LA SOUCHÈRE Elena de [née RIBERA DE LA SOUCHERE Elena]

Par Anne Mathieu

Née le 2 mars 1916 à Barcelone, morte le 8 juin 2010 à Paris (XVIe arr.) ; journaliste, traductrice, essayiste ; employée dans les années 1970 au service diplomatique mexicain ; opposante à la dictature de Franco.

Les parents d’ Elena de la Souchère émigrèrent en France du fait de la santé fragile de sa mère. Son père, Romuald Dor de la Souchère était professeur de latin-grec. Selon le site de l’office de tourisme d’Antibes (Alpes-Maritmes), il commença des recherches archéologiques en 1923 et, en 1924, créa la société des Amis du musée d’Antibes. Celle-ci avait pour but de fonder un Musée historique et archéologique et de faire connaître le passé de la région. En 1925, le château Grimaldi fut racheté par la ville d’Antibes et devint le musée Grimaldi avec, pour premier conservateur, Romuald Dor de la Souchère. Il fut classé monument historique le 28 avril 1928. Il devint par la suite le Musée Picasso.

Elena de La Souchère étudia d’abord à la faculté de Médecine de Paris. On relève son nom en 1934, au troisième rang du prix « À la page », décerné par la revue éponyme, pour son livre J’ai perdu le corps de ma mère. Précisons ici qu’elle signait alors de son prénom francisé, à savoir Hélène au lieu d’Elena et que l’un et l’autre furent utilisés alternativement, en tout cas dans les années 1930.

Lors du déclenchement de la Guerre d’Espagne, elle étudiait le droit et travaillait à la délégation du gouvernement autonome basque à Paris. Elle se rendit en Espagne en 1938 en tant que journaliste. De Barcelone, elle publia en février un reportage dans l’hebdomadaire intellectuel du Front populaire, Vendredi, et un autre dans La Croix — les deux sous son prénom Hélène — ; en avril, dans L’éveil des peuples, dirigé par Marc Sangnier, cette fois-ci sous la signature E. de la Souchère. En 2007, parut Lo que han visto mis ojos. Crónicas de la España republicana, livre de souvenirs sur l’Espagne en guerre.

Le 27 mai 1938, elle fit une intervention, retour d’Espagne, en compagnie de Jean Bordes, à la salle de l’Institut à Orléans (L’éveil des peuples, 5 juin 1938).
En décembre 1938 à Paris, la députée espagnole Margarita Nelken dispensa une conférence intitulée « La guerre contre les femmes et les enfants. » La séance fut ouverte par Paul Langevin et en conclusion de celle-ci, Jean Zyromski fit adopter par l’assistance une résolution qui demandait la « convocation d’urgence d’une Conférence française d’action contre les bombardements et l’aide aux populations civiles de l’Espagne républicaine » (Le Peuple, 16 décembre 1938). Cette résolution fut signée par plusieurs personnes, dont on peut estimer qu’elles se trouvaient dans la salle. Parmi elles, outre Hélène de la Souchère, signalons Victor Basch, Suzanne Lacore, Elizabeth Eyre de Lanux, Louis Martin-Chauffier, Geneviève Tabouis, Edith Thomas, Charles Vildrac, Andrée Viollis. Le 20 janvier 1939, La Défense publia un appel à la tenue d’une grande conférence pour l’aide à l’Espagne républicaine, les 28 et 29 janvier suivants. Parmi la longue liste de personnalités soutenant l’appel figuraient Georges Auric, Julien Benda, Clara Candiani, André Gide, Louis Martin-Chauffier, Germaine Malaterre-Sellier, Jules Romains, Pierre Scize, Hélène de la Souchère, Geneviève Tabouis.

