Par Marie-Thérèse Grangé
Né le 28 octobre 1899 à Prasville (Eure-et-Loir), exécuté sommairement le 11 août 1944 à Moutiers (Eure-et-Loir) ; agriculteur ; résistant FTPF.
Marcel Eugène Brigot et son frère jumeau Pierre Désiré étaient nés à Prasville (Eure-et-Loir) le 28 octobre 1899, dans une famille nombreuse fondée par Eugène Gabriel Brigot (1872-1931), journalier originaire de Oyré (Vienne), et Augustine Aurélie Goussard (1878-1919), sans profession, native de Prasville, exploitants agricoles propriétaires, issus de lignées de cultivateurs. Sur dix enfants ayant franchi le cap de l’enfance, ils en établirent huit à Prasville ou dans des communes voisines, six filles et deux garçons, entre 1924 et 1934. Le village de 400 habitants, entouré de terres cultivables sans arbres, à 6 km à l’est de Voves – le chef-lieu du canton – est groupé au centre de la commune, à proximité de la N 154 rectiligne Chartres-Orléans, qui la traverse au nord-est, propice aux mouvements des troupes. On y avait connu l’occupation des Allemands du 17 novembre 1870 au 16 mars 1871 au cours de la guerre franco-prussienne.
Appartenant à la classe 1919 (recrutement de Chartres, matricule 21) recensée au conseil de révision en 1918, pour faire face à l’hécatombe de la guerre, alors qu’il n’avait pas ménagé sa peine comme charretier, Marcel Brigot fut incorporé également à 18 ans ½, le 19 avril 1918 au 164e régiment d’infanterie. Les deux fils aînés de la ferme requis par l’armée alors que la famille va manquer de bras. Marcel Brigot fut envoyé aux armées comme soldat de 2e classe le 15 juillet 1918 au 129e régiment d’infanterie (Paris-Fontainebleau). Marcel Brigot, quand il fit l’expérience du front dans le Soissonnais, puis alla cantonner au sud de Nancy. La nouvelle du décès de son frère René François, « Mort pour la France » le 7 octobre 1918 sur le champ de bataille de la Suippe, à Suippes (Marne), parvint à la famille, et sans doute le sut-il avant la signature de l’armistice. Pendant que son frère jumeau Pierre était dispensé de service militaire au titre de soutien de famille, Gabriel mort pour la France, et lui-même aux armées, Marcel Brigot participa dans divers régiments d’infanterie à la campagne contre l’Allemagne du 20 avril 1918 au 23 octobre 1919. Il était dans le 164e régiment d’infanterie lorsqu’il apprit le décès de sa mère à Prasville le 11 juin 1919. Marcel Brigot participa à l’occupation des Pays rhénans dans le 117e régiment d’infanterie, du 24 octobre 1919 au 27 février 1920, puis du 6 mai au 30 juin 1921.
Redevenu cultivateur dans son village natal, Marcel Brigot épousa le 22 avril 1922 Paule Marie Rachel Chrétien (1903-1991), couturière, née le 22 septembre 1903 à Villeneuve-la-Comtesse (Charente-Maritime), fille d’Auguste Chrétien, chef de station à la gare de Prasville (ligne Voves-Toury par Janville), qui s’était marié en Charente-Maritime, dans une précédente affectation sur le réseau des chemins de fer de l’État, avec Ésilda Darnet. Le couple fonda une famille, qui comptait quatre enfants vivants à la veille de la Seconde Guerre mondiale, trois filles et un garçon : Lucette (1923-), Marguerite (1926-2020), Fernand (1927-) et Guy (1931-2015). Aussi le réserviste, dont la situation militaire évoluait à la naissance de chaque enfant, ne fut-il pas rappelé en septembre 1939 et fut classé « sans affectation » dans la 4e section d’infirmiers militaires (Le Mans) le 23 janvier 1940, ce qui lui permit de rester à la tête de son exploitation lors de la Seconde Guerre mondiale.
Vers septembre 1942, Marcel Brigot apprit que son frère Gabriel, né en 1905, militaire au Parc d’aérostation 1/152 tombé aux mains de l’ennemi en 1940, puis envoyé en captivité au Stalag III B de Gruben (Brandebourg, Allemagne), y était mort de maladie le 10 septembre 1942 à l’âge de 37 ans. Après René François, tombé à Suippes le 7 octobre 1918, cette nouvelle guerre faisait une deuxième victime au sein de la famille Brigot-Goussard : Gabriel était aussi « Mort pour la France ».
