LEMONNIER Guy, Louis, Pierre. Pseudonymes : HARMEL Claude, MILON René

Par Jean Maitron

Né le 20 janvier 1916 à Vimarcé (Mayenne), mort le 14 novembre 2011 à Clamart (Hauts-de-Seine) ; professeur de lettres ; militant syndicaliste et socialiste ; responsable du RNP pendant l’Occupation ; documentaliste au Bureau d’études et de documentation économiques et sociales ; journaliste ; animateur du pôle anticommuniste créé par Georges Albertini et en particulier du Bulletin d’études et d’informations politiques internationales (devenu Est et Ouest en 1956), l’Institut supérieur du travail, l’Institut d’histoire sociale et des Études sociales et syndicales dont il fut le principal rédacteur.

Fils d’Albert et de Clotilde Lemonnier, instituteurs (huit enfants), époux d’Armelle Brilleaud (marié le 21 décembre 1940 à Dinan), fille d’Octave Brilleaud*, maire socialiste puis néo-socialiste de Saint Brieuc (Côtes-du-Nord), Guy Lemonnier fit des études (boursier d’État) au collège universitaire de Château-Gontier (Mayenne) puis à la faculté des lettres. Licencié ès-lettres classiques en juin 1938, il fut nommé professeur au lycée de Brest le 6 octobre 1938.

Voulant rallier le Parti socialiste en 1933 (il n’existait pas de section de Jeunesses socialistes à Château-Gontier), il adhéra de fait aux Étudiants socialistes à Rennes en octobre 1934, puis fut secrétaire des Jeunesses socialistes de Rennes en 1937-1938, et membre du Parti socialiste à partir du 1er janvier 1938 (section de Rennes puis de Brest). Il aurait adhéré aux Amis de l’Union soviétique, organisation avec laquelle il rompit après le pacte franco-soviétique de mai 1935. Le changement radical d’attitude du Parti communiste vis-à-vis de la défense nationale qui s’en suivit fut, semble-t-il, déterminant dans son anticommunisme. Il fut membre de l’Union fédérale des Étudiants de 1934 à 1938, du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, du Comité rennais des Auberges laïques de la Jeunesse, de la Libre pensée rennaise, du syndicat des personnels de l’Enseignement secondaire (SPES), affilié à la Fédération générale de l’Enseignement CGT (1938-1939). Guy Lemonnier publia ses premiers articles dans l’Aurore d’Ille-et-Vilaine (organe de la Fédération socialiste), le Breton socialiste (Finistère), Viens avec nous, organe pour la Bretagne du CLAJ dont il fut l’un des animateurs régionaux.

Partisan de Léon Blum, en particulier depuis sa série d’articles destinés à combattre le néo-socialisme (Le Populaire, juillet-août 1933), il défendait, depuis l’adolescence, la nécessité d’un rapprochement franco-allemand, par horreur de la guerre et continua de le faire même après l’arrivée de Hitler au pouvoir. Les prises de positions de Léon Blum* en matière de politique internationale l’éloignèrent progressivement de ce dernier.

Il prit part à la grève du 30 novembre 1938 et fut sanctionné bien qu’il épousât alors la ligne de Syndicats de René Belin*. Il fut l’ami de Josette Cornec* et Jean Cornec* qui lui firent connaître Roger Hagnauer* et Yvonne Hagnauer* (quand il sera en prison, Yvonne Hagnauer recueillera sa femme et son fils à la Maison d’enfants de Sèvres). Il s’intéressa également à l’attitude La Révolution prolétarienne, « pour son pacifisme ». Cependant, il devient le correspondant pour le Finistère de la tendance « Redressement socialiste », créée au sein de la SFIO à la suite du congrès de Royan (4-8 juin 1938) par Ludovic Zoretti* dont les articles ambigus, lors de la crise tchèque, firent scandale. Il milita alors activement pour la paix dans le sillage du Syndicat national des instituteurs et avec certains militants du PSOP. Dans Redressement, Marc Dussaux donna une étude sur l’évolution économique du national-socialisme d’où il ressortait que le capitalisme d’État à l’état pur n’avait plus cours en Allemagne, et que l’ensemble des mesures économiques et financières prises constituaient une structure pré-socialiste. Cette conception, partagée par G. Lemonnier, des régimes dits « intermédiaires » joua un rôle non négligeable dans l’orientation prise par certains socialistes munichois après la défaite de juin 1940 : la collaboration et la volonté d’instauration d’un national-socialisme français.

