Né le 13 août 1850 à Gand (Belgique) ; mort le 2 juin 1910 à Paris ; typographe ; blanquiste ; franc-maçon ; communard ; député socialiste de 1893 à sa mort.
Emmanuel Chauvière, né en Belgique, de parents français, vécut à Paris dès son enfance. Il habita, 56, rue de Turbigo, dans le IIIe arr., et travailla comme comptable puis comme correcteur au journal officiel.
À dix-huit ans, « petit blond, rose, imberbe, mais cachant sous une apparence frêle une grande énergie », il participa à la manifestation blanquiste du 3 décembre 1868 sur la tombe de Baudin, au cimetière Montmartre. Lemaire, Kellermann, Moissonnet et lui furent arrêtés et tous les quatre condamnés, le 23 décembre, à un mois de prison, (cf. M. Dommanget, Blanqui et l’opposition révolutionnaire..., op. cit.)
Le 5 mars 1869, Emmanuel Chauvière devait encourir une deuxième condamnation — six mois de prison par la 6e Chambre du tribunal correctionnel — pour « excitation à la haine des citoyens les uns contre les autres » (M. Dommanget, op. cit.).
En 1870, il aurait été encore une fois condamné à deux mois de prison pour contravention à la loi sur les réunions publiques.
Peut-être appartint-il à l’Internationale (Arch. Min. Aff. étrangères Belgique, 119 II).
Pendant le 1er Siège, Emmanuel Chauvière fut sergent-major aux Francs-Tireurs de la Seine ; il fut incorporé, le 17 janvier 1871, à la 9e compagnie sédentaire du 82e bataillon de la Garde nationale, et il fut fait prisonnier le 4 avril au plateau de Châtillon. Le 11e conseil de guerre le condamna, le 26 décembre 1871, à cinq ans de prison, cinq ans de privation des droits civiques et cinq ans de surveillance (Arch. Nat., BB 24/792).
Pour la période 1864-1871, nous avons noté l’activité militante d’un ou de plusieurs Chauvière. Nous versons ces éléments au dossier sans pouvoir préciser si nous avons là quatre, trois, deux ou un militant et quel lien établir avec Chauvière Emmanuel, Jean, Jules.
Emmanuel Chauvière, membre de l’Association Internationale des Travailleurs, signa le manifeste contre la guerre adressé aux travailleurs de tous pays, en juillet 1870.
Le même Chauvière fut-il membre du Club démocrate socialiste du XIIIe arr. de Paris, qui adhéra en bloc à l’Internationale le 25 novembre 1870 ?
En tant que délégué des vingt arrondissements, un nommé Emmanuel Chauvière signa l’Affiche rouge du 6 janvier 1871, proclamation au peuple de Paris pour dénoncer « la trahison » du gouvernement du 4 septembre et pour mettre en avant trois mots d’ordre : Réquisition générale, rationnement gratuit, attaque en masse. Elle se terminait par ces mots : « Place au peuple ! Place à la Commune ! » Voir Ansel.
Parmi les noms qui figurent au bas d’une affiche du Comité central de la Garde nationale, le 4 mars 1871, se trouve celui d’un certain Chauvière (affiche reproduite dans Bruhat, Dautry, Tersen, La Commune de 1871, op. cit., p. 100).
Enfin, un dénommé Chauvière obtient 1500 voix (non élu) dans le XVe arrondissement lors des élections du 26 mars 1871.
Quoi qu’il en soit, Emmanuel Chauvière passa en Belgique au sortir de prison et y vécut de son métier jusqu’à l’amnistie de 1880 qui lui rouvrit le chemin de Paris où il reprit son action. Il créa l’association « Les Chevaliers du Travail » dont il fut le premier Grand Maître, dans le dessein de fonder une franc-maçonnerie ouvrière, mais renonça vite à cette idée. Il fut un des premiers à rejoindre le Comité révolutionnaire central regroupant, à partir de juillet 1881, les blanquistes d’Éd. Vaillant de qui il devint un familier et un compagnon de lutte. Il participa à toutes ses initiatives, à tous ses combats. Il adhéra à la Ligue pour la suppression de l’armée permanente, participa en décembre 1887 aux manifestations populaires d’hostilité contre Jules Ferry, candidat à la présidence de la République. Serviteur agissant du culte de la Commune dont les blanquistes se faisaient volontiers les grands prêtres, il fut souvent leur orateur délégué en province pour les commémorations rituelles du 18 mars 1871. Le 8 août 1888, au cimetière du Père-Lachaise, après F. Pyat et Vaillant, il prononça un discours sur la tombe du général de la Commune, Eudes.
Lorsque le CRC se scinda en deux fractions équivalentes pour ou contre le révisionnisme, il suivit Vaillant dans la lutte antiboulangiste. Cette fraction fut bientôt la seule héritière du blanquisme et, le 1er juillet 1898, elle se constitua en Parti socialiste révolutionnaire, son organisme directeur gardant l’appellation de Comité révolutionnaire central.
