FONT Jean

Par André Balent

Né le 16 juin 1907 à Prades (Pyrénées-Orientales), mort le 26 juin 1982 à Prades ; militant socialiste des Pyrénées-Orientales ; chef du mouvement « Combat » et chef adjoint de l’AS pour l’arrondissement de Prades, dirigeant départemental des Mouvements unis de Résistance (MUR).

Jean Font était le fils d’Antoine Font, maçon (vingt-neuf ans en 1907) et de Marie-Carmen Vall Llosera (vingt-deux ans en en 1907). Le 11 septembre 1933, il épousa Augustine, Marie Barnole née le 25 juillet 1915 à Ur (Pyrénées-Orientales), un village de Cerdagne. Leur fils, Jean-Jacques Font, fut directeur de l’école primaire de Prades.

Jean Font naquit à Prades, chef-lieu d’un vaste arrondissement montagneux des Pyrénées-Orientales. Son père était ouvrier maçon et sa mère épicière. Il fréquenta l’école primaire puis l’EPS de Prades. À l’âge de quinze ans, il travaillait comme apprenti épicier à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Il poursuivit son apprentissage à Avignon (Vaucluse), Bordeaux (Gironde) et Paris (Seine) après être resté à Perpignan pendant deux ans.

Alors qu’il demeurait en Avignon, Jean Font, dont la famille était de gauche, participa à diverses manifestations des partis ouvriers contre le général de Castelnau. Il était âgé à l’époque de dix-sept ans. Toujours pendant son séjour avignonnais, il adhéra à un club sportif, qu’animait un militant du PC.

Le 13 mai 1927, il fut incorporé dans le Ier régiment de Hussards à Tarascon (Bouches-du-Rhône). Après la dissolution de ce régiment, il effectua le reste de son service militaire dans la cavalerie, d’abord au 4e régiment de Hussards puis au 5e régiment de Dragons.

De retour à Prades, il travailla à l’épicerie familiale, place de la République. Plus tard, il fonda une épicerie en gros et devint le fournisseur de nombreux commerçants de l’arrondissement (Conflent, Capcir, Cerdagne et une partie des Fenouillèdes), ce qui lui permit de nouer des liens avec de nombreuses personnes dans un grand nombre de villages.

Jean Font adhéra à la section socialiste de Prades. Avec Michel Boix et Marius Fabre, il joua un rôle important dans la création du « cercle d’Avant-Garde » de Prades.

Ce cercle réunissait « les meilleurs militants de gauche et d’extrême gauche, sans distinction de parti » (article du n° 1 de l’hebdomadaire L’Avant-Garde, organe des cercles des communes de l’arrondissement de Prades, 11 février 1932). Bien que fondé à la veille des élections législatives de 1932, le « cercle d’Avant-Garde » de Prades n’avait pas comme unique objectif d’assurer la victoire du candidat de la SFIO, Joseph Rous* ainsi que l’écrit Léo Figuères* dans Jeunesse militante. En ces années où le PC de la « troisième période » pratiquait sa politique « classe contre classe » et de lutte contre les « socio-fascistes » le « cercle d’Avant-Garde » de Prades avait, fait singulier, un objectif avant tout unitaire : regrouper les militants des divers courants du mouvement ouvrier : en son sein, on retrouvait certes une majorité de militants de la SFIO, des syndicalistes confédérés ou unitaires mais aussi des militants qui avaient transité par le PC ou devaient y adhérer plus tard.

