Par Notice revue et complétée par Michel Cordillot
Né le 1er décembre 1838 à La Palisse (Allier), mort le 17 juillet 1900 à Paris ; ouvrier cordonnier ; membre de l’Internationale ; élu membre du conseil de la Commune de Paris, condamné à mort par contumace, réfugié à Genève, à New-York puis en Angleterre. Après son retour d’exil, membre du Conseil National du P.O.F., administrateur du Socialiste.
Selon Delion, (les Membres de la Commune et du Comité central), Simon Dereure encourut sa première condamnation en 1854, alors qu’il était impliqué dans une affaire de Marianne dans la région lyonnaise.
Léon Osmin le décrit ainsi : De taille moyenne - plutôt petit - les traits énergiques, la chevelure abondante, le regard vif et doux à la fois, il donnait l’impression d’un apôtre avec son chapeau à larges bords et sa lavallière tantôt noire, tantôt rouge." (Figures de jadis, p. 30)
Venu à Paris en 1863, il fut, en 1866, un des fondateurs de la première chambre syndicale ouvrière organisée en France, celle des cordonniers-bottiers. Il en fut pendant deux ans le secrétaire. Désigné pour s’occuper du bureau de placement ouvert 32, rue de l’Arbre-sec, il recevait une indemnité financière de 5 francs par jour.
Simon Dereure fut délégué de la chambre syndicale et professionnelle des cordonniers de Paris au 4e congrès de l’Internationale qui se tint à Bâle en septembre 1869. Il fit partie de la commission qui rapporta sur la deuxième question, le droit d’héritage (Dereure se prononça pour son abolition) et vota pour que soit reconnu le droit à la société « d’abolir la propriété individuelle du sol et de faire entrer le sol à la communauté ». Chaque soir étaient données des conférences avec musique et chants, et Simon Dereure fut parmi les orateurs ainsi que J. Guillaume, Bakounine, De Paepe, et autres.
La même année, il était également gérant de la Marseillaise de Rochefort et il faisait alors partie du comité électoral de ce dernier. Arrêté, en février 1870, pour complot contre la sûreté de l’État, il fut traduit devant la Haute-Cour de Blois et condamné à trois ans de prison.
En juillet, il signa la protestation des sections parisiennes de l’Internationale contre la guerre. Écroué, le 18 août, à la maison correctionnelle de Beauvais (Oise), il fut libéré le 5 septembre et fit alors partie du comité de défense et d’armement du XVIIIe arrondissement. Dès le 6 septembre, il formait avec Razoua le 61e bataillon de la Garde nationale. Le 3 novembre, il fut nommé maire-adjoint du XVIIIe arrondissement.
Simon Dereure avait pris une part active à la journée insurrectionnelle du 31 octobre aux côtés de Flourens. Le 21 janvier 1871, ceint de son écharpe, il fit ouvrir les portes de Mazas pour libérer le même Flourens. Le lendemain, il était encore une fois à la tête des bataillons insurgés place de l’Hôtel de ville.
Il fut au nombre des 43 socialistes révolutionnaires présentés par l’Internationale, la Chambre fédérale des sociétés ouvrières et la Délégation des vingt arrondissements de Paris aux élections à l’Assemblée nationale du 8 février 1871. Il ne fut pas élu. Il habitait alors, 24, rue Durantin, XVIIIe arr., dans le quartier de la Goutte-d’Or.
Le 18 mars, il organisa la résistance à Montmartre avec les blanquistes Jaclard et Ferré (lettre de Jules Joffrin à A. Sauva, 1er septembre 1878). Élu membre de la Commune de Paris, le 26 mars 1871, par le XVIIIe arrondissement, avec 14.661 voix ; membre de la commission des Subsistances, 29 mars ; de la commission de la Justice, 21 avril ; du conseil de révision des jugements de la cour martiale, 24 avril ; commissaire civil auprès du général Dombrowski, 16 mai ; Simon Dereure vota pour le comité de salut public. Il collabora à La Nouvelle République, 19 mars-1er avril et à l’Affranchi, 2-25 avril qui lui succéda (journaux dirigés par Paschal Grousset).