La situation à Prasville ne saurait être examinée sans signaler la présence à Voves d’un camp, en 1940-1941, Frontstalag 202 regroupant les militaires français capturés par les Allemands avant leur départ en captivité ; de 1942 à 1944, « centre de séjour surveillé n° 15 », en vérité un camp d’internement sur le sol français, gardé par des Français, au service du gouvernement de Vichy pour regrouper les « ennemis du régime » et autres « indésirables » :
Lorsque qu’en 1944, René Foussard, désigné par Paul Fénin, chef des FTPF du secteur de Voves (secteur Châteaudun/Est Eure-et-Loir dirigé par Maurice Roquet, militant communiste évadé du camp d’internement de Voves, prit la tête du groupe FN-FTPF de Prasville-Moutiers-Viabon-Ymonville, dit « groupe de Prasville », il recueillit le 15 mars 1944 l’adhésion de Marcel Brigot. Dans la commune de Voves cohabitaient deux réseaux de résistance : Libération-Nord et les FTPF, qui participaient parfois à une même action, recevant éventuellement l’appui de résistants isolés. Ils se développèrent l’un et l’autre en recrutant de proche en proche dans les communes voisines et entrèrent éventuellement en concurrence. En ce qui concerne Marcel et Paule Brigot, on ne connaît pas d’adhésion au Parti communiste, ni de militantisme politique. Le couple respectait les pensées et orientations de chacun. Le père de Paule Brigot, ancien agent des chemins de fer de l’État, avait une culture ouvrière, lisait les revues syndicales et recevait le curé de Prasville. L’histoire familiale, l’histoire locale, la proximité de l’instituteur, les firent entrer en sympathie avec les FTPF. René Foussard trouva en Marcel Brigot un ancien combattant de 14-18 ayant l’expérience du maniement des armes et du combat pour l’aider à assurer la formation au combat du groupe de Prasville. Marcel Brigot participa en avril-mai 1944 à la réception des parachutages d’armes qu’il cachait ensuite à la ferme. Il transporta des messages cachés dans des pneus de vélo, il participa à des coups de main. Sa fille Jacqueline, qui allait vers ses 18 ans, assura aussi des liaisons en vélo et aida même son père dans de petites actions. Des ouvriers agricoles se joignirent à l’occasion au groupe, tel employé sous une fausse identité masquant un résistant menacé. Et derrière « l’étudiant » Claude Loiseau, prolongeant ses vacances de Pâques 1944 jusqu’à l’été chez sa grand-mère à Prasville, se cachait un jeune ajusteur mécanicien parisien, prudemment envoyé à la campagne pour échapper au STO. Les évènements se précipitèrent le 9 août, quand les troupes américaines entrèrent en Eure-et-Loir par le sud-ouest, et s’aggravèrent le 11 août 1944 quand René Foussard reçut l’ordre tôt le matin d’attaquer les convois allemands (description détaillée des évènements dans la notice de Claude Loiseau). Il installa son PC à la gare de Prasville et déclencha l’offensive en fin de matinée contre un groupe d’Allemands stationnés près de l’ancienne mare. Après un échange de coups de feu, le groupe réussit à enfermer dans le silo une dizaine d’ennemis, qu’ils laissèrent sous la surveillance de Marcel Brigot et de Claude Loiseau. Des renforts, stationnés à Moutiers, arrivèrent en nombre à la rescousse avec des armes automatiques. et renversèrent la situation au terme d’un échange nourri. Le groupe FTP décrocha et se dispersa, mais Georges Foussard et Marcel Brigot, blessés au bras, ainsi que Georges Lejars et Claude Loiseau furent rattrapés et faits prisonniers. L’après-midi, ils furent conduits à Moutiers, dans la ferme des Sachets gérée par Paul Connay. En cours de trajet, les blessés furent autorisés à monter dans la charrette. À l’arrivée, ils furent enfermés dans un petit bâtiment servant de porcherie, nourris et les blessés sommairement soignés. Puis, alignés devant le mur d’une grange, ils furent interrogés un à un par le capitaine de l’unité stationnée depuis le matin devant la ferme. Paul Connay obtint l’autorisation de leur fournir un veston, leur délivra quelques paroles de réconfort et leur serra la main. Pour ce geste, il fut aussitôt traité de « terroriste » et aligné lui aussi, un peu à l’écart. Après une nouvelle attente