En 1932, Jean Font était secrétaire du cercle « L’Avant-Garde » de Prades. Le cercle fonda un périodique du même nom qui fut largement diffusé dans toute la circonscription de Prades (bien plus vaste que l’arrondissement : en effet, elle couvrait près des deux tiers du territoire du département des Pyrénées-Orientales, de la frontière andorrane au littoral salanquais). Le cercle, fondé à Prades, se développa bientôt dans d’autres localités, surtout en Conflent et regroupa plusieurs centaines de personnes. Le « cercle d’Avant-Garde » de Prades joua un rôle important tout au long de la campagne électorale fort mouvementée qui précéda le scrutin législatif de mai 1932. Son hebdomadaire contribua de manière décisive à la victoire de Joseph Rous*, candidat de la SFIO, qui ravit le siège de député à l’industriel René-Victor Manaut « radical de concentration républicaine » qui avait été sous-secrétaire d’État à la présidence du conseil dans le ministère Tardieu.

Jusqu’en décembre 1933, le « cercle d’Avant-Garde » conserva sa vocation unitaire. À cette date, il fut secoué par une crise dont les principaux protagonistes furent le député SFIO Joseph Rous* et Michel Boix, directeur du journal L’Avant-Garde. Après le retrait des amis de Boix, dont Jean Font faisait partie, le « cercle d’Avant-Garde » devint une annexe de la SFIO pradéenne dont le chef de file était, bien entendu Joseph Rous*. Le journal L’Avant-Garde devint l’organe officieux de la gauche (au sens large) de la fédération socialiste SFIO des Pyrénées-Orientales qui luttait alors sans relâche contre la majorité fédérale impulsée par le député de la circonscription de Perpignan, Jean Payra.

Bien qu’opposé à Rous* depuis la fin de 1933, Jean Font demeura membre de la section socialiste de Prades. Face aux « roussistes » largement majoritaires, il ne pouvait plus jouer le rôle de dirigeant et d’animateur qui avait été le sien au début des années 1930. Aussi jusqu’en 1940, date à laquelle la SFIO se désagrégea, demeura-t-il un simple militant de base.

Mobilisé le 2 septembre 1939, il fit la guerre dans une unité de blindés légers, le groupe de reconnaissance n° 87. Démobilisé le 25 août 1940 à Valençay (Indre), il regagna Prades, décidé à résister à l’envahisseur.

Pendant les années 1940-1944, Jean Font s’opposa à la reconstitution de la SFIO dans les Pyrénées-Orientales. Adversaire résolu du gouvernement de Vichy, il estimait que la lutte devait se situer dans un cadre strictement apartidaire. Aussi, dès 1940, il adhéra au mouvement « Combat ». En février 1941 – ou plus vraisemblablement selon d’autres sources, le 4 février 1942 –, il fut désigné par Marceau Gitard* chef ROP (Recrutement, Organisation, Propagande) de ce mouvement pour l’arrondissement de Prades. Il conserva ces responsabilités dans les Mouvements unis de Résistance (MUR) dont il fut également membre de la direction départementale où siégeaient notamment, en sa compagnie, l’instituteur Jean Parayre, Joseph Rous, originaire de Puyvalador (en Capcir) et homonyme du député SFIO de Prades, et Camille Fourquet* de « Libération ». Jean Font mit à profit son métier d’épicier en gros qui exigeait de fréquents déplacements dans tout l’arrondissement pour organiser « Combat » puis les MUR. Après l’occupation de la zone Sud par les troupes allemandes, (novembre 1942) la Cerdagne, région frontalière d’intérêt stratégique, était devenue « zone interdite ». Jean Font pouvait toutefois s’y rendre, car pour des raisons professionnelles, il bénéficiait d’une autorisation spéciale. Progressivement, il mit sur pied un solide réseau de relations regroupant, au niveau des communes et des cantons, de nombreuses dizaines et trentaines de « Combat » et des membres de réseaux. Parmi les militants les plus en vue de « Combat » puis des MUR de l’arrondissement de Prades —et/ou de réseaux comme « Ak-Ak » et « Mohrange »— qui collaboraient directement avec Jean Font nous noterons : Marcel Clos fils d’Alfred Clos et futur sous-préfet de Prades à la Libération, l’institutrice Lucette Justafré* d’Ille-sur-Têt, ancienne pivertiste qui adhéra au PCF à la Libération et devint un des principaux dirigeants de ce Parti dans les PO, Louis Thorent, employé des Ponts et Chaussées à Ille-sur-Têt et fils de Michel Thorent* de Sahorre (Pyrénées-Orientales), qui fut chef de trentaine à Ille, Antoine Cayrol, jeune boucher de Saillagouse, futur militant du PCF, Raymond Gaillarde* de Llo, Jean Vidal, chef de trentaine à Prades ; etc.... Après le 14 juillet 1942, Marceau Gitard vint en Conflent pour réorganiser « Combat » : Marcel Clos devint responsable de l’arrondissement de Prades et Jean Font fut son adjoint.

