Par Adrian Thomas
Courcelles (pr. Hainaut, arr. Charleroi), 1er août 1908 – Gosselies (aujourd’hui commune de Charleroi), 20 mai 1977. Ouvrier métallurgiste, syndicaliste, communiste, maoïste, délégué principal des ACEC de Charleroi.
Auguste Wéry grandit dans une famille ouvrière socialiste du nord de Charleroi. Il suit des cours du soir de chimiste industriel, afin de travailler en sidérurgie. Il est mineur durant six ans avant de rentrer en 1936 aux ACEC (Ateliers de constructions électriques de Charleroi) comme ouvrier machines-outils.
Sympathisant communiste depuis la grève des mineurs de 1932, Auguste Wéry adhère au Parti communiste de Belgique (PCB) au début de la Seconde Guerre mondiale. Il n’a alors que peu de camarades au sein de l’usine. D’autres communistes ont déjà été mis à la porte pour leur appartenance politique (Georges Glineur, Raoul Baligand, Félicie Mertens*). Wéry rebondit sur la grève du 15 au 19 février 1943 contre le service du travail obligatoire aux ACEC en distribuant cinquante petits billets de slogans antinazis et en recrutant quelques ouvriers. C’est l’acte de naissance de la cellule du PCB aux ACEC et de son petit journal, Dynamo. Cette feuille d’usine sera sans doute la plus pérenne de toutes car elle se diffusera jusqu’en 1983, souvent par milliers d’exemplaires.
Après-guerre, aux ACEC, Auguste Wéry continue à militer au PCB. Dans l’entreprise, les ouvriers se sont massivement détournés des syndicalistes socialistes au profit des renardistes locaux, Émile Clersy et Robert Moreau*. Les communistes y sont alors très isolés, mais y deviennent populaires à la sortie de leur parti du gouvernement en 1947. La lutte sociale retrouve alors sa vigueur et les ouvriers des ACEC sont à la pointe du mouvement à Charleroi en faveur d’une hausse salariale. C’est dans ce contexte offensif que dix communistes sont élus parmi la soixantaine de délégués syndicaux que comptent les ACEC. Wéry devient délégué principal du département de l’usinage mécanique et son camarade Marcel Labaere de la câblerie. Dès lors, le syndicaliste communiste recrute dans sa cellule d’usine une cinquantaine d’ouvriers. Il est hissé en 1949 à la vice-présidence de la délégation syndicale, aux côtés des socialistes Jules Hanset* et Fernand Docq*. Wéry émerge du trio, malgré sa rivalité avec Hanset, et devient en 1950 délégué principal de tous les ACEC-Charleroi.
L’appareil socialiste de la régionale de la Centrale des métallurgistes de Belgique (CMB-FGTB (Fédération générale du travail de Belgique)) riposte durant la campagne électorale : alors que Auguste Wéry occupe la seconde place de la liste régionale du PCB pour les législatives de juin 1950, la CMB l’accuse d’avoir détourné à son profit un fonds de solidarité pour des familles endeuillées de mineurs. Cependant, rien ne l’atteste et Wéry résiste à ce qu’il dénonce comme une intimidation envers sa soudaine ascension syndicale. Il restera néanmoins écarté du comité exécutif de la CMB-Charleroi.
Au PCB, le Comité central souligne les qualités d’« ouvrier conscient qui pratique la lutte des classes dans l’action directe » et ses « capacités incontestables de dirigeant syndical » d’Auguste Wéry. Avec une équipe composite répartie dans tous les ateliers, il parvient à populariser la cellule du PCB et les revendications communistes parmi les ouvriers. Il est récompensé de ses efforts par un voyage en Union soviétique en 1948 pour l’anniversaire de la révolution russe. Wéry est toutefois mis à nouveau en difficulté en septembre 1950. Les ACEC sont en ébullition durant le mouvement contre l’allongement du service militaire, passant de 12 à 24 mois. Wéry déçoit ses camarades par sa frilosité à s’engager dans ce combat spontané. Mis sous pression par le patron des ACEC et sa structure syndicale, il ne soutient pas la lutte. Il est sévèrement critiqué en interne du PCB pour cette conduite jugée mollement conciliatrice, induisant une certaine confusion entre travail politique et syndical. Cette secousse n’entrave cependant pas le succès de sa cellule, qui grimpe à 127 membres en un an, ni sa promotion au sein du PCB car il rentre au Comité central en 1951.
La tension avec la CMB de Charleroi, dirigée d’une main de fer par Arthur Gailly*, s’accroît jusqu’à exploser en 1954. Une grève restreinte aux ACEC, pilotée entièrement par le PCB, bloque durant l’été les ateliers, avant d’être désavouée publiquement par la FGTB. Auguste Wéry, porté malade durant la grève, incite ses affiliés à renoncer à un combat ingagnable. Il conserve néanmoins ses fonctions au sein de la FGTB et du PCB.