Durant la Commune et en tant que membre de celle-ci, Simon Dereure se montra très actif. Mais nous n’avons trouvé nulle trace dans les Procès-Verbaux d’une initiative dont il aurait été l’auteur et qu’il mentionna dans une lettre du 30 décembre 1896 publiée dans La Petite République du 1er janvier 1897 : « Une proposition de prise de possession de la Banque [de France] a été faite par moi et signée par un autre de mes collègues ; je dois dire qu’elle ne fut ni discutée ni insérée à l’Officiel ; mais si un jour les procès-verbaux de la Commune sont publiés, elle y sera certainement mentionnée. »
La notice du 1er février 1879 (Arch. Nat.) précise en ce qui concerne l’action de Dereure durant les derniers jours de la Commune : « À la fin de mai, il ne quittait plus les avant-postes où il ne cessait de soutenir le fanatisme des fédérés. Il a été chargé, le 22 mai, à la tête de cent fédérés, de mettre le feu aux maisons suspectes des Ier et IIe arrondissements. »
Par contumace, le 4e conseil de guerre le condamna à mort, le 14 juin 1873. Antérieurement, il avait déjà subi un certain nombre de condamnations politiques : le 22 janvier 1870, six mois de prison et 1.000 f d’amende pour offenses à l’Empereur, à sa famille, et provocation à la désobéissance ; le 12 février 1870, 500 f d’amende pour omission de dépôt d’un numéro du journal La Marseillaise, dont il était un des collaborateurs et fut le gérant jusqu’au 10 février 1870 ; deux mois de prison et 500 f d’amende, cinq jours plus tard, pour publication de fausses nouvelles ; trois ans de prison enfin pour complot contre la sûreté de l’État.
Il arriva à New York fin août-début septembre 1871, via la Suisse (où il se trouvait dès la mi-juillet) et l’Angleterre ; contrairement à nombre d’autres réfugiés, il y trouva très rapidement du travail dans une grande maison de cordonnerie (lettre d’E. Levraud à Eudes, 26 septembre 1871). Son épouse (née Caroline Hortense Poitrey, le 20 janvier 1840 à Vateville (Seine-inférieure), mariée le 31 décembre 1868 à Paris (XVIIIe arr.)), qui avait été incarcérée à Versailles à la suite de la Commune, s’apprêtait à le rejoindre (Levraud à Eudes, 12 novembre 1871). Elle mourut le 8 janvier 1872 à son domicile 5 rue sainte Marie Paris (XVIIIe arr.).
Dès l’automne 1871, Simon Dereure faisait partie du noyau blanquiste organisé autour de Mégy et Edmond Levraud. Le 3 février 1872, Le Socialiste annonça que Dereure donnerait à New York deux conférences sur la Commune de Paris, dont les bénéfices seraient reversés au journal. Ces conférences eurent lieu les 18 et 25 février et, dès le 9 mars, Dereure signait l’éditorial du Socialiste annonçant l’organisation dans une des salles du Casino d’un banquet destiné à commémorer le 18 mars. À cette occasion, il fut l’un des trois orateurs invités à prononcer un discours. Parlant au nom des sections françaises de l’AIT, il fit l’éloge de l’insurrection parisienne, concluant dans ces termes : « Non, la Commune n’est pas morte. Elle survit à ses martyrs car elle est le phare lumineux vers lequel se tournent tous ceux qui ont soif de liberté et de justice. » Peu après, il devint l’éditorialiste attitré du Socialiste, contribuant à y populariser les thèses blanquistes. En juin, il signa la pétition diligentée par Mégy à la demande des blanquistes de Londres contre la proposition qui avait été émise de rédiger une contre-enquête officielle.
Du 6 au 8 juillet 1872 il assista au congrès de la Fédération de l’Amérique du Nord « centraliste », prenant la parole durant la 3e séance présidée par Pilon. À l’issue des débats, il fut choisi comme délégué avec Sorge pour se rendre au congrès de La Haye (Le Socialiste, 13 juillet 1872). Ils quittèrent New York le 10 août, arivant à Londres le 19. Dereure y prit vraisemblablement contact avec les blanquistes membres du Conseil général de l’AIT. En effet, lors du congrès de la Haye, il co-signa avec eux une motion « pour repousser l’abstention en politique et exiger que l’organisation militante des forces révolutionnaires du prolétariat et de la lutte politique figure à l’ordre du jour du prochain congrès. » Il vota aussi en faveur l’expulsion de Bakounine de l’AIT — mais de lui seul — et pour l’attribution des pleins pouvoirs au conseil général ; en revanche, il se prononça contre le transfert de ce dernier à New York. Il fut cependant désigné par le congrès pour être l’un des trois Français membres du nouveau Conseil chargé de prendre en main les destinées de l’Association.
