ESPITALIER Victor, Nicolas

Par Jacques Girault

Né le 22 août 1888 à Paris (XVIIIe arr.), mort le 7 décembre 1960 à Villecroze (Var) ; coiffeur et représentant de commerce ; communiste ; conseiller d’arrondissement ; candidat aux élections législatives de 1919 ; maire de Villecroze à partir de 1945.

Sa famille était originaire de Villecroze, petit village du Haut-Var dans le canton de Salernes. Son père était agent de police à Paris, sa mère catholique pratiquante, travaillait au Bon Marché. Espitalier vécut à Paris jusqu’à son service militaire. Il obtint son Certificat d’études primaires et fit son apprentissage de coiffeur. Militant à la SFIO, il se souvenait avoir côtoyé Cachin dans des réunions. Son père se retira à Villecroze comme garde champêtre. Après son service militaire accompli à Marseille où il fut particulièrement rebelle à l’armée (son antimilitarisme en découla), Espitalier, marié en 1912, s’installa comme coiffeur dans le village qui était celui de son épouse.

Blessé au début de la guerre, Espitalier passa le reste du conflit en captivité en Allemagne et travailla dans une mine de sel, puis chez des cultivateurs.

De retour en France, partageant son activité entre son métier de coiffeur et la représentation, Espitalier milita dans une organisation de « poilus » et se présenta aux élections législatives, le 16 novembre 1919, avec deux anciens combattants sur une « Liste des libérés et éprouvés de la Grande Guerre ». 2 778 voix se portèrent sur son nom sur 82 068 inscrits.

Le 30 novembre 1919, comme dans beaucoup de villages, Espitalier se présenta aux élections municipales de Villecroze sur une liste de jeunes démobilisés et obtint 63 voix sur 240 inscrits. Seul candidat au conseil d’arrondissement pour le canton de Salernes, il fut élu, le 14 décembre 1919 avec 402 voix sur 1 061 inscrits. Il en devint secrétaire en août 1920.

Début janvier 1920, avant l’élection sénatoriale où Clemenceau ne se représentait pas, une forte campagne fut organisée en faveur de la candidature de René Renoult. Parmi les assistants au congrès de la circonscription de Draguignan où la candidature Renoult fut ratifiée, Le Petit Provençal avait mentionné son nom. Aussi avec Jaubert, adjoint au maire de Salernes, publia-t-il une mise au point dans Les Coulisses, le 10 janvier 1920 : « déclarons que nous n’avons pas assisté, ni donné mandat à qui que ce soit pour nous représenter au congrès officiel départemental – comme Le Petit provençal l’annonce – congrès dans lequel on a imposé une candidature exotique au département ».
Espitalier adhéra dès le début au Parti communiste et participa à son organisation dans les cantons d’Aups et de Salernes ; le 15 mai 1921, il était au bureau d’une réunion à Salernes pour l’amnistie des marins de la mer Noire. Au congrès fédéral d’Hyères, le 13 mars 1922, il fut élu au bureau fédéral pour la région de Draguignan.

Le 14 mai 1922, Espitalier ne fut pas réélu comme conseiller d’arrondissement (les procès-verbaux complets de cette élection n’ont pu être retrouvés). Il était encore électeur à Villecroze en 1924.
Installé comme coiffeur à Aups, Espitalier vendait à domicile pour le compte d’un marchand de tissus et de confection de La Seyne dans les cantons d’Aups, de Barjols et de Salernes. Veuf après une longue maladie de sa femme, il se remaria en 1932 avec la fille d’un fabricant de « malons » (carrelage) ruiné par l’inactivité due à la guerre. Son fils, très tôt, l’accompagna dans ses tournées.

Espitalier se présenta plusieurs fois comme candidat communiste aux élections cantonales à Aups :

— pour le conseil d’arrondissement, le 9 août 1925, 171 voix sur 919 inscrits et le 14 octobre 1928, 159 voix au premier tour et 229 voix au suivant sur 892 inscrits (son adversaire le distançait de trente voix) ;

— pour le conseil général, le 18 octobre 1931, 101 voix sur 859 inscrits ; il se retira à la suite du premier tour sans explication apparente. En fait, il apportait son soutien à Chauvin*.

Espitalier fut proposé, le 11 décembre 1927, par le congrès communiste de Carnoules pour être candidat aux élections législatives ; cette décision n’eut pas de suite.

Lors des élections législatives de 1928, une cellule communiste fut créée à Aups dont Espitalier était l’animateur et qui se réunissait au cercle de la Fraternité.

En 1929, selon le rapport du préfet, Espitalier s’efforçait de regrouper les opposants au maire d’Aups et de « faire cartel avec les éléments socialistes » de la commune. Depuis 1925, la gestion du village avait été rendue difficile par le partage égal du conseil municipal entre socialistes SFIO et forces conservatrices « radicales-socialistes ». Cette liste fut battue et Espitalier recueillit 131 voix sur 466 inscrits le 5 mai ; elle se retira bien qu’un deuxième tour ait été nécessaire puisque les candidats radicaux, arrivés en tête, n’avaient pas obtenu la majorité absolue des suffrages. Espitalier, bon orateur, pratiquait avec facilité l’ironie. Son accent, proche de celui d’un Lyonnais, lui permettait de vives répliques. Il comprenait le provençal, mais ne le parlait pas. Aussi, participa-t-il au début des années 1930 à de multiples réunions dans le Haut-Var : contradictions au candidat Berthon en 1932, commémoration de la résistance au Coup d’État de 1851, le premier dimanche de décembre à Aups, inauguration d’un monument à Martin Bidouré à Barjols, le 11 février 1934, rassemblement du Nord-Ouest varois à Aups, le 1er mai 1934, etc.

