CREUS Armand (Arthur, Martin, Alien)

Par Gilles Lemée

Né le 1er août 1948 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; militant à la LC/LCR, au NPA, à la Gauche Unitaire puis d’Ensemble ! ; employé à la Mutualité sociale agricole (MSA), puis à la Communauté Urbaine de Lyon ; militant syndical au SNES-IPES, à la CFDT puis à la CGT (bureau national de l’Ufict-CGT des Services Publics).

Armand Creus est né dans la salle commune de l’hôpital de Perpignan. Son père Joseph Creus et sa mère Anita Berbel étaient réfugiés politiques espagnols fuyant la dictature franquiste. Son père, né en France de parents espagnols et vivant en France à Perpignan, fut l’objet d’une demande d’expulsion de France en 1939 comme « étranger indésirable », probablement en raison de ses sympathies communistes. Après six mois de prison pour infraction à cet arrêté d’expulsion, lors de la Retirada des républicains espagnols, il fut interné comme tel dans les camps d’Argelès-sur-Mer en 1940 et du Vernet en 1941, date à laquelle il fut remis à Franco par le régime de Vichy. Il connut alors les « Bataillons disciplinaires de soldats travailleurs » franquistes. Rendu à la vie civile en 1943 à Barcelone il y rencontra l’andalouse Anita Berbel qu’il épousa en 1948. Lors de leur voyage de noces, fuyant la dictature franquiste ils se réfugièrent en France. Quand Armand naquit, son père soignait une tuberculose en sanatorium à Osseja (Pyrénées-Orientales) en Cerdagne française près de la frontière espagnole. Sa mère élevait son fils en gagnant sa vie comme « bonne espagnole » à Perpignan dans la famille du docteur Delseny. Le regroupement familial eut lieu à Osseja en 1954 : Armand avait donc six ans lorsqu’il fit la connaissance de son père. C’est cette année-là aussi que naquit sa petite sœur Élisabeth avec laquelle il a construit une affectueuse complicité. Dans ce village pyrénéen, il a vécu une enfance paisible et le début de son adolescence. Excellent élève, reçu 1er du canton de Saillagouse (Pyrénées-Orientales) au Certificat d’Études Primaires, il réussit le concours d’entrée à l’École Normale de Garçons de Perpignan, promotion 1963-1967. En pension à Perpignan, il était accueilli les week-ends dans le quartier populaire de Saint-Gauderique par sa tante Odette et son oncle Jean. Celui-ci, militant et responsable communiste, avait été membre des Brigades Internationales pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) puis résistant en France contre l’occupation nazie. « Oncle Jean » a fait partie des personnes ayant beaucoup compté pour Armand Creus et marqué son engagement politique et internationaliste.
À la rentrée universitaire1967-1968, Armand Creus était en formation pour devenir PEGC (Professeur d’Enseignement Général de Collège) et fréquentait le Centre Littéraire Universitaire de Perpignan. C’est là que la grève étudiante, prélude au grand mouvement ouvrier de mai-juin 1968, le surprit. Il devint l’un des leaders du « Mouvement du 10 mai » formé en solidarité avec les étudiants parisiens occupant la Sorbonne. Il y rencontra deux autres initiateurs du mouvement étudiant local : Daniel Pardo et Jean-Claude Romano, tous deux membres de la JCR (Jeunesse Communiste Révolutionnaire) qui le rapprochèrent du trotskysme et du marxisme révolutionnaire. Ayant réussi le concours des IPES (pour devenir professeur de français), il se retrouva à la rentrée universitaire 1968-69 dans le chaudron de la faculté des Lettres Paul Valéry à Montpellier et avec « Patchou » (qui deviendra aussi militante de la Ligue Communiste et l’épouse de Paul Alliès), ils créèrent la section SNES-IPES. Trois rencontres ont été déterminantes pour son engagement politique. Tout d’abord, dans le cadre des Cercles Rouges de la faculté, celle de Paul Alliès, fondateur de la JCR à Montpellier. En avril 1969, Armand Creus fut délégué au Congrès clandestin de fondation de la Ligue Communiste à Mannheim (RFA). Puis il fit la rencontre de Daniel Bensaïd dans le cadre du travail de solidarité avec les camarades espagnols et des échanges entre les groupes LC de Montpellier et de Toulouse. La troisième rencontre fut celle d’Alain Krivine : celui-ci l’hébergeait souvent lors des réunions à Paris du Comité Central de la LC dont Creus fut élu membre en 1970. Il en fut membre jusqu’en 2000 et renonça à ce mandat au nom du « rajeunissement ». À ce titre, il participa activement à la préparation du 3e Congrès de la LC (décembre 1972) : il fut, avec Daniel Bensaïd (Jébracq), Antoine Artous (Anthony) et Paul Alliès (Stéphane), un des signataires du « fameux » BI 30 (Bulletin Intérieur). « Fameux » ce bulletin le resta dans la LC car emblématique du cours gauchiste et volontariste des premières années de la LC. Après le 21 juin 1973 qui vit l’interdiction de la Ligue par le pouvoir gaulliste suite à une manifestation contre un meeting d’Ordre Nouveau à Paris, Creus devint permanent officiel de la LCR qui succéda à la LC dissoute.
Ceci coïncida avec son transfert à Lyon avec sa compagne Aline Pfluger (également membre de la LCR). Ce transfert se fit dans le cadre de la décision de la LCR (sous l’impulsion notamment de Jeannette Habel) de renforcer son implantation dans certaines villes où la concentration ouvrière était importante. Creus fit donc partie d’une équipe de quatre qui s’installa à Lyon courant 1973. Il y retrouva Denis Marx (venu de Rouen où il était également permanent), Bruno Delannoy (de Macon) et Pierre Savignat (de Paris). Cette « greffe » comme on l’appelait alors, prit difficilement car percutée par une opération entriste dans la LCR du courant lambertiste relayée par Bruno Delannoy, qui aboutit à une scission nationale en 1979. Alors qu’un autre courant se structurait, dit « groupe de travail », animé notamment par Jean-Michel Drevon d’origine lyonnaise. L’année 1975 fut une année importante à Lyon. Ce fut celle de grandes luttes sociales : grèves des grandes usines Paris-Rhône et Vidéocolor où les militant.e.s. s d’extrême gauche, notamment maoïstes mais aussi de la LCR, qui avaient acquis une influence importante dans des syndicats CGT de ces entreprises et dans l’UD-CFDT, jouèrent un rôle important avec structuration de Comités de grève. 