Par complété par Michel Pinault
Né le 4 août 1838 à Paris ; capturé et sabré à Chatou, le 3 avril 1871, par les troupes de Versailles ; ethnologiste et professeur au Collège de France ; opposant républicain au Second Empire, membre du Conseil central de l’Association internationale des travailleurs, officier de la garde nationale parisienne, membre de la Commune de Paris, considéré en 1871 et plus tard comme l’un des plus hauts représentants du mouvement insurrectionnel, durant lequel ses méthodes, sinon ses opinions, l’apparentent au parti blanquiste.
Gustave Flourens appartenait par sa famille à la grande bourgeoisie intellectuelle. Son père, Jean-Pierre Marie Flourens, était professeur au Muséum et au Collège de France, membre de multiples sociétés savantes, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences ; il était de surcroît député de la gauche en 1828, pair de France en 1847 et conseiller municipal de Paris en 1864. Son grand-père maternel avait été général du 1er Empire.
Brillant lycéen à Louis-le-Grand, licencié ès lettres (1858), puis ès sciences avant 21 ans, il devint, en 1860, préparateur du cours de son père, titulaire de la chaire d’Histoire naturelle des corps organisés au Collège de France, et il le remplaça, à 25 ans, pour un cours en cinquante leçons. Auparavant, il s’était engagé dans l’insurrection polonaise, mais s’était retiré en découvrant à la révolte un double caractère catholique et nobiliaire incompatible avec ses opinions. Le cours professé au Collège de France était résolument athée, matérialiste et anti-bonapartiste et les leçons, aussitôt publiées dans la presse, connurent un important succès public. Les colères bien-pensantes se déchaînèrent et le ministre Victor Duruy refusa de prolonger l’année suivante un cours où l’empereur avait été stigmatisé sous les traits de César.
Le jeune professeur gagna Londres, où il étudia au British Museum, puis la Belgique ; il donna des leçons, fit des conférences et se lia avec Charles et François Hugo ; il avait déjà publié une brochure ; il collabora à la Rive gauche, revue parisienne alors exilée où il s’associa avec Harles Longuet, Robert Luzarche et Louis-Augustin Rogeard, à L’Espiègle, une publication satirique démocrate et anti-bonapartiste dirigée par Odilon Delimal. Sa mère le rappela en France au chevet de son père malade et il séjourna trois mois en Seine-et-Oise, à Montgeron. Mais les mouvements européens de libération l’attiraient : en 1866, il offrit ses services à l’insurrection crétoise et gagna l’île, via Stamboul et Athènes. Représentant la pensée française par ses nombreux articles publiés à Istamboul, Athènes, Bruxelles et Paris, servant la révolte dans sa deuxième phase avec grade de capitaine, il fut ensuite nommé ambassadeur de Crète à Athènes. Il y apprit la maladie de son père qu’il ne revit pas vivant (1867). Le gouvernement grec accueillit mal son intervention ; il était aussi combattu par le gouvernement français qui, deux ans plus tôt, lui avait reproché la campagne athéiste menée en Orient. Les Grecs l’embarquèrent de force sur un paquebot à destination de Marseille ; il regagna Athènes, puis, pour ne pas compromettre ses amis, se retira à rejoignit Naples où il fut emprisonné pour avoir écrit un article de presse.
En 1869, il était de retour en France et habitait à Paris, 397, rue de Puebla (XIXe arr.) ; on lui avait refusé le poste laissé vacant par la mort de son père et que les opposants à l’Empire lui reprochèrent d’avoir sollicité par lettre. Son ami Odilon Delimal le dépeignait alors grand et mince, le front prématurément chauve, l’œil vif et caressant, la voix souple ne laissant pas deviner le timbre sonore qui aidait à son succès dans les réunions publiques. Son esprit alliait curieusement le rationalisme scientifique né de sa formation et l’ardent, le romantique enthousiasme de sa nature profonde.
Le 25 mars 1869, il refusa aux policiers de dissoudre la réunion qu’il présidait à Belleville : arrêté, condamné à 200 F d’amende et trois mois de prison pour offense envers l’empereur et contravention à la loi sur les réunions publiques, il fut incarcéré à Sainte-Pélagie ; au sortir de prison, il défia en duel Paul de Cassagnac, auteur d’un article qu’il jugeait insultant pour le peuple dans le journal Le Pays (5 août 1869). Flourens avait pour témoins Ulrich de Fonvielle et Arthur Arnould ; grièvement blessé, il fut immédiatement soigné par Émile Allix et se remit assez vite pour soutenir la candidature de Henri Rochefort aux élections législatives. Lorsque celui-ci fonda La Marseillaise, il en confia la rubrique militaire à Flourens. L’amitié des deux hommes subit une éclipse quand, aux funérailles de Victor Noir, Rochefort, Vallès, Louis Noir refusèrent de marcher sur Paris malgré les objurgations de Flourens ; pourtant, c’est à une réunion présidée par Flourens que Rochefort fut arrêté le 7 février 1870. Flourens lui-même put s’enfuir et, le 20 mars, il gagna la Hollande et Londres.