Auguste Wéry avait déjà dénoncé en 1950 au Comité central du PCB les tiraillements aussi stériles qu’épuisants entre son parti et son syndicat. Lors du congrès de Vilvorde en 1954, qui marque un tournant radical dans l’orientation globale du PCB, Wéry intervient pour dénoncer au nom de sa cellule le jusqu’au boutisme de la direction communiste et participe à son renversement, comme la grosse majorité des syndicalistes du parti. Il s’écarte de ses responsabilités l’an suivant, estimé nerveusement fatigué par ses camarades, à la suite d’une nouvelle grève. Wéry contracte un cancer de la gorge, causé par son grand tabagisme. Opéré à Paris, il s’en sort avec un trou dans la gorge et une voix d’outre-tombe, s’exprimant avec un larynx électronique placé sous le menton. Très diminué, il se désintéresse du militantisme, pour la cuniculture.
Robert Dussart reprend les fonctions syndicales et politiques de Auguste Wéry. C’est par un camarade, Arthur Bleux, que Wéry avait rencontré après-guerre les frères Georges et Robert Dussart, qu’il côtoie aux grands ateliers. Wéry estime avoir « formé » Dussart, mais ce n’est pas l’appréciation de ce dernier. De fait, et malgré une certaine camaraderie, Dussart connaîtra des difficultés avec son prédécesseur. Wéry, encore officiellement membre du Comité central et délégué principal des ACEC mais toujours absent, décide en 1958 de reprendre ses attributions. Mais la page a été tournée. La fédération carolorégienne du PCB et la régionale CMB-Charleroi choisissent de maintenir Robert Dussart dans ses nouvelles charges. Le patron des ACEC semble lui aussi du même avis en mutant Auguste Wéry de département, de l’usinage mécanique au laboratoire. Il s’y résigne et termine sa carrière en septembre 1960, peu avant la grande grève de 1960-1961 dans laquelle les ouvriers, la FGTB et le PCB des ACEC démontreront toute leur capacité mobilisatrice.
Auguste Wéry achève sa vie militante par son adhésion au maoïsme. Il suit en 1963 Désiré Trifaux*, l’ex-secrétaire du PCB-Charleroi qui supervisait la cellule des ACEC (1951-1957), dans la scission de Jacques Grippa*. L’ancien dirigeant du PCB crée ainsi le premier parti maoïste en Europe. Trifaux avait déjà été exclu du parti en juillet 1960, pour « fractionnisme ». L’ancien cadre communiste avait essayé, après Vilvorde (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui pr. Brabant flamand, arr. Hal-Vilvorde), d’entraîner la cellule des ACEC et une autre dans une opposition systématique à la nouvelle direction, afin de faire revenir l’ancienne. Fort mis sous pression, Robert Dussart l’avait alors dénoncé aux instances du PCB. Auguste Wéry visitera l’Albanie avec ses amis maoïstes mais ne restera pas chez Grippa, s’en allant dès la première dissidence en 1965. Bien qu’entretenant des contacts avec L’Exploité, le petit journal gauchiste d’Arnold Hauwaert qui tournait autour des ACEC, Wéry disparaît des radars jusqu’en mars 1976, lorsqu’un jeune maoïste du PCBML (PCB marxiste-léniniste), une scission de l’UC(ml)B (Union des communistes (marxistes-léninistes) de Belgique), travaillant aux ACEC, prend contact avec lui, l’interviewe et l’invite à assister au meeting du 1er mai de son groupuscule. Wéry y adhère par nostalgie du « temps du grand Staline » mais meurt peu après, en mai 1977, des suites de son cancer de la gorge, à Gosselies (aujourd’hui commune de Charleroi), dans le petit quartier du Grand Conty.
Auguste Wéry incarne un certain prototype du métallo communiste du second après-guerre et des fifties, persévérant et solidement ancré dans l’usine mais figé par son ouvriérisme thorézien. Wéry a pourtant beaucoup souffert du tiraillement entre les instances de son parti et de son syndicat, contournant les tensions sans trouver la position propice et pérenne que se bâtira son successeur Robert Dussart, bien plus souple et efficace dans ses combats tant politiques que syndicaux. C’est toutefois sur base du travail laborieux et collectif de Wéry que Dussart a pu populariser sa cellule communiste et son influence politique au sein des ACEC et de la FGTB de Charleroi.
Par Adrian Thomas
ŒUVRE : éditeur de Dynamo (1943-1955) – WÉRY A., BROUERS A., LIBOIS P., Laissons parler ceux qui ont vu ! Récit du voyage de la délégation des Amitiés belgo-soviétiques au 31e anniversaire de la révolution socialiste d’Octobre, Bruxelles, éd. ABS, 1949.
SOURCES : IHOES, fonds Michel Nesjzaten, cahier Wéry – CArCoB, dossier de la commission de contrôle politique sur Auguste Wéry, n° 2173 – Entretiens avec Michel Nesjzaten et Hubert (Umberto) Beni, 2020 – THOMAS A., Robert Dussart, une histoire ouvrière des ACEC de Charleroi, Bruxelles, Aden, 2021.