Au retour de La Haye, son attitude fut critiquée par les membres de la section 2 (française) de l’AIT dont il était membre et il se fit même expulser de la réunion à laquelle il était venu pour tenter de se justifier (Le Socialiste, 6 octobre 1872). Dénoncé par les Français « anti-autoritaires », il fut néanmoins élu président de séance lors de la première assemblée des réfugiés de la Commune présents à New York, bénéficiant même d’un vote de confiance « à l’unanimité » lors de la deuxième réunion (Le Socialiste, 12 janvier 1873).
Fin janvier 1873, Simon Dereure quitta New York en quête d’ouvrage. Il s’installa à Savannah (Georgie) et envoya au conseil général une lettre qui fut lue lors de la séance du 16 février 1873. Il fut alors décidé de conserver son nom et ses services au Conseil en lui donnant un congé indéfini. C’est ainsi qu’en février 1873, il signa la décision de suspendre la Fédération jurassienne (Bulletin de la Fédération jurassienne, 15 février 1873). Pourtant, aux yeux de Sorge et d’Engels, Simon Dereure était depuis longtemps considéré comme suspect (Engels à Sorge, 16 novembre, 14 décembre 1872) : non sans raison, puisqu’il semble bien avoir joué un rôle éminent dans les tentatives secrètes des blanquistes pour prendre le contrôle de l’AIT à partir de la prise en main du Socialiste et des sections francophones.
En mars 1876, il était de retour à New York et c’est sur sa proposition que les frères May furent expulsés de la Société des Réfugiés (Voir E. Fondeville). Quelques semaines plus tard, il fit partie avec Edmond Mégy du comité des Réfugiés de la Commune chargé d’accueillir lors de son débarquement à New York la délégation ouvrière « libre ” à l’Exposition universelle de Philadelphie et de se mettre à la disposition des délégués pour la durée de leur séjour aux États-Unis.
_ Durant l’été 1876, Simon Dereure partit avec d’autres proscrits rejoindre la communauté icarienne de Corning dans l’Iowa (Voir Sauva). Apprécié pour son travail et ses compétences, il reprit également la direction de l’orchestre d’Icarie, donnant des concerts le dimanche. Lors de la crise de 1877, il se rangea aux côtés de la minorité dite « jeune Icarie » ; il signa le Précis sur Icarie rédigé par Péron , qui annonçait la décision irrévocable de la minorité de faire scission ; contrairement à d’autres, il sut toutefois faire preuve d’une attitude conciliante, acceptant début 1878 de mener des discussions avec les représentants de la « vieille Icarie » pour tenter de trouver des solutions constructives à divers problèmes en suspens. En mai 1878, il abandonna le domaine d’Icarie pour ouvrir un atelier de cordonnerie à Corning. Ce n’était toutefois pas en rupture avec la communauté, puisqu’en 1879 il dirigeait encore la cordonnerie de la « jeune Icarie ». En novembre de cette même année, il fut d’ailleurs réélu pour un an délégué à l’industrie. Il était alors remarié, sans enfant. Son épouse était âgée de 25 ans et était couturière de son état. Il signa encore en tant que membre du comité de propagande communiste de la communauté icarienne de Corning avec Claude Brouner et Émile Péron une lettre réfutant les accusations portées par J.-B. Gérard contre la minorité dans son journal L’Observateur (voir L’Egalité, 14 juillet 1880).
Dès la proclamation de l’amnistie, il quitta définitivement la communauté icarienne, sans doute impatient de rentrer en France où il avait gardé toutes sortes de liens (il se fit par exemple envoyer de l’argent par son frère en Icarie en 1877 et, la même année, le Mot d’Ordre publia ses « Lettres d’Amérique » signées sous le pseudonyme de L. Jones).
Dès le 10 janvier 1881, Dereure était de retour en France et sa présence était signalée à Paris aux obsèques d’un militant socialiste. Il adhéra au Parti Ouvrier Français à la suite d’un différend avec le broussiste Joffrin. Lors des manifestations de chômeurs en 1883, il fut de ceux qui participèrent en mars au meeting de l’esplanade des Invalides (cf. Jean Maitron, Histoire du mouvement anarchiste...) ; il fut arrêté à Saint-Quentin et écroué. L’affaire n’eut pas de suite.