Le mouvement « Combat » – puis les MUR – de Prades organisa d’abord des passages clandestins dans la zone occupée (en fait beaucoup de membres du mouvement participaient à divers réseaux qui organisaient ces passages). Par la suite, après novembre 1942, il fit franchir la frontière franco-espagnole à des fugitifs français, britanniques, américains ou même soviétiques : diverses filières avaient été organisées par le Vallespir (arrondissement de Céret), le Conflent et surtout la Cerdagne (arrondissement de Prades). Nombreux furent les candidats au franchissement des Pyrénées que Jean Font hébergea clandestinement à son domicile.

Le 1er janvier 1943, Jean Font entreprit de créer l’AS sur l’arrondissement de Prades et le resta jusqu’au 22 mai 1943. Mais à la suite de la création des MUR, il devint l’adjoint de Michel Bosch devenu le chef de la nouvelle organisation militaire des MUR à qui fut confié vers la fin 1943, la création d’un maquis AS dans la région de Mosset (Conflent) et Rabouillet (Fenouillèdes) qui regroupa initialement environ quarante personnes. « Intendant » du maquis après la formation des FFI, Jean Font assura son ravitaillement. Après la Libération, Jean Font obtint le grade de sous-lieutenant pour son action au sein des FFI. Il avait pris comme pseudonymes : « Fernand », « Fontès », « Carmet ».

En 1944, Jean Font assura la réception de matériel parachuté qu’il distribua aux divers maquis. À cette époque, il eut des contacts avec Gilbert de Chambrun chef de la Région 3 des MUR. Alors qu’il s’apprêtait à se rendre à Carcassonne pour rencontrer précisément de Chambrun, il faillit se faire arrêter. Traqué, il se réfugia à Font-Romeu, en Cerdagne, où il se fit héberger par une infirmière (sans doute Évelyne Peyronnel, du « Home catalan »), membre de son mouvement, dans un sanatorium. Le 18 août 1944, un jour avant la libération, il dut rejoindre le maquis.

Président du Comité d’arrondissement de Libération et membre du Comité départemental de Libération, Jean Font participa activement à la désignation des nouvelles municipalités de l’arrondissement. Il demeura, pendant une semaine environ, président du Comité local de Libération de Prades avant de démissionner de cette charge. Il refusa également de devenir maire de sa ville natale.

Après la Libération, Jean Font participa à la reconstitution du Parti socialiste SFIO dans les Pyrénées-Orientales et siégea au comité fédéral de ce parti. Toutefois, il demeurait hostile à Joseph Rous*, député de l’arrondissement avant 1940 qui, entre-temps, était revenu à Prades. En 1949, alors qu’il était secrétaire de la section socialiste SFIO de Prades, il n’hésita pas à braver la discipline de parti. Aux élections cantonales des 20-27 mars 1949, alors que le candidat de la SFIO pour le canton de Prades n’était autre que Joseph Rous*, il se présenta à ce scrutin en « outsider ». Outre Font et Rous deux autres candidats étaient en lice : un du PCF et un du RPF. Font n’obtint que 308 voix au premier tour. Il renonça au scrutin de ballottage et Rous fut élu grâce au report des voix communistes. Dès 1947, Font refusa le « nouveau cours » anticommuniste pris par la SFIO, notamment après le renvoi des ministres communistes du gouvernement Ramadier. Son attitude, lors des élections municipales de mars 1949, s’explique autant par ses convictions politiques (il n’admettait pas que la candidature Rous* remît en cause l’hégémonie que le PCF exerçait sur le canton de Prades depuis la Libération) que par son hostilité au personnage de Rous* (inimitié qui remontait à l’« affaire Boix », en novembre-décembre 1933).