Au commencement de la Seconde Guerre mondiale, Elena de La Souchère se réfugia à Londres où, avec l’ex-ministre de la République espagnole en exil Manuel de Irujo — qui était un ami de son père — elle négocia la création d’unités basques en territoire français pour aider à la Résistance. Elle était membre de la Ligue internationale des amis basques, depuis sa création en décembre 1938. Ces unités auraient été destinées à débarquer sur les côtes atlantiques au cas où le général Franco aurait décidé d’entrer en guerre aux côtés de ses anciens alliés. Au moment du débarquement en Afrique du Nord, Elena de la Souchère s’installa à Alger, où elle fit partie du comité d’aide aux républicains espagnols récemment libérés des camps d’internement français de la colonie algérienne.

Dans un article publié en 2005 dans El País, l’écrivain Juan Goytisolo indiqua que, de retour en « Métropole », elle contribua à la création d’un Cercle García Lorca, avec des intellectuels et des militants du centre gauche, du PSOE et de la CNT. Elle s’investit aussi, ensuite, auprès du gouvernement républicain en exil, dans l’accueil des survivants des camps de concentration. À ce titre, elle s’occupa de l’ancien président de la République espagnole, Francisco Largo Caballero et ce, jusqu’à sa mort en 1946

À partir du début des années 1950, elle commença à collaborer aux Temps Modernes. Elle y traitait de l’Espagne et également de l’Amérique Latine. Indiquons par exemple ses articles suivants : « La négociation hispano-américaine et ses incidences sur l’économie espagnole » (août 1952) ; « La jeune Espagne contre Franco » (mars-avril 1956) ; « La Hispanidad chasse ses caudillos » (janvier 1959) ; « L’amère victoire de Fidel Castro » (février-mars 1959). C’était aussi une collaboratrice régulière de la rubrique « Livres » de cette revue. Parallèlement, elle publiait aussi dans la revue Esprit. Indiquons par exemple « Positions de l’Eglise d’Espagne » (juillet 1952) ; « Essence et perspectives du "péronisme" » (août 1953).

En ces années 1950, elle collaborait également à L’Express, Historia, Le Journal du dimanche, Libération. Signalons en outre qu’en 1956, elle publiait dans les Cahiers pédagogiques pour l’enseignement du second degré ; qu’en mars 1958, elle signa un article intitulé « Le souvenir de Blasco Ibañez » dans Les Lettres nouvelles.

Dans un second article de Juan Goysolo dans El País, publié dans la rubrique nécrologique en 2010, celui-ci raconta comment, en janvier 1955 de séjour à Paris, il demanda à la rencontrer au nom d’un petit groupe d’universitaires. Ils voulaient l’informer de l’opposition croissante contre le régime de Franco en vigueur à l’Université de Barcelone. Elle accueillit généreusement cette demande et présenta à Goytisolo les directeurs respectifs de France Observateur et des Lettres nouvelles, à savoir Claude Bourdet et Maurice Nadeau. Elle lui présenta aussi Julio Alvarez del Vayo, ministre des affaires étrangères en exil. Elle partagea la lutte contre la dictature de Franco avec la résistance intérieure espagnole et les exilés en France. Dans son article antérieur en 2005, Juan Goytisolo informa sur sa participation, pendant la dictature, à l’organisation à Collioure d’un l’hommage à Antonio Machado, hommage pour lequel elle obtint le soutien de Louis Aragon, Simone de Beauvoir, Jean Cassou, Pablo Picasso ou encore Jean-Paul Sartre. Dans ses deux articles, Goytisolo insista sur l’importance qu’eurent les articles d’Elena de La Souchère pour la cause de l’Espagne antifasciste. Jusqu’à la chute de la dictature de Franco, elle dispensa des conférences, répondit à des interviews radiophoniques comme télévisuelles pour défendre la démocratie espagnole.

