FROMAGE René, Auguste. Pseudonyme en France : FRONSAC René. Pseudonyme à Moscou : GAYET

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 25 novembre 1901 à Lyon, IIe arr. (Rhône), mort le 25 mai 1945 à Saint-Étienne (Loire) ; contremaître armurier puis administrateur de journaux communistes ; membre du comité central du Parti communiste en 1925-1926 ; secrétaire de la Région communiste limousine (1928-1933) ; maire adjoint de Bagnolet (Seine, Seine-Saint-Denis) de 1935 à 1940.

René Fronsac, alias René Fromage
René Fronsac, alias René Fromage
[Au service de la population. La municipalité de Bagnolet vous soumet son bilan 1928-1958, février 1959]

René Fromage se présentait comme « orphelin de père » à l’âge de cinq ans (Kurella, op. cit.). En fait son père, ouvrier teinturier à Villeurbanne en 1901, vécut à Bagnolet où il tenait un hôtel dans les années 1920. René Fromage fit sa première communion à Saint-Étienne en 1912, mais il n’avait été baptisé que huit jours avant. Le salaire de sa mère, ouvrière, était insuffisant pour élever deux enfants. René Fromage garda longtemps le souvenir de la réaction brutale d’un gardien de mine qui les avait surpris, son frère aîné et lui, ramassant du charbon aux alentours des mines. À douze ans, René Fromage entra à la Manufacture d’armes et cycles comme garçon de course (le Bulletin municipal de Bagnolet de mai 1946 écrit, par erreur semble-t-il : « il quitte l’école laïque à quatorze ans »). La guerre, survenue l’année suivante, vit l’afflux à Saint-Étienne d’ouvriers métallurgistes travaillant à la production d’armement. Selon son témoignage donné à Kurella (op. cit.), des travailleurs pacifistes lui firent lire l’œuvre de Zola. En 1916, il apporta son soutien à Madeleine Vernet : « Âgé de quinze ans, j’adhère au groupe des Amis de l’Orphelinat d’Epone, groupe composé d’anarchistes, de pacifistes et syndicalistes . « En juin 1917, j’adhère au syndicat des métaux de Saint-Étienne. Je subis la pression idéologique de l’anarchisme, très fort à cette époque dans la région. Mes journaux sont à cette époque : La Vague, Ce qu’il faut dire, Le Journal du Peuple. » (autobiographie de février 1931). Pendant les années 1916 à 1917, René Fromage lut de nombreux ouvrages d’Anatole France, de Balzac et de Gorki tout en fréquentant les réunions ouvrières. La grande grève des ouvriers de Saint-Étienne en décembre 1917 le marqua profondément, puis l’échec retentissant du mouvement de mai 1918 lui fit déchirer sa carte syndicale tant sa déception était grande. René Fromage resta pendant deux ans hors de toute organisation.

René Fromage donna en décembre 1919 son adhésion aux Jeunesses socialistes (dix membres à Saint-Étienne). En février 1920, il était secrétaire du groupe avant de devenir secrétaire pour le département et membre du comité exécutif de la 17e Entente des Jeunesses. Après le congrès de Strasbourg, il fréquenta la section socialiste où il s’opposa à Ferdinand Faure. Il siégea à la commission exécutive de la fédération socialiste de la Loire. La section adhéra presque unanimement à la IIIe Internationale au moment du congrès de Tours (décembre 1920). Secrétaire du groupe des Jeunesses communistes comptant quatre-vingts membres, il fut arrêté et, après trente-cinq jours de prison préventive, condamné le 22 mars 1921 à deux mois de prison avec sursis pour propagande antimilitariste, comme signataire d’un tract « Aux futurs soldats ». Sorti malade de prison, René Fromage passa six mois à la campagne et quitta les Jeunesses communistes en raison de désaccords internes. Il resta membre du Parti communiste jusqu’à l’époque du congrès de Marseille (décembre 1921) où, mis en minorité dans sa section par les amis de Ferdinand Faure*, il ne reprit pas sa carte. Ses sympathies allaient alors aux militants libertaires de son syndicat. La rupture de Ferdinand Faure avec le Parti communiste en 1923 facilita son retour. Il réadhéra en mars 1924 sous l’influence d’un membre du comité directeur venu soutenir une grève des ouvriers de la métallurgie. Contremaître armurier à la Manufacture, il devint alors secrétaire du syndicat CGTU des métallurgistes de Saint-Étienne et secrétaire à l’organisation des cellules du rayon communiste local. En avril 1924 une grève générale des métaux de Saint-Étienne éclata : « Je suis délégué du personnel de l’Usine ; membre du Comité central de grève ; celle-ci dure un mois ; je suis licencié de l’usine. Les principaux militants du syndicat ayant été arrêtés je deviens secrétaire du syndicat ». Il se maria à Saint-Étienne le 25 juin 1924 avec Victorine Salis, native de la ville, sans profession.