Le 19 avril 1870, Flourens est élu au Conseil général de l’ Association internationale des travailleurs sur proposition d’ Eugène Dupont et d’ Auguste Serraillier .
Impliqué dans le « procès de Blois », il fut condamné, le 9 août 1870, à six ans de prison et à la dégradation civique ; il se trouvait alors à Londres où il bénéficiait de l’amitié et de la confiance de Karl Marx et Friedrich Engels qui lui proposèrent de devenir membre du Conseil central de l’AIT. Menacé d’extradition, il préféra alors gagner la Grèce, mais en revint aux premières défaites de l’armée française dans la guerre franco-prussienne. Arrêté dix jours à Gex, il gagna Paris dès le 8 septembre ; aussitôt, il multiplia les publications dans la presse, les réunions publiques, les proclamations. Dès le 9 septembre, lors d’une réunion publique, tenue au café des Halles-centrales et présidée par Blanqui, Flourens s’opposait aux hommes du 4 septembre et réclamait « la République universelle ». Le 29 septembre, il demanda à Trochu d’organiser des élections.
Durant le Siège de Paris, les cinq bataillons de Belleville l’élirent pour chef, et le commandement militaire lui décerna le titre sonore et très honorifique de « major des remparts ». Le 5 octobre, le mouvement qu’il déclencha en occupant la place de l’Hôtel-de-Ville avec ses bataillons de la garde nationale de Belleville, après la reddition de Toul et Strasbourg, échoua ; Flourens démissionna, mais fut réélu. La part qu’il aurait prise au mouvement du 8 octobre est moins bien établie. C’est à lui que Rochefort conta la trahison de Bazaine avant qu’elle ne soit connue du public ; et Flourens en informa Pyat, qui, par son article du lendemain (27 octobre) dans Le Combat, déclencha l’émeute du 31 octobre. Flourens, à la tête d’une partie de ses gardes nationaux, occupa l’Hôtel de Ville et se vit confier la garde des membres du gouvernement de la Défense nationale faits prisonniers ; son nom figurait sur la liste proposée aux suffrages de membres d’un comité de salut public chargé de préparer l’élection de la Commune. Mais le gouvernement, redevenu maître de la situation au prix d’« une véritable duperie », engagea des poursuites ; Flourens, arrêté sur les ordres de Clément Thomas pour avoir repris le grade qui lui avait été retiré, fut jeté à Mazas le 7 décembre 1870 ; son ami Amilcare Cipriani réussit à organiser un groupe de gardes nationaux et à l’enlever (nuit du 20 au 21 janvier), mais Flourens échoua dans sa tentative de soulever Belleville et dut se cacher tandis que le 3e conseil de guerre le condamnait à la peine de mort par contumace (11 mars). Pendant ces semaines de repli, il rédigea Paris livré, une vigoureuse et perspicace analyse à chaud des événements survenus depuis le 4 septembre qui fut aussitôt publiée (plusieurs éditions successives).
Flourens ne joua pas un rôle de premier plan dans les événements du 18 mars. Le 25 mars 1871, Ranvier l’appela aux fonctions d’adjoint à la mairie du XXe arr., qui lui avaient été confiées à l’automne ; le lendemain, grâce à sa grande popularité, il fut élu à la Commune par le XIXe arrondissement (4 100 voix sur 11 282 votants) et le XXe (14 089 voix sur 16 792 votants) ; il choisit de représenter celui-ci. Il siégea à la Commission militaire et se consacra activement à la conduite des opérations. Il fut nommé à titre provisoire, le 29 mars, à la tête de la XXe légion, puis confirmé dans ces fonctions le 2 avril avec grade de général et sous les ordres de Bergeret. Brèves fonctions, puisqu’à la sortie du 3 avril, épuisé de fatigue, découragé, après avoir assuré la retraite et la dispersion de ses troupes refluant sur Paris, il fut pris par les Versaillais et aussitôt sabré mortellement auprès d’une auberge de Chatou, sur les rives de la Seine. Son cadavre, ramené à Versailles sur un tombereau, fut exposé aux insultes et railleries dans l’amphithéâtre de l’hôpital militaire avant d’être enterré au cimetière Saint-Louis.