1975 fut aussi l’année d’une répression forte du mouvement des Comités de soldats luttant dans l’armée pour la reconnaissance des droits démocratiques pour les militaires et notamment les appelés. Répression contre les soldats membres de ces Comités mais aussi contre les civils qui les soutenaient dans des Comités de Défense des Appelés (CDA) où la LCR tenait une place importante. Creus était membre du Comité de Lyon. Il fut arrêté avec son camarade de la LCR Gérard Léger et deux militant.e.s anarchistes, Maryvonne Marcoux et Mimo Pucciarelli. Il effectua un mois de prison à Fresnes accusé d’atteinte à la sûreté de l’État. Défendu par Me Jouffa, un non-lieu fut prononcé, les dossiers étant vides. Après sa libération, il participa à deux grands meetings de solidarité, à Lyon et à Montpellier. À la suite à sa rencontre avec Anne Charmasson (Lol), membre de la LCR (JCR puis un mandat au Comité Central) qui deviendra une animatrice du mouvement féministe lyonnais, Armand Creus s’installa définitivement à Lyon. Ils ont eu deux enfants. Il cessa d’être permanent en 1978 et connut une période de chômage. Il resta membre de la direction locale et nationale de la LCR. Il trouva du travail comme employé à la Mutualité Sociale Agricole du Rhône (MSA) où il eut une première expérience de délégué syndical à la CFDT, majoritaire. En 1985, membre de la Commission Nationale Embauches de la LCR il fut volontaire pour « le tournant dans l’industrie » décidé pour renforcer l’implantation de la Ligue dans de grandes concentrations ouvrières de la métallurgie et de la chimie. Après une reconversion professionnelle, avec un CAP d’électricien, ne trouvant d’embauche que dans de très petites entreprises, il passa un concours et entra en 1989 comme rédacteur à la Communauté Urbaine de Lyon (Courly, puis Grand Lyon et aujourd’hui Métropole). Il y effectua l’essentiel de sa carrière professionnelle dans le domaine de l’urbanisme jusqu’en 2013, date à laquelle il prit sa retraite avec le grade d’Attaché Principal.
Il avait adhéré à la CGT en 1990 et devint Secrétaire général du Syndicat Ugict-CGT Grand Lyon avec une équipe renouvelée et rajeunie. Cette équipe joua un rôle important aux côtés de deux autres syndicats CGT du Grand Lyon (celui de la Propreté et celui des Technico-Administratifs) dans les grandes grèves de 1995 qui furent conduites dans une unité d’action intersyndicale sans failles. Ces deux syndicats CGT s’étant rapprochés de son Syndicat Ugict CGT il dut faire face à une campagne d’accusations contre lui en qualité d’adhérent de la LCR, visant à le pousser hors de la CGT. En réaction, il fut à l’origine de la tenue d’un congrès de ces trois syndicats qui s’organisèrent en un « Groupement CGT » qui prit toute sa place dans des luttes importantes et obtinrent des avancées sociales sous les mandats des Présidents du Grand Lyon : Michel Noir, Raymond Barre, Gérard Collomb (deux mandats). Notamment lors de la grande grève des éboueurs en 2012 où s’affirma une jeune équipe syndicale à la CGT Propreté animée par son nouveau Secrétaire général Djamel Mohamed. Par ailleurs Creus devint un dirigeant national de l’Union Fédérale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens de la Fédération CGT des Services Publics (UFICT-CGT des SP), membre du bureau national de 2004 à 2012. Il fut délégué à plusieurs congrès confédéraux CGT. Celui de 1992 en pleine « guerre du Golfe » où Henri Krasucki céda la place à Louis Viannet. Au 45° congrès tenu en plein mouvement de grève contre le Plan Juppé il prit sa place dans la bataille pour l’extension de cette grève vers un mouvement de grève générale et au 46° congrès à Strasbourg lors de la passation de responsabilités entre Louis Viannet et Bernard Thibault, aboutissement de réorientations fortes de la CGT depuis la chute du mur de Berlin en 1989.
Politiquement, Creus poursuivit son engagement politique en participant au congrès de clôture de la LCR et de constitution du NPA en 2009. Il le fit dans le cadre du courant Unir de la LCR qui mena et perdit le débat pour que le NPA participe à la création du Front de Gauche aux côtés du PCF et du Parti de Gauche (PG) récemment créé par Jean-Luc Mélenchon. Il quitta alors le NPA pour créer la Gauche Unitaire aux côtés de Francis Sitel, de Christian Picquet et de son ami et camarade lyonnais Denis Marx. De 2010 à 2015, il exerça un mandat à la Région Rhône-Alpes comme Conseiller Régional Front de Gauche et participa à la création du Mouvement « Ensemble ! Pour une Alternative de gauche écologiste et solidaire » en 2013. Armand Creus a toujours mené un combat antifasciste avec conséquence, devenant l’un des animateurs du Comité de Vigilance contre l’extrême droite qui joua un rôle clé dans les grandes mobilisations qui contribuèrent à faire échouer l’alliance de Charles Millon (UDF) et de Bruno Gollnisch (Front National) au Conseil Régional Rhône-Alpes en 1998. Depuis 2010 il milite avec des associations et collectifs de solidarité avec les migrant.e.s. Dans la lignée de son combat anti fasciste et internationaliste – et fidèle à ses origines familiales – il mène inlassablement le combat pour la réhabilitation de la mémoire historique et démocratique de l’Espagne Républicaine de 1936-1939. Le droit à l’autodétermination du peuple catalan reste au cœur de son engagement politique. Dès 1970 au sein de la Ligue Communiste, il était partie prenante d’un travail de solidarité militante avec les camarades de la LCR de l’État espagnol alors clandestine. En 2017 il a soutenu les mobilisations du peuple catalan lors du référendum du 1er octobre. Il participe à la Coordination nationale des Collectifs de Solidarité avec la Catalogne, au Comité pour l’Amnistie (ex. Comité pour la Libération des Prisonniers politiques catalans) et à la Commission État Espagnol d’Ensemble !