Espitalier représentait le Parti communiste aux élections pour le conseil général dans le canton de Rians en 1934. Le 7 octobre, il recueillait 183 voix sur 1 247 inscrits et se désistait pour le candidat socialiste SFIO. Il s’installa à nouveau à Villecroze où, en plus de ses occupations habituelles, coiffeur et représentation, il cultivait sa petite propriété. Animateur du cercle laïque, contre la « liste de concentration républicaine et d’intérêt local » du maire sortant, Espitalier constitua, le 5 mai 1935, une liste du « Bloc ouvrier et paysan ». La campagne électorale a servi de modèle au récit en langue provençale de l’instituteur — félibre, Gabriel Trotobas qui le décrit ainsi « un homme aimable […] le nez écrasé comme une figue, haut comme une fourche, plutôt rondelet ». Il ajoutait « s’il n’est pas le plus beau ni le plus gaillard, c’est celui qui crie le plus fort ». Obtenant 87 voix au premier tour sur 210 inscrits, il fut élu avec tous ses camarades, le dimanche suivant avec 98 voix. Le 19 mai, le maire, industriel dans les Alpes-Maritimes, avait souhaité son élection comme adjoint ; il n’obtint que trois voix et fut seulement délégué aux écoles.

En 1936, à la suite du décès du conseiller d’arrondissement du canton d’Aups, Espitalier fut élu. Le 26 janvier, il obtenait 143 voix sur 795 inscrits et le dimanche suivant, l’emportait avec 342 voix.
Le 10 octobre 1937, Espitalier se présentait contre Chauvin*, conseiller général sortant et réunissait 165 voix sur 771 inscrits. Le dimanche suivant, devenu selon le bulletin de vote « candidat de rassemblement populaire » il était battu malgré ses 265 voix, une partie des voix du candidat socialiste SFIO lui manquait. Aussi, démissionna-t-il de son mandat de conseiller d’arrondissement. À nouveau candidat le 21 novembre 1937, il n’obtenait que 163 voix et se désistait pour le candidat socialiste SFIO qui, cette fois, le précédait. Dans ces deux campagnes successives, ses adversaires s’étaient servis de la résidence et du mandat municipal du candidat communiste (Villecroze) qui habitait maintenant dans le canton de Salernes.

Espitalier participait à la vie du Parti communiste et intervint au premier congrès de la nouvelle fédération du Var à La Seyne, le 14 février 1937 sur la question paysanne. Il était secrétaire de la coopérative et du Crédit agricole de Villecroze.

Espitalier dénonça le ralliement de son parti au Pacte germano-soviétique par voie de presse. Cette attitude affecta beaucoup la cohésion des communistes de la région. Selon le commissaire spécial, il avait cessé, en décembre 1940, toute activité. Pendant la guerre, il aida les communistes engagés dans la Résistance particulièrement importante dans cette région et fit partie du comité de Libération de Villecroze.

Le 29 avril 1945, à la tête d’une liste dite « de Libération », Espitalier fut élu maire de Villecroze. Il redevint membre du Parti communiste en 1946, après s’être publiquement expliqué dans la presse. Il fut constamment réélu en octobre 1947, en mars 1953 et en mars 1959 à la tête de listes d’« Union républicaine et d’intérêt local » où se côtoyaient communistes et non communistes.

Les communistes de Salernes toutefois, outre leur méfiance à l’égard de celui qui avait « trahi » en 1939, lui reprochaient sa vie quelque peu dissolue. Pourtant très vite tout rentra dans l’ordre. Espitalier ne fut pas désigné comme candidat au conseil général en 1951. Après la défaite du candidat communiste (le conseiller sortant communiste ne se représentait pas), Espitalier affirma que le Parti aurait dû le présenter.
Espitalier réalisa beaucoup dans sa commune surtout dans les domaines scolaires et sociaux (groupe et cantine scolaires, douches municipales, consultations gratuites de nourrissons, etc.). Sa gestion était « un peu timide » pour les grosses dépenses (budget extraordinaire) ? Ayant de sérieuses connaissances de comptabilité, il assurait le secrétariat de la coopérative vinicole. Selon la secrétaire de mairie, « sa droiture et son honnêteté étaient extrêmement strictes. Sa parole était facile, son caractère difficile, sa bonté légendaire […] autoritaire et un peu tribun […] profondément laïque au sens propre du mot. La laïcité pour lui n’était pas comme pour beaucoup à l’époque, une religion. Elle en était au contraire l’absence ».

Espitalier est un des rares maires communistes du Haut-Var à ne pas avoir connu de défaite électorale après la guerre. Il était marié et père d’un enfant.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24686, notice ESPITALIER Victor, Nicolas par Jacques Girault, version mise en ligne le 23 février 2009, dernière modification le 7 mai 2009.

Par Jacques Girault

SOURCES : Arch. Nat. F7/13021, 13118, 13123, 13165, 18 M 86. — Arch. Dép. Var, 2 M 3.47 ; 2 M 3.52 ; 2 M 4.11 ; 2 M 5.280 ; 2 M 5.285 ; 2 M 5.293 ; 2 M 6.22 ; 2 M 6.24 ; 2 M 7.24.3 ; 2 M 7.32.3 ; 2 M 7.33.1 ; 2 M 7.35.4 ; 3 M 59.4.1 ; 4 M 59.4.4 ; 18 M 43. — Presse locale. — G. Trotobas, Uno eleicien à Vilotouarto, Toulon, 1943. — Renseignements fournis par Mme Pleau, secrétaire de mairie de Villecroze, par le fils de Espitallier, par MM. Jouvenceau et Ferran. — Sources orales nombreuses.

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