Après avoir quitté la SFIO, Jean Font fut le principal fondateur du groupe départemental de l’Union progressiste qu’il anima avec des militants comme Cyprien Lloansi* et un enseignant Robert Lapassat, qui fut principal du collège de Prades dans les années 1970. Il fonda et dirigea un journal, Clarté, qui fut dans les années 1950 et au début des années 1960 l’organe du groupe des Pyrénées-Orientales de l’Union progressiste. Ce groupe se désagrégea lorsque la plupart de ses membres, dont Cyprien Lloansi*, fondèrent un nouveau groupe affilié à la Convention des institutions républicaines (CIR). Jean Font se refusa pourtant, à la différence de ses amis, à rejoindre les rangs de la CIR. Il demeura dès lors en dehors de toute organisation politique. Pourtant, il continua de participer activement à la vie politique pradéenne, électorale surtout. Ainsi en mars 1971 joua-t-il un rôle déterminant dans la constitution d’une liste composée d’anciens de « l’Avant-Garde », de l’Union progressiste et de jeunes militants sympathisants de la nouvelle extrême gauche pour les élections municipales. Cette liste n’eut d’ailleurs aucun élu, pas plus que celle du PCF avec laquelle elle avait fusionné au second tour de scrutin. En 1975-1976, Jean Font était très proche du CERES où militaient certains de ses camarades de Résistance comme Louis Torrent*. Il fut à ce moment-là tenté d’adhérer au PS. Nous ignorons s’il le fit.

Jean Font devint chevalier de la Légion d’honneur pour sa participation active à la Résistance. Il fonda l’Amicale des Résistants de Prades et de la région dont il assuma la présidence jusqu’à sa mort. Il fut également vice-président de l’Union départementale des combattants volontaires de la Résistance.

Jean Font mourut à Prades le 26 juin 1982 et fut enterré civilement.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24570, notice FONT Jean par André Balent, version mise en ligne le 15 février 2009, dernière modification le 29 septembre 2017.

Par André Balent

SOURCES : Arch. personnelles de Jean Font (concernant la Résistance). — Roger Bernis, Les Pyrénées-Orientales sous la IVe République, thèse de doctorat ronéotée, Perpignan 1972, tome I, p. 271. — Roger Bernis, Roussillon politique. Du réséda à la rose…, t. I : Le temps de la Quatrième (1944-1958), Toulouse, Privat, 1984, p. 80. — Léo Figuères, Jeunesse Militante, Éditions sociales 1971, p. 22. — Ramon Gual, Jean Larrieu, Vichy, l’occupation nazie et la Résistance catalane, II b, De la Résistance à la Libération, Prades, Terra Nostra, 1998, p. 427, 449, 473, 476, 478, 559, 838. — Jean Larrieu, « Aspects de la Résistance française dans la montagne catalane » dans Conflent, Vallespir et montagnes catalanes, Actes du LIe congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1980, p. 233-244. — Jean Larrieu, Vichy, l’occupation nazie et la Résistance catalane, t. I : Chronologie des années noires, Prades, Terra Nostra, 1994, p. 99, 106, 129, 194, 285. — L’Avant-Garde, journal des « cercles d’Avant-Garde de l’arrondissement de Prades » (années 1932-1933). — L’Indépendant, Perpignan, 27 juin 1982. — Interview de Jean Font, 1974. — État civil de Prades.

ICONOGRAPHIE : Gual, Larrieu, op. cit., p. 476 et 838.

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