LABAERE Marcel.

Par Adrian Thomas

Boezinge (aujourd’hui commune d’Ypres-Ieper, pr. Flandre occidentale, arr. Ypres), 16 juillet 1914 – Charleroi (pr. Hainaut, arr. Charleroi), 18 mars 1986. Ouvrier métallurgiste, syndicaliste, communiste, pacifiste, délégué principal de la Câblerie de Charleroi (ACEC-CDC - pr. Hainaut, arr. Charleroi).

Marcel Labaere, s.d. (fonds CArCob).
Marcel Labaere, s.d. (fonds CArCob).

Marcel Labaere grandit à Dampremy (aujourd’hui commune de Charleroi), commune ouvrière de Charleroi. Ce manœuvre spécialisé entre aux ACEC (Ateliers de constructions électriques de Charleroi) en 1937 et s’oriente vers la câblerie, fondée en 1910, qui regroupe 1 700 des 5 300 ouvriers de cette entreprise emblématique.

Mobilisé en mai 1940, Marcel Labaere est rapidement capturé. Prisonnier de guerre jusqu’en 1941, il reprend son poste aux ACEC avant d’être à nouveau arrêté et déporté de 1943 à 1945 en Allemagne, cette fois pour le service du travail obligatoire.

Comme beaucoup d’autres ouvriers à la Libération, c’est l’admiration de Marcel Labaere pour l’Union soviétique et l’Armée rouge qui le fait adhérer au Parti communiste de Belgique (PCB) en 1946. Il entre à la cellule des ACEC en tant que trésorier. Il devient l’année suivante délégué syndical FGTB (Fédération générale du travail de Belgique), à la suite d’un mouvement social offensif, et même délégué principal de toute la câblerie.

Marcel Labaere démontre très vite ses capacités mobilisatrices, pour le syndicat comme pour le parti. Sa fiche secrète au PCB relève son aisance à se lier facilement avec les ouvriers et sa popularité dans l’usine. Avec deux autres câbleurs communistes, Marcel Toutin et Paul Charles, Labaere fait de sa sous-cellule de la câblerie la plus active et nombreuse de la section du PCB aux ACEC (56 membres à la câblerie en 1951, soit la moitié de l’effectif communiste aux ateliers), à travers les multiples grèves et manifestations syndicales qui émaillent la vie sociopolitique de la région et de l’entreprise. Labaere est vite élu président de la caisse d’entraide ouvrière de tous les ACEC. Leur travail militant est collectif, fruit d’une concertation élaborée pas à pas par des prises de parole en assemblée syndicale soigneusement préparées. Le prédécesseur socialiste de Marcel Labaere est lui-même rondement convaincu que le communiste est « plus instruit que lui syndicalement » et c’est pourquoi il lui cède son mandat de délégué principal de la câblerie. Ce savoir-faire dynamise l’hégémonie des communistes au sein de cette délégation syndicale.

Les militants du PCB se renforcent dans les années 1950 également par le biais pacifiste, en recrutant massivement les câbleurs dans la ligue pacifiste procommuniste (Union belge pour la défense de la paix) et au sein des Amitiés belgo-soviétiques. Marcel Labaere est d’ailleurs envoyé en 1950 à Varsovie (Pologne) au Congrès mondial des partisans de la paix puis en 1955 à Helsinki (Finlande) à l’Assemblée mondiale de la paix, gages de la considération que son parti lui porte. Il intervient aussi en 1953 à un meeting pacifiste à Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale) parmi d’autres orateurs, comme Isabelle Blume. Du reste, la presse du parti est bien distribuée à la câblerie, notamment le journal communiste des ACEC, Dynamo, et même une revue féminine (le personnel étant plus féminisé que les autres départements), bien que Labaere n’ait nullement été lui-même un grand lecteur.

Malgré ses succès, Marcel Labaere ne semble jamais chercher à concurrencer Auguste Wéry, ni à la tête de la délégation FGTB de tous les ACEC, ni à la présidence de cellule de l’entreprise. Wéry dispose d’une bonne assise aux grands ateliers mais marche bien plus sur des œufs que son camarade, car le rapport de force global avec les socialistes est plus ténu qu’à la seule câblerie.