pénétra dans la cour un autocar venu de Chartres, bondé de soldats en armes, en descendit en premier l’officier SS Lorenz Kreuzer, chef de la Sipo-SD à Chartres. De l’autre côté de la grande cour, Mme Connay et deux voisins observaient la scène de loin avec une vive inquiétude. Furieux, vociférant et hors de lui, le chef de la police de sûreté allemande, après un bref échange avec le capitaine, se précipita vers les prisonniers et asséna un coup de crosse avec son arme dans le dos du plus proche de lui, Claude Loiseau, qui, surpris, s’écarta brusquement en passant devant ses camarades et se réfugia à l’écart. Puis il abattit d’une balle dans la nuque les trois autres, [René Foussard, Marcel Brigot et Georges Lejars. Il interpella Claude Loiseau, le bouscula vers le mur et l’abattit. On fit descendre du car sans ménagements un civil inconnu des témoins, le résistant Georges Houdard, instituteur retraité arrêté le matin même, et le SS l’exécuta sur le corps des autres. Paul Connay ne dut la vie sauve qu’au versement immédiat de 100 000 F. Sur ordre du SS, les corps des cinq résistants, recouverts d’un linceul individuel, furent enterrés le soir même par Paul Connay et quelques villageois dans une tombe collective provisoire, creusée dans le clos de la ferme, « sans croix ni fleurs, toute visite étant interdite sous peine de représailles », selon les instructions du SS. Le lendemain à 14 heures, Paul Connay fit la déclaration des décès auprès du maire de Moutiers ; il fut écrit que les cinq résistants étaient morts « à 20 heures » Le lendemain à Chartres, les Allemands étaient sur le départ. Prasville et Moutiers étant libérés le 17 août au matin, la tombe fut aussitôt couverte de fleurs.
Les corps des quatre résistants de Prasville furent relevés le 19 août, puis inhumés le 20 au cimetière de Prasville. La déléguée de l’Union des Femmes Françaises d’Eure-et-Loir, association féminine héritière des comités de résistance, en voie de
constitution en lien avec le Parti Communiste Français, prononça un discours patriotique, promettant aux camarades de combat exécutés : « vos familles ne seront pas oubliées ». C’est ce qu’affirma ressentir par la suite Paule Brigot au fil des ans. Un an plus tard, le dimanche 12 août 1945 fut célébrée une messe anniversaire à la mémoire de Marcel Brigot, Georges Lejars et Claude Loiseau, tandis qu’était inaugurée le 15 une plaque commémorative portant les cinq noms sur le lieu d’exécution à Moutiers.
Titres et homologations :
Mention additive et certificative en marge de l’acte de naissance (décret-loi du 18 novembre 1959) : « Le défunt était né et domicilié à Prasville (Eure-et-Loir). Le troisième prénom de son épouse doit être orthographié Rachel et non Rachelle. Le dénommé Brigot, Sergent des Forces Françaises de l’Intérieur, est Mort pour la France. Paris, le 25 septembre 1950 – Certificat d’appartenance aux FTPF d’Eure-et-Loir établi à Chartres le 25 septembre 1946 : « Est entré dans la Résistance, groupement FTPF, secteur de Voves, Groupe de Prasville le 15 mars 1944. A participé à de nombreux coups de main, parachutages et formation d’un groupe FTP à Prasville. Le 11 août 1944, à la suite des combats de Prasville, il fut fait prisonnier et emmené par les Allemands à Moutiers en Beauce où ces derniers le fusillèrent ». – Homologué FFI : a servi dans les Forces Françaises de l’Intérieur dans le secteur sud du département Eure-et-Loir, Mouvement FTPF, du 1er juin 1944 au 11 août 1944. Le 11 août 1944 a été tué. Interné de la Résistance, carte n° 1201.09120. Certificat de présence au Corps. Paris, le 14 mars 1951. – Homologué dans le grade d’assimilation de Sergent par la Commission nationale d’homologation des grades obtenus à titre FFI, n° 7788 du 1er février 1946. Mort pour la France. Prise de rang 1er juin 1944. – Homologué Interné de la Résistance : grade notifié au titre des FFI pour la période de son internement du 11 août 1944 au 11 août 1944, soit 1 jour. Mort pour la France. Décision ministérielle N° 049/DIR en date du 30 juillet 1955. – Titre de Combattant Volontaire de la Résistance à titre posthume décerné à Chartres le 4 octobre 1952. Carte n° 005.763.