Il fut candidat à plusieurs élections législatives : en 1881 à Montmartre ; en octobre 1885 à Bordeaux, dans l’Allier où il obtint 2 259 voix sur 94 228 votants et 120 068 inscrits et, dans la Seine, en septembre 1889, dans le XVIIIe arr., en août-septembre 1893 et mai 1898 ; aux élections municipales de 1884 dans le quartier des Grandes Carrières (Paris, XVIIIe arr.) où il obtint 1,37 % des voix, en mai 1887 à Montparnasse (Paris, XIVe arr.) où il obtint 4,93 % des voix puis en avril 1893 (3,42 %) et en mai 1896 (16,70 %) de nouveau aux Grandes Carrières.
Délégué aux congrès de Saint-Étienne-Roanne (1882), Lille (1890), Lyon (1891), Marseille (1892), Paris (1893), Romilly (1895) du Parti ouvrier dirigé par J. Guesde, il fut nommé par tous ces congrès membre du Conseil national du Parti. En janvier 1892, il fut nommé administrateur du Socialiste. À ce sujet, Engels écrivait à Sorge, le 10 novembre 1894 : « Dereure est devenu fou, il était administrateur et comme il a mené l’affaire à la déconfiture, elle en est restée là. Bien français. »
Simon Dereure gagnait alors sa vie en travaillant à façon de son métier de cordonnier. Selon un rapport de police, sa situation était « assez précaire ». Il achetait sur le carreau du Temple de vieux souliers qu’il raccommodait puis revendait. L’été, il était employé dans un tir japonais du Jardin de Paris, et le propriétaire disait de son auxiliaire : « Je laisse ma caisse ouverte devant lui et je sais bien que je n’aurai jamais à le regretter. » (Propos rapporté par Ch. Chincholle, Le Figaro, 19 août 1888).
Décédé à Paris le 17 juillet 1900, Simon Dereure fut incinéré le 20 au Père-Lachaise. Un des orateurs, Champy, dit qu’il était « mort de privations et de misères ». Et il remercia sa femme — sans doute Dereure s’était-il remarié — qui l’avait toujours aidé dans les moments difficiles. Le 17 mars 1901, une plaque fut apposée par les amis du Parti ouvrier français sur la case qui contenait ses cendres. Une rue du XVIIIe arrondissement porte aujourd’hui son nom.
Par Notice revue et complétée par Michel Cordillot
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Arch. Nat., BB 24/856 A, n° 2125. — Arch. Min. Guerre, 4e conseil. — Arch. PPo., B a/435 et B a/1031, rapport du 28 mai 1876, pièces 921 à 934 sur la situation de l’Internationale en Amérique et spécialement aux États-Unis. — IFHS, fonds Eudes, 14 AS 99 bis. — Le Socialiste, passim. — Nécrologie (avec photo) in Le Socialiste (Paris), 29 juillet 1900. — Associations professionnelles ouvrières , vol.II, Paris, Imprimerie Nationale, 1901, p.23-25 — La Première Internationale (J. Freymond), op. cit. — Les Procès-Verbaux de la Commune de 1871, op. cit. — Le Cri du Peuple, 21 septembre 1885. — Correspondance F. Engels-K. Marx et divers publiée par F. S. Sorge dans œuvres complètes de F. Engels, Paris t. I et II, 1950. — Jules Prudhommeaux, Icarie et son fondateur Étienne Cabet, op. cit. — Samuel Bernstein, « Papers of the General Council of the International Workingmen’s Association, New York : 1872-1876 », Annali dell’Istituto G. Feltrinelli, 1961. — Michel Cordillot, « Les Blanquistes à New York », Bulletin de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848, Paris, 1990. — Michel Offerlé, Les socialistes et Paris, 1881-1900. Des communards aux conseillers municipaux, thèse de doctorat d’État en science politique, Paris 1, 1979. État civil de Paris en ligne cote V4E 2212, vue 14 et cote V4E 4894, vue 8. — Léon Osmin, Figures de jadis, Éditions "Nouveau prométhée", Paris, 1934.