La rapidité de sa promotion dans le Parti communiste surprend : dès janvier 1925, le IVe congrès national réuni à Clichy l’élut au comité central. Il est vrai qu’il avait suivi, en décembre 1924, les cours de l’École léniniste de Bobigny où ses qualités avaient sans doute été remarquées. La direction du Parti communiste le nomma en janvier 1925 secrétaire permanent de la région lyonnaise, appointé à 800 F mensuels. Il publia un article dans le cadre de la « Tribune de discussion » des Cahiers du Bolchevisme, le 4 février 1926. L’Humanité du 8 juin 1926 publia sa contribution intitulée « Les tâches du Parti » dans la « Tribune de discussion » mais le congrès de Lille (juin 1926) ne le maintint pas au comité central. Sans doute faut-il mettre en rapport cette mise à l’écart avec un texte du comité régional de la région lyonnaise en janvier 1926 : « Fromage doit avoir comme principale tâche la direction politique de la Région. Il ne peut conserver son poste de secrétaire régional s’il garde son attribution au comité central. » (Arch. Nat., F7/13093). Quelques mois plus tard (en mars), René Fromage partit à Moscou suivre les cours de l’École internationale. Il travailla sur la Première Internationale et sur l’anarchisme. La direction du Parti communiste manifesta des inquiétudes devant son comportement politique en URSS. Au bureau politique du 30 décembre 1926, Pierre Semard, de retour d’une réunion de l’Exécutif à Moscou, affirma que Fromage serait allé avec Jacob* voir Zinoviev et Trotsky qui les auraient encouragés au travail fractionnel. Et il ajoutait que Fromage était déçu par sa non-élection au bureau politique et au comité central lors du congrès de Lille (I.M.Th., bobine 151).

René Fromage raconta lui-même ses hésitations dans son autobiographie de février 1931 : « Arrivé à Moscou fin avril 1926. Je suis politiquement lié avec en France le groupe Suzanne Girault* et le groupe Zinoviev de l’IC. J’ai immédiatement le contact avec le camarade Jacob*, représentant du parti français à l’IC. En compagnie de celui-ci j’ai à Moscou des entrevues avec Kouralsky (plusieurs), avec Zinoview (deux), avec Trotsky (une). Je reviens de Moscou en juin 1926 pour assister au congrès de Lille, appartenant toujours à l’opposition. De retour à Moscou en juillet de la même année, me rendant compte que le chef de l’opposition sera Trotsky, que le groupe Zinoviev glissera sur sa plate-forme, je romps toutes relations avec l’opposition, sans être toutefois entièrement convaincu de la fausseté de ma position. En décembre 1926, je participe au VIIe Exécutif de l’IC. Je suis entièrement d’accord avec la politique de l’Internationale. Mon cas vient devant la délégation française à l’Éxécutif. Je fais une déclaration concernant mes erreurs et mes liaisons passées avec l’opposition (groupe Zinoviev). De décembre 1926 à septembre 1928, j’assiste à tous les Éxécutifs de l’IC. Au Ve congrès de l’ISR, au VIe congrès de l’IC. »

René Fromage adressa de Russie aux Cahiers du Bolchevisme un article sur « Le fonctionnement d’un trust d’État en URSS » publié dans les numéros 79 (1er septembre 1927) et 80 (15 septembre 1927). On pouvait y lire : « les ouvriers français ont tout à envier de la situation des prolétaires de l’URSS ». La police signala qu’à son retour en France, au cours de l’année 1928, il passa quinze jours chez son père qui exploitait un hôtel-restaurant à Bagnolet, 211 rue Sadi-Carnot. Il fit dans cette ville des comptes rendus de son séjour en URSS. En juin 1928, les Cahiers du Bolchevisme publièrent, sous son pseudonyme de René Fronsac, un article hostile à Trotsky intitulé « Léninisme et trotskysme ».

René Fromage effectua une délégation dans le Nord pendant les grèves du Textile de 1928.