Mobilisé en septembre 1939, élève officier de réserve à Laval puis à Saint-Cyr, il fit la connaissance en janvier 1940, au Centre confédéral d’Éducation ouvrière de la CGT, de Georges Lefranc* et de Georges Albertini*, permissionnaire. Nommé aspirant le 10 mai 1940, affecté à Libourne, il fut démobilisé en septembre 1940. Professeur au collège de Dinan (Côtes-du-Nord), d’octobre 1940 à juillet 1943, titularisé en 1942, il soutint cette même année un diplôme d’études supérieures : « Du réalisme au socialisme : l’évolution des idées politiques, philosophiques, esthétiques d’Emile Zola d’après Les Rougon-Macquart. ».

Rallié au Maréchal Pétain après le message du 17 juin 1940, puis gagné à l’idée de collaboration après Montoire, il adhéra au Rassemblement national populaire (RNP) le 10 mars 1941, à la suite d’un manifeste publié dans l’œuvre signé par Georges Dumoulin, Ludovic Zoretti, Georges Albertini. Il resta au RNP quand Deloncle le quitta en octobre 1941 pour former le MSR ; il devint alors secrétaire de la section de Dinan (1941-1943) puis collaborateur (sans titre) de Georges Albertini au siège du RNP de juillet 1943 à août 1944. Il signa vingt-et-un articles dans National populaire à partir de novembre 1943. Membre du bureau de l’Union de l’Enseignement présidée par Pierre Vaillandet*, ancien député socialiste d’Avignon, qui groupait des enseignants du RNP, il soutint le projet de réforme de l’enseignement élaboré par L. Zoretti. Il donna des articles dans l’Atelier, le National-Populaire, l’École de Demain, Jeunes Forces de France, Germinal, Interfrance et publia deux brochures : La réforme de l’École (avec Vaillandet), rapport au congrès de l’Union de l’Enseignement (18 avril 1943) ; La Nation et le Patriotisme, conférence au camp des cadres des JNP (13 juin 1943) où il défendit la nécessité « de travailler à l’épuration de la race » selon les conceptions nationales-socialistes. Se réclamant explicitement d’une « politique raciste », il dénonçait « La pensée rationaliste, triturée par des cervelles talmudiques ». Jusqu’aux derniers jours de l’occupation, il remonta la moral des troupes collaborationnistes en faisant miroiter l’espoir de l’usage par l’Allemagne d’armes nouvelles, tout en dénonçant le 8 août 1944 la trahison des officiers « réactionnaires » de la Wehrmacht qui ont osé s’impliquer dans l’attentat du 20 juillet contre Hitler : « les échec sont dus aux éternels timorés. »

Après sa rupture avec Marcel Déat, en août 1944 (il refusa de partir avec l’armée allemande en retraite), il fut arrêté à Paris le 27 avril 1945, incarcéré à la prison de Fresnes où il fut « classé », chargé du service social. Il avait été révoqué de l’Université à la demande du conseil académique d’enquête pour l’Académie de Rennes. Condamné le 20 mai 1947 par la Cour de justice de la Seine à quatre ans de prison et à la dégradation nationale à vie, il obtint sa libération conditionnelle le 11 novembre 1947 puis bénéficia d’une grâce amnistiante le 22 décembre 1951. Il écrivit en prison une Lettre à Léon Blum* sur le socialisme et la paix parue en 1948 et divers textes demeurés inédits.

En février 1948, il commença d’écrire avec Alain Sergent* (André Mahé) une Histoire de l’anarchie, dont il rédigea le premier tome (des origines à 1880), le seul paru, en 1949. En avril 1948, par l’intermédiaire de Georges Albertini, il entra au Bureau d’études et de documentation économiques et sociales, comme documentaliste, puis rédacteur principal du BEDES (102 numéros, 1948-1953) et de Tribune européenne (1950). Il écrivit une brochure, Le Parti communiste et sa doctrine, signée René Milon, anagramme de Lemonnier.