Décorations :
Cité à l’ordre de la Division à titre posthume : « : A fait partie des groupes de Prasville et pris part à des opérations de sabotages et des attaques de convois allemands. Lors d’un engagement le 11 août 1944 au cours duquel de nombreux ennemis furent abattus et une dizaine capturés, ayant accepté la lutte contre un ennemi très supérieur en nombre, a été fait prisonnier et fusillé dans une grange le 11 août 1944. » Cette citation comporte le port de la Croix de Guerre avec étoile d’argent (extrait de l’ordre général n° 18 du général Delmas, commandant la 8e région militaire en date du 15 février 1945) – Décoré de la Médaille militaire à titre posthume, Brigot Marcel, Sergent : « Magnifique patriote. Membre des Forces Françaises de l’Intérieur. Arrêté pour faits de résistance le 11 août 1944 est mort glorieusement pour la France le même jour. » Attribution de la Croix de Guerre à titre posthume. Attribution de la Médaille de la Résistance à titre posthume (décret du 2 avril 1959, JO du 8 avril 1959). – Diplôme du Souvenir attribué par la Fédération des Déportés et Internés Résistants et Patriotes en date du 30 janvier 1966.
Le nom de Marcel Brigot est inscrit sur le monument aux Morts de Prasville, sur la plaque commémorative apposée à Moutiers sur le lieu l’exécution le 15 août 1945. Pour commémorer le drame du 11 août 1944 a lieu chaque année, alternativement à Prasville et à Moutiers, une cérémonie au cours de laquelle le nom de Marcel Brigot est cité.
Par Marie-Thérèse Grangé
SOURCES : SHD, Vincennes, dossier de résistant GR 16 P 91092. – AVCC-SHD Caen, dossiers de décès AC 21 P 34026. – Livret de famille. – Livret militaire. – Phot,o de Marcel Brigot. – Diverses archives familiales transmises par Joëlle Bigot, fille de Marguerite, petite-fille de Marcel Brigot). – Archives départementales d’Eure-et-Loir, enquête instituteurs 1946, 18 J 3. – Archives familiales de Jean-Antoine Connay, Moutiers. –– Documentation de Jean Billard, Moutiers. – Documentation d’Hervé Nourry, Prasville. – Mémoire des Hommes (notices individuelles et JMO du 129e RI, 26 N 686/14). – Mémorial Genweb. – Maurice Roquet (Avant-propos de), La lutte des Francs-Tireurs et Partisans en Eure-et-Loir, Éditeur Association des Anciens FTPF, Chartres, 1945. – Étienne Égret et Dominique Philippe, Voves 1942-1944. Un camp en Eure-et-Loir. Centre de séjour surveillé, camp de concentration, EM Édition, 2019. – Collectif d’anciens résistants, L’occupation et la Résistance en Eure-et-Loir, t. II, La Résistance en Eure-et-Loir, CDDP de l’Eure-et-Loir, 1982. – Jean-Jacques François, La guerre de 39-40 en Eure-et-Loir, Éditions La Parcheminière, 1996-1998, t. 1, 3, 4. – Roger Joly, La libération de Chartres, Paris, Le Cherche-Midi éditeur, 1994. – Galit Haddad, « Le refus du refus en 1917. Les non-mutins du 129e RI face aux soldats mutins », Histoire@Politique, 2008/3. – Marc Guillemin et Jean-Claude Petit, Bonneval et son canton pendant la Seconde guerre mondiale, Éditions Christian Puybaret, 1994. – L’Écho Républicain : 21 septembre 1944, 30 septembre 1944, 11 avril 1944, 27-28 août 1945. –– L’Indépendant d’Eure-et-Loir, 16 septembre 1944, 28 septembre 1944, 26 octobre 1944, 21 et 22 avril 1945, 20 juin 1945. — État civil, Mairies de Moutiers, Prasville. – Cliché plaque Moutiers, Jacqueline Nico.