En son nom, Emmanuel Chauvière remporta maints succès électoraux. En 1884, candidat au conseil municipal dans le quartier de Javel (XVe arr.), il recueillit 645 voix sur 2 595 inscrits et, en 1887, 953 sur 3 089. Le 6 mai 1888, par 1 127 voix contre 904 au radical Curé, il enleva ce siège malgré la candidature socialiste rivale d’E. Chausse que, suspectant la sincérité de son antiboulangisme, lui suscitèrent les possibilistes parisiens, et qui n’attira que 55 suffrages. Deux ans plus tard, il conserva son mandat au premier tour par 1 615 suffrages sur 3 590 inscrits et il fut réélu dans les mêmes conditions en 1893 par 2 779 sur 3 587. En 1885, aux élections législatives, il figura sur la liste fédérative socialiste où voisinaient toutes les tendances et sur la liste de coalition révolutionnaire patronnée par Le Cri du Peuple et menée par H. Rochefort où il était le douzième des trente-huit candidats. Il recueillit 13 912 voix. En 1889 dans la 2e circonscription du XVe arr., il obtint 1 138 suffrages. Il y fut élu en 1893, passant du premier au deuxième tour de 3 322 à 3 705 suffrages. Il remplaça Laguerre au Parlement. En 1896, il ne demanda pas le renouvellement de son mandat municipal, mais fut toujours réélu député, comme candidat du Parti socialiste révolutionnaire en 1898 avec 4 047 et 4 653 voix, comme candidat du Parti socialiste de France en 1902 avec 4 705 et 6 228 voix, comme socialiste SFIO en 1906 au premier tour avec 6 989 voix et en 1910 avec 3 901 et 5 151 voix contre 4 609 à Chenoux, radical-socialiste, et 4 051 au conservateur Bertrand d’Aramon. Il bénéficia du désistement du « socialiste » Boucheron qui avait recueilli 1 384 suffrages.
Élu d’un quartier populaire, il maintint avec ses mandants un contact étroit par son comportement et par son action. Ses électeurs pouvaient, tous les mercredis, venir chez lui présenter leurs doléances ou s’entretenir avec leur représentant. Il résida successivement rue Lhomond (1882) pour un loyer annuel de 450 F, rue du Cardinal Lemoine pour 850 F et place Beaugrenelle (Paris, XVe) après son élection au siège de conseiller municipal de Javel en 1888. Il ne se serait pas acquitté aussi ponctuellement de sa cotisation d’élu à son parti, au grand désespoir du trésorier Camélinat. Au Parlement comme à l’Hôtel de Ville, il se fit le défenseur assidu de son quartier, s’attachant à lui obtenir des secours à l’occasion de calamités quelconques, à le doter d’un bureau de poste et d’un lycée de jeunes filles, à assurer à l’Imprimerie nationale tous les travaux de l’État et à ses ouvriers et employés une retraite améliorée. Il s’associa à quelques initiatives ou en prit lui-même de plus générales, inspirées du même souci de défendre les déshérités, invalides, vieillards, chômeurs, ou de protéger les travailleurs les plus défavorisés ou victimes de catastrophe. Avec l’aide de sa femme, il dota sa circonscription d’un réseau d’œuvres antituberculeuse.
Affecté par la mort de son épouse qui était étroitement associée à sa vie militante, surmené par sa campagne électorale, Emmanuel Chauvière ne survécut que de quelques semaines à sa réélection de 1910. Avec lui disparut une physionomie du vieux mouvement révolutionnaire, un « tempérament de militant parfois un peu incompréhensif des formes modernes de l’organisation socialiste » (L’Humanité, 3 juin 1910).
ŒUVRE : Journaux auxquels Chauvière collabora : Ni Dieu, ni Maître. — Le Parti socialiste, organe du CRC. — L’Intransigeant. — Le Cri du Peuple. — L’Homme libre. — L’Humanité (quelques articles).
Écrits divers : Le Droit du Peuple. — L’Histoire devant la Raison et la Vérité (deux ouvrages écrits à son retour d’exil après l’amnistie de 1880 : nous n’avons pu en retrouver la trace). — Préface à Roumieux Irénée. La Vérité sur Dieu et les horreurs de la religion in Biblioth. de la Libre Pensée socialiste, Lille, 1895, in-8° Bibl. Nat., 8° R. 6199.
SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., p. 145-146 et Les Fédérations socialistes, t. III, op. cit., p. 132 à 170. — Charles Da Costa, Les Blanquistes, Paris, 1912, pp. 30, 59, 63, 67. — Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871. — Claude Renault, Le Mouvement socialiste parisien de 1881 à 1885, DES, Paris, exemplaire dactylographié, p. 95. — L’Humanité. 3 juin 1910. — H. Perrin, Document, Bourse du Travail de Besançon, n° 6, s.l.n.d. et sans titre. — Cl. Willard, La correspondance de Charles Brunellière, socialiste nantais, 1880-1917, Paris, 1968. — M. Dommanget La Chevalerie du Travail, op. cit.. — Michel Offerlé, Les socialistes et Paris, 1881-1900. Des communards aux conseillers municipaux, thèse de doctorat d’État en science politique, Paris 1, 1979. — Blanqui et les blanquistes … Préf. de Ph. Vigier, Paris, SEDES, 1986, 149, 215, 237.