Le 7 avril, la famille de Flourens obtint de Thiers l’autorisation de transférer son corps au Père-Lachaise ; elle retrouva aussi ses armes, d’abord attribuées au capitaine versaillais qui l’avait assassiné, et son acte de décès. Mais le souvenir de Flourens subsista bien ailleurs : dans le nom donné à l’un des corps francs les plus actifs de la Commune — les conseils de guerre taxèrent lourdement les « Vengeurs de Flourens » tombés entre leurs mains ; dans l’accueil fait à son œuvre Paris livré (cinq éditions en un mois, 1871 — reprise en 1872 et 1873) ; dans les pèlerinages organisés sur sa tombe, à la 66e division du Père-Lachaise, dès 1876 et toujours renouvelés, en particulier lors du vote de l’amnistie. Il donnait à la Commune, avec la caution de sa haute intelligence, l’allure d’un « vrai roman de chevalerie, vertigineuse épopée » (vu par Spartacus, dans les Hommes de la Commune, dossier PPo.). Et Lepelletier, moins dithyrambique, le dit (Histoire de la Commune, op. cit., t. III, p. 245) : « la figure la plus sympathique de l’époque ».
Par complété par Michel Pinault
ŒUVRE : Histoire de l’Homme, 1863. — Science de l’Homme, 1865. — Ce qui est possible, 1864, suivi d’Ottfrid (Bibl. Nat., R 36140). La première partie du livre traite d’aéronautique ; la deuxième, sorte de poème philosophique, s’achève sur la formule : « La vie, c’est le dévouement. » — Paris livré, 1871, (Bibl. Nat., Lb 57/1103). Paru le jour même de la mort de l’auteur, le livre aurait pu être le bréviaire des agitateurs de la fin de l’Empire, celui des grands révolutionnaires et des démocrates : « En révolution, il faut surtout de la patience. » « Agiter toujours. » Flourens a foi dans le peuple, qui a « l’intelligence infiniment plus juste et plus saine que tous ses chefs. »
Collaboration aux Journaux : La Rive gauche : appel à la jeunesse européenne, avec Rogeard, Luzarche, Longuet. — L’Espiègle, Bruxelles. — Le Courrier d’Orient. — L’Étoile d’Orient. — L’Indépendance hellénique. — Le Rappel, tribune militaire. Le 25 septembre 1869, par exemple, il affirme qu’armée et peuple ne font qu’un — d’où les révolutions. — La Marseillaise. — La Patrie en danger. — Le Combat : voir en particulier les articles des 2 et 11 décembre 1870.
SOURCES : Arch. PPo., B a/1081. — Les journaux susmentionnés et un article de La Commune (O. Delimal, 8 avril 1871). — Charles Prolès : Flourens. — Gazette des Tribunaux, 10 mars 1871.
Bibliographie :
• A. Williams : Gustave Flourens. In : La Marseillaise . Paris. No. 99 of March 29, 1870. p. 2.
• Vindex : Les chefs révolutionnaires. Gustave Flourens. Paris 1871.
• Auguste Hardy : Douloureux détails concernant la mort du citoyen Flourens. A complete biography et ses actes heroiques pour le maintien de la République . A. Parent, Paris [1871 ?].
• F Maurel : Notice nécrologique sur Gustave Flourens . Société d’Ethnographie, Paris 1872.
• Charles Théophile Ferré : Portrait et autographe d’un homme dévoué sous la Communede Paris. Une rectification sur Gustave Flourens . LE Private, Genève 1876.
• Georges Cuvier : Discours sur les révolutions du globe. Avec des notes et un appendice d’après les travaux récents de MM. De Humboldt , Flourens, Lyell , etc rédigés par le Dr Hoefer . Firmin-Didot et Cie, Paris 1856. (2nd edition 1879)
• M. DemaRey, Lyon 1893.
• Charles Prolès : Les Hommes de la Révolution de 1871. Gustave Flourens. Insurrection crétoise, 1867-1868. Siège de Paris, 1870-1871. Avec une lettre-preface de Amilcare Cipriani . Paris 1898.
• Robert de Billy : Le comte de Gobineau et Gustave Flourens. Ed. d’histoire générale et d’histoire diplomatique, Paris 1932.
• Yvonne Bezard : Gustave Flourens . R. Condom, Paris 1935.
• Anne Nicolas : Victor Hugo et Gustave Flourens (1865–1871) avec des lettres inédites . In : Revue d’Histoire littéraire de la France . Vol. 68, No. 5, September-October 1968, pp. 731-745.
• Valentina Akimova Smirnova : Gjustav Flurans . Mysl, Moskava 1972.
• Olga Vorobjowa, Irma Senelnikowa : The daughters of Marx . 4. erg. U. revised Ed. Dietz Verlag, Berlin 1984. Chapter “Gustave Flourens”, p. 75 ff.
• Richard-Pierre Guiraudou, Michel Rebondy : Gustave Flourens. Le Chevalier Rouge . le Pré aux Clercs, Paris 1987. ISBN 2-7144-2054-0
• Adrienne Stengers-Limet : Une rencontre à Bruxelles Gustave Flourens and Jean-Jacques Altmeyer . Bruxelles Archives et bibliothèques de Belgique, Bruxelles 2001.