En septembre 1928, le bureau politique lui demanda de remplacer Joseph Perrin* au secrétariat de la Région limousine et d’assurer la fonction de rédacteur en chef du Travailleur du Centre-Ouest. La police l’arrêta en juin 1929 à la suite des incidents provoqués par le verdict du procès Barataud. Il obtint un non-lieu. Délégué de la Région limousine au congrès national de Saint-Denis (31 mars-7 avril 1929), il intervint lors de la dernière journée et émit des réserves sur le rapport Semard concernant la tactique électorale (l’Humanité, 8 avril 1929). Il ne fut pas élu au comité central. Selon un rapport de police de 1932, René Fromage assurait également le secrétariat du rayon de Limoges, secondé par René Brigot* (trésorier), Raoul Barette* et Baptiste Penaud*. Le rayon groupait quarante cellules et cinq cent cinq adhérents. Le Parti communiste le présenta aux élections législatives des 1er et 8 mai 1932 dans la première circonscription de Limoges. Il recueillit 3 523 voix sur 36 444 inscrits et 30 127 votants, puis se maintint au second tour contre le socialiste Sabinus Valière*, conformément aux consignes nationales de son parti. Il conserva 1 207 voix sur 30 203 votants tandis que Valière* était élu.

Cependant l’action de René Fromage ne se limitait pas au Limousin ; ainsi le bureau politique du 5 octobre 1928 l’avait mis à la disposition de la Région du Nord « pour veiller au fonctionnement des cellules et des fractions. Enfin, pour assurer le fonctionnement des organismes du Parti dans la grève » du textile (I.M.Th., bobine 279).

René Fromage avait quitté la Haute-Vienne au cours de l’année 1933 pour, selon la police, venir à Bagnolet gérer l’hôtel-restaurant de son « père », emprisonné pour deux ans (pas pour des raisons politiques semble-t-il). En juin, il entra à la rédaction de l’Humanité, où il signait Fronsac. Ce nom lui resta jusqu’à sa mort. La police annonça son établissement comme armurier, 261 avenue Pasteur à Bagnolet en 1935, puis le dit comptable à l’Humanité en 1938 et chef des ventes en 1939. Il s’était rendu en Espagne en 1938. Élu conseiller municipal de Bagnolet en mai 1935 (en 11e position sur 27 élus), il devint quatrième adjoint au maire communiste Paul Couderc.

La préfecture suspendit la municipalité en octobre 1939 et déchut René Fromage de son mandat le 15 février 1940 mais ne put pas lui notifier la décision : « mobilisé, femme partie sans adresse » indique la préfecture (10441/64/2 23). Arrêté le 18 septembre 1939 pour « propagande antifrançaise », il bénéficia d’un non-lieu. Il serait parti en Haute-Loire lors de l’exode de juin 1940. Une nouvelle arrestation survenue dans ce département en février 1941, le conduisit successivement à la prison de la Santé de Paris, à Fresnes, à Saint-Paul-d’Eyjeaux en Haute-Vienne (février à mars), à Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) puis à la prison de Castres. Libéré en mai 1943 et mis en résidence surveillée, il exploita un domaine appelé « La grande maman » à Beaux-Malataverne (Haute-Loire). Il entra alors dans les FTP et devint, sous le nom de Minos, lieutenant. On l’appela à la Libération pour administrer, à Saint-Étienne, le journal Le Cri du peuple. Fronsac retrouva son siège dans le conseil municipal provisoire de Bagnolet à l’automne 1944 comme adjoint. Les électeurs lui confirmèrent leur confiance en avril 1945 mais la mort le surprit un mois plus tard alors qu’il se préparait à revenir à Bagnolet. La mention « Mort pour la France » fut apposée sur son acte de naissance, sur instruction du ministère des anciens combattants le 17 avril 1952, car sa mort était liée à son activité pendant l’Occupation.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24647, notice FROMAGE René, Auguste. Pseudonyme en France : FRONSAC René. Pseudonyme à Moscou : GAYET par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 24 novembre 2017.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

René Fronsac, alias René Fromage
René Fronsac, alias René Fromage
[Au service de la population. La municipalité de Bagnolet vous soumet son bilan 1928-1958, février 1959]

SOURCES : RGASPI, Moscou, 495 270 8590 ; dossier École léniniste internationale 531 1 31. — Arch. Nat., F7/13085, F7/13091, F7/13130. — Arch. Ppo. 101. — Arch. Dép. Seine, DM3 et Versement 10451/76/1, 10441/64/2 23. — Arch. Com. Bagnolet. — Arch. J. Maitron, fiche René Fromage. — L’Humanité, 8 juin 1926. — Cahiers du Bolchevisme, 1927-1928. — Bulletin municipal de Bagnolet, n° 31, mai 1946. — Au service de la population. La Municipalité de Bagnolet vous soumet son bilan, 1928-1958, Bagnolet, février 1959. — A. Kurella, La génération léniniste (en russe). — A. Vassart, Mémoires, op. cit., p. 41. — Renseignements fournis par Monsieur Marcel Picard. — État civil de Lyon, IIe arr., 26 avril 1983 et de Saint-Étienne. — Notes de Jacques Girault.

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