Marcel Labaere est bien intégré au sein du PCB, comme l’atteste sa participation en 1954 au congrès de Vilvorde (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui pr. Brabant flamand, arr. Hal-Vilvorde) . C’est simplement qu’il ne veut pas sortir de sa relative « zone de confort ». Durant une grève menée aux ACEC en 1954 sans l’accord de la hiérarchie syndicale, Labaere ne s’illustre pas, ni par un scepticisme envers cette action délétère, ni par un entrain déplacé. Quand Auguste Wéry est écarté de ses responsabilités syndicales et politiques en 1955, Labaere refuse de lui succéder, laissant Robert Dussart s’en charger. Son superviseur du PCB avait bien signalé sur sa fiche secrète son absence « d’aptitude à s’orienter seul dans une situation », mais il est certain que Labaere s’entendait avec Dussart.

Marcel Labaere est plus discret par après. Il ne se distingue pas durant la grande grève de 1960-1961 (contre la loi « unique »), quand Robert Dussart se révèle comme le meneur syndical emblématique de Charleroi qu’il incarnera jusqu’en 1986. Labaere reste durant les années 1960 le délégué principal à la câblerie et garde sa place dans le quatuor de direction de la cellule du PCB aux ACEC, toujours comme trésorier, accompagnant le grand bond des adhésions, très nombreuses à la câblerie. Il intervient à ce titre au Congrès du PCB de Charleroi en 1964 pour suggérer des méthodes de récoltes de dons à la porte de l’usine. Il ne paraît jamais s’exprimer ouvertement sur les questions politiques qui dépassent sa pratique de terrain, ni même sur les révélations qui entachent de plus en plus le prestige de l’Union soviétique à laquelle il est si attaché. Il semble avoir formé durant cette période son successeur, Armand Descamp (1921- ?). Recruté en 1964, ce câbleur, délégué syndical, prend à la hâte des responsabilités au sein de la cellule communiste des ACEC, si tant qu’il en devient vite le secrétaire officiel, bien que toujours dirigée par Robert Dussart. Quand les cellules d’entreprise du PCB périclitent durant les années 1970, un rapport interne au parti note que celle de la câblerie est l’une des seules de la fédération de Charleroi à bien fonctionner, signe d’une certaine efficacité dans la continuité de la part de Labaere et Descamp. Ce dernier distribuera encore un tract en 1984 au nom de cette cellule, alors que presque toutes avaient disparu.
En 1969, Marcel Labaere est au cœur de la mobilisation syndicale contre la vente de la câblerie, la « vache à lait » du groupe ACEC, passé aux mains américaines du géant Westinghouse, si bien qu’il est menacé de licenciement par la direction patronale.

Marcel Labaere prend de toute façon sa retraite quelques années après et coulera une retraite plus sereine jusqu’à sa mort en 1986. Même si la CDC (Câblerie de Charleroi) passe en 1971 sous le pavillon italien de CEAT, les câbleurs resteront, quant à eux, le fer de lance du syndicalisme aux ACEC, comme le montre leur participation énergique à la grève de 1979 qui leur permet de gagner les 36 heures par semaine en 1981. La santé de la câblerie va cependant de mal en pis, jusqu’à connaître de grandes turbulences de 1983 à 1986 qui aboutissent à sa faillite et à sa rationalisation brutale par la Société Générale de Belgique. Nexans est le dernier repreneur en date du site et y occupe aujourd’hui plus de 350 travailleurs.

Marcel Labaere s’est révélé comme un exécutant très actif, discipliné et performant, mais plutôt inopérant sans chef d’orchestre (Auguste Wéry puis Robert Dussart). Il a sûrement manqué de vue d’ensemble, mais pas de perspective car son militantisme s’inscrit nettement dans la collégialité de ses pairs. Plus encore, ce syndicaliste communiste est remarquable pour avoir tenu de bout en bout, avec une grande stabilité, ses positions aussi syndicales que politiques sur une longue durée, se calquant précisément sur les Trente Glorieuses (1945-1973). Davantage homme de terrain que d’appareil, ce métallo a été un cadre intermédiaire valable et fiable, autant pour le PCB que la FGTB, consignant la Câblerie de Charleroi parmi les bastions rouges de l’histoire sociale belge.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article246760, notice LABAERE Marcel. par Adrian Thomas, version mise en ligne le 29 mars 2022, dernière modification le 29 mars 2022.

Par Adrian Thomas

Marcel Labaere, s.d. (fonds CArCob).
Marcel Labaere, s.d. (fonds CArCob).

SOURCES : CArCoB, dossier de la commission de contrôle politique sur Marcel Labaere, n° 1343 – Association culturelle Joseph Jacquemotte (ACJJ)-Dampremy, boîtes ACEC et documents internes – THOMAS A., Robert Dussart, une histoire ouvrière des ACEC de Charleroi, Bruxelles, Aden, 2021.

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