En 1949, il participa à la fondation, par Georges Albertini, du Bulletin d’études et d’informations politiques internationales, BEIPI devenu Est et Ouest en 1956, publication anticommuniste dont, selon lui, il assuma, à partir de cette date, sous la direction d’Albertini, la rédaction en chef et le secrétariat de la rédaction, sans autre titre que celui de « directeur de la publication » (juillet 1961-décembre 1981). Devenu permanent du Centre d’archives et de documentation politiques, économiques et sociales, fondé et animé par Georges Albertini, il fut l’un des rédacteurs des Informations politiques et sociales, notamment de la feuille hebdomadaire de documentation sociale (847 numéros, 1952-1970) et l’unique rédacteur des Études sociales et syndicales (310 numéros, 1955-1982).

Il fut l’auteur de très nombreuses brochures le plus souvent anonymes, parues sous l’égide du Centre, d’Est et Ouest ou de publications amies ; enfin de deux ouvrages : Le syndicalisme français dans la Ve République (sous la signature de M. Le Bourre, Calmann-Lévy, 1959) ; L’Afrique et les leçons de l’expérience communiste (collaboration de B. Lazitch, 1961). Il ne se contentait pas de commenter avec beaucoup de verve et une bonne connaissance factuelle la vie syndicale de la CFTC, FO et de la CGT, il tentait d’influence sur les orientations, notamment à la CFTC où il dénonçait les partisans de Reconstruction (ou point d’avoir une altercation avec G. Declercq au congrès de 1961) et à Force ouvrière où ses rapports difficiles avec Robert Bothereau fut compensés, plus tard, par un rapprochement avec André Bergeron.

En 1966, il participa à la fondation de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS). Professeur à la faculté autonome et cogérée de droit et d’économie fondée en 1968, il créa en 1970, avec l’aide d’Achille Dauphin-Meunier*, doyen de la FACO, et de Georges Lefranc*, un organisme de formation destiné aux cadres d’entreprises, l’Institut supérieur du Travail (IST). Il devint, en 1976, directeur de l’Institut d’histoire sociale. Il assuma la direction de l’un et de l’autre jusqu’en 1982-1983, années marquées par une grave crise financière de la « Maison Albertini ». Ensuite, il participa à la rédaction d’Est et Ouest et des Études sociales et syndicales (nouvelles séries). Depuis 1993, son nom m’apparaît plus dans la rédaction de ce bulletin devenu Les Études économiques, sociales et syndicales.

Dans la période d’effondrement du communisme soviétique, il se rapprocha d’Annie Kriegel et de Stéphane Courtois pour acter le relais entre l’anticommunisme militant et une approche universitaire. Elle se manifesta notamment par le soutien apporté à la revue Communisme et fut facilité par l’installation de ce qui était nommé l’« avenue Poincaré » (du nom de ses locaux pendant la guerre froide) à Nanterre, 4, avenue Benoît Frachon. Son décès fut annoncé dans Le Monde par Emmanuel Le Roy Ladurie*, président de l’Institut d’histoire sociale et Pierre Rigoulot, son directeur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24604, notice LEMONNIER Guy, Louis, Pierre. Pseudonymes : HARMEL Claude, MILON René par Jean Maitron, version mise en ligne le 18 février 2009, dernière modification le 25 août 2021.

Par Jean Maitron

ŒUVRE : Ouvrages cités plus haut ; La Nation et le patritisme,Editions du RNP, [1943]. — La CGT, 1947-1981, PUF, Que sais-je ?, Paris, 1982 — Comment le Parti communiste contrôle la CGT,1982, (avec N. Tandler). — Le Parti socialiste : courants et conflits,1982. — La CGT à la conquête du pouvoir. L’exemple de Poissy, 1983.

SOURCES : Notes de G. Lemonnier. — L’Histoire, n° 90, juin 1986 (article de P. Assouline) — P. Ory, Les Collaborateurs, Seuil, 1977. — Marc Sadoun, Les Socialistes sous l’occupation, FNSP, 1982. — Joseph Pinard, « De l’hitlérisme aux Études sociales et syndicales », La Pensée, n° 296. — Jean Lévy, Le dossier Georges Albertini. Une intelligence avec l’ennemi, L’Harmattan, 1992. — François Moreau, « La Maison Albertini : d’une collaboration à l’autre », Cahiers d’Article 31, n° 2, 1991. — Le Monde, 23 novembre 2011. —
Pierre Rigoulot, Georges Albertini, socialiste, collaborateur, gaulliste, Perrin, 2012. — État civil.

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