large majorité des communistes du Doubs prit sa carte à la nouvelle « fédé », en 1989 et 1990, puis à la « Fédération démocratique de Franche-Comté » qui lui succéda en 1991 et cela jusqu’en 1995. Jean Cadet ne réadhéra pas au PCF, malgré les tentatives du parti, en particulier à l’époque du secrétariat de Robert Hue, de convaincre un certain nombre de militants du Doubs, dont lui-même, de réintégrer ses rangs.
Jean Cadet exerça un certain nombre de mandats locaux électifs. À Bethoncourt, sa commune de résidence, il fut élu conseiller municipal sur la liste communiste menée par Georges Winterhalter, victorieuse en 1971. ]Il le resta lors du mandat suivant, durant lequel Georges Winterhalter, principal du collège de Bethoncourt, démissionna en 1981 pour cause de mutation professionnelle. Jean-Pierre Lehec, ouvrier à Peugeot-Sochaux, lui succéda alors comme maire. L’équipe fut réélue en 1983 et en 1989. La plupart des élus communistes de la ville, à l’exception de Joseph Adami choisirent d’adhérer à la nouvelle fédération. Conseiller municipal jusqu’alors, Jean Cadet devint adjoint à la culture de 1989 à 1995. Durant ce mandat il participa à la création de l’Arche, scène conventionnée labellisée « enfance et jeunesse ». De même, en 1993, il contribua à la création de l’ADeC, association de développement culturel du PDM, réunissant 5 communes au départ, qui se concentre sur la promotion de la Littérature pour la Jeunesse, dans le cadre du programme « Livres Complices ». En 1995, la droite remporta les élections
Après sa retraite en 1996, Jean Cadet poursuivit son engagement syndical dans la section Retraités de la CGT PSA.
Il fut candidat à Montbéliard en 2008, 2014 et 2020, aux élections municipales sur des listes d’union de la Gauche. Il choisit à chaque fois de ne pas être en position éligible, en invoquant son âge.
Il poursuivit son engagement dans le domaine de la culture. Il fit ainsi partie du conseil d’administration du 19 CRAC (Centre régional d’art contemporain) de Montbéliard à partir de 1993, en devint vice-président puis démissionna en septembre 2017. De même Muguette et Jean Cadet furent de fervents soutiens du Théâtre de l’Unité, co-dirigé par Jacques Livchine et Hervée de Lafond, lorsqu’il s’installa à Montbéliard. Après le déménagement de l’Unité à Audincourt, sur le site de la Filature Japy, Jean en devint le président en juin 2007.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article245535, notice CADET Jean-Joseph par Véronique Bourquin-Valzer, version mise en ligne le 9 février 2022, dernière modification le 18 septembre 2022.

Par Véronique Bourquin-Valzer

Manifestation à Montbéliard en janvier 2022
Prison militaire à Alger

SOURCES : Entretiens avec Jean Cadet. — Archives personnelles de Jean Cadet. — Archives de la CGT PSA du site de Sochaux. — Archives de l’Est Républicain édition de Montbéliard. — Brochure de la CGT de Peugeot Sochaux :1912-2012 Un siècle d’Histoire ouvrière et de Luttes sociales, 2e édition mai 2013. — Jean-Paul Goux, Mémoires de l’Enclave, 1986, Éditions Mazarine, réédition en 2003 actes Sud. — Marcel Castioni, Le Caco Autobiographie à l’usage des miens, 2000. — Georges Minazzi, En marche. 30 ans de lutte à Peugeot-Sochaux. Itinéraire d’un militant , Paris, Syros, 1978.

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