Et par ailleurs -souvenir de son souhait de jeunesse de devenir professeur de français ? - il participe depuis 2009 à un atelier d’écriture hebdomadaire de l’Association « Dans Tous Les Sens » de Vaulx-en-Velin (Rhône), dont il est un membre actif. Il est l’auteur d’un livre (« Sincèrement et sans ornements », Éditions www.equi-librio.org). Son cœur en est le témoignage de son père. Témoignage sur les camps français pour Républicains espagnols après la Retirada, la retraite forcée de quelques 500 000 républicain.e.s espagnol.e.s, les « rouges », passant avec armes et bagages ( dont ils furent vite délestés) la frontière française en février 1939 après la prise de Barcelone par l’armée de Franco . Témoignage sur la répression franquiste qu’il a subi en Espagne. Ce livre est aussi un témoignage sur son propre engagement.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article246036, notice CREUS Armand (Arthur, Martin, Alien) par Gilles Lemée, version mise en ligne le 2 mars 2022, dernière modification le 17 mai 2022.

Par Gilles Lemée

SOURCES : Entretien avec Armand Creus par Gilles Lemée, janvier-février 2022. — « Mai 68 à Perpignan » : blog d’A. Creus sur Mediapart. — A. Creus, « Sincèrement et sans ornements », éditions www.equi-librio.org.

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