En 1962, elle fit paraître un essai intitulé Explication de l’Espagne, centré en fait sur les années de la dictature. L’historien Manuel Tuñon de Lara lui reprocha dans la revue Esprit de « tend[re] à donner le beau rôle à la démocratie chrétienne, parmi les courants qui s’opposent au régime de Franco, ce qui revient à minimiser celui des catholiques qui ne partagent pas ce point de vue politique ». Il ajoutait cependant : « C’est là un point de vue personnel de l’auteur, qui ne saurait faire oublier les qualités de ce livre dont la lecture est indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à l’Espagne, qui comprennent que l’avenir de l’Espagne, s’il concerne d’abord les Espagnols, ne peut pas être indifférent aux Européens. »

Dans les années 1960 et 1970, son activité de journaliste se poursuivit. Elle publia dans France-Observateur — citons par exemple « A la gloire de Mexico », le 27 août 1964 — ; dans (Preuves, avec par exemple « La grande colère des étudiants d’Amérique latine » (février-mars 1969) ; dans la revue de la cité universitaire de Paris, La Cité, avec « Le Chili invite l’Amérique latine à la révolution dans la liberté » (décembre 1966). Elle travailla aussi pour Le Monde diplomatique, à partir de 1965. Là comme ailleurs, elle fut l’une des plumes essentielles dans le paysage journalistique français sur les questions espagnoles et latino-américaines. Mentionnons, aussi, quelques exemples d’articles du Monde diplomatique : « Le président élu du Guatemala est menacé à la fois par la violence prétorienne et par les maquis » (juin 1966) ; « L’Uruguay évolue vers un présidentialisme autoritaire » (janvier 1967) ; « Du Caudillo à la dictature moderne et aux officiers progressistes – Les trois âges du militarisme » (juillet 1975). Elle livrait aussi des notes de lecture dans ce mensuel.

Elle participa à l’Histoire contemporaine depuis 1945 de Robert Aron (1969).

En 1973, elle intégra le service diplomatique mexicain, et, en 1999, elle devint attachée de presse à l’Ambassade mexicaine à Paris.

En 1989, elle reçut le prix « Premio Sabino Arana », pour son soutien journalistique à la cause basque.

En 2005 dans El País, Juan Goytisolo concluait son article ci-dessus mentionné en vitupérant « l’oubli honteux » dans lequel se trouvait Elena de Souchère. Laquelle « avait tant fait pour la cause républicaine et pour la liberté » de l’Espagne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article246764, notice LA SOUCHÈRE Elena de [née RIBERA DE LA SOUCHERE Elena] par Anne Mathieu, version mise en ligne le 21 avril 2022, dernière modification le 21 avril 2022.

Par Anne Mathieu

ŒUVRE CHOISIE : Essais : Explication de l’Espagne, éditions Grasset, 1962. — Lo que han visto mis ojos. Crónicas de la España republicana, Barcelona, Galaxia Gutenberg, 2007. — Crime à Saint-Domingue. L’affaire Trujillo-Galindez, Albin Michel, 1972. — Traductions : Ana María Matute, Fête au Nord-Ouest, Gallimard, 1961. — avec Jean-Michel Fossey et Jean-Jacques Olivier : Sergio Vilar, Les Oppositions à Franco, Denoël, 1970.

SOURCES : Alberto Martínez Artola, « Souchère, Elena de », Auñamendi Eusko Entziklopedia, 2022. — Anne Mathieu, Nous n’oublierons pas les poings levés – Reporters, éditorialistes et commentateurs antifascistes pendant la guerre d’Espagne, Paris, Syllepse, 2021. — Site de la Fundazio Sabino Arena, 2013. — Juan Goytisolo, « Elena Ribera de la Souchère, luchadora contra la dictadura », El País, 10 juin 2010. — [N.S.], « Elena Ribera de la Souchère (1916-2010) », Institut Cervantès, 9 juin 2010, en ligne. — José Andrés Rojo, El País, 25 juillet 2007, en ligne. — Anne Mathieu, « Jean-Paul Sartre et l’Espagne : du "Mur" à la préface au Procès de Burgos », Roman 20-50, juin 2007, pp. 111-124. — Juan Goytisolo, « Celebración de Elena de La Souchère », El País, 19 juillet 2005. — Manuel Tuñón De Lara, « Elena De La Souchère : Explication de l’Espagne (Éditions Grasset) […] », Esprit, juillet-août 1962, p. 181-183. — Databnf. — Idref. — Cercle d’études Blasco Ibañez. — Office de tourisme de Juan-Les-Pins. — Journaux et articles de presse cités dans la notice.

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