COTTE Eugène [COTTE Célestin, Eugène] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Marcelle Bréchet, Philippe Worms

Né le 25 mars 1889 à Pannes (Loiret), mort le 19 août 1976 à Pannes (Loiret) ; ouvrier agricole puis cantonnier ; anarchiste, puis socialiste, puis communiste.

Eugène Cotte en 1910, à Lausanne.
Eugène Cotte en 1910, à Lausanne.
Archives familiales

C’est à Mondru, un hameau reculé de la commune de Pannes, que naquit Eugène Cotte. Son père était un petit cultivateur, sa mère avait été domestique de ferme. Elle était illettrée mais savait compter. Eugène témoigna toujours beaucoup d’admiration et de respect pour son grand père paternel, Martin Cotte, conseiller et maire adjoint de Pannes de 1854 à 1894.

En 1895, Eugène fréquenta l’école après que son père lui eut appris à lire et à compter, et manifesta dès cet âge « une véritable soif d’apprendre », écrira-t-il dans ses Mémoires. Les années suivantes, la famille traversa une période de « misère noire » suite à plusieurs mauvaises récoltes consécutives. Eugène commença à lire les journaux républicains et anticléricaux que recevait son père.

En 1900, il obtint son certificat d’études. Au printemps 1901, à 12 ans révolus, il quitta l’école pour travailler aux champs avec son père. Sa sœur aînée, Léontine, avait été placée un an auparavant, à 13 ans, chez des cultivateurs de la région. En 1905, à 16 ans, il partit travailler comme domestique dans la ferme d’un voisin cultivateur. Léontine, à laquelle Eugène était très attaché, devint « fille-mère ». Cet événement, avec son cortège d’infamies, marqua grandement Eugène et détermina ses critiques de la morale dominante.

En 1907, sa sœur se maria civilement, « ce qui se voyait rarement à la campagne ». À la grande louée aux domestiques de la Saint-Jean, Eugène, 18 ans, fut engagé dans la ferme du « Père Cadin » à Saint-Hilaire-les-Andrésis. Il lisait des brochures socialistes, entre autres celles de Jules Guesde, d’Hervé, de Jaurès, de Lafargue et de Compère-Morel. Il commença Le Capital de Marx. À Chuelles, un village voisin, il fit la connaissance de plusieurs militants anarchistes : Georges Beaudenon, puis Louis Chauvat et un certain Gaston. Georges était le fils du sabotier, Gaston et Louis étaient « salariés de la campagne » comme lui. En plus d’être une rencontre déterminante dans la vie d’Eugène, ils resteront amis à jamais.

En 1909-1910, il se loua comme domestique dans différentes fermes où ses idées anarchistes effraiyaient. Il lisait les ouvrages de Kropotkine, Élisée Reclus, Jean Grave, Sébastien Faure, ainsi que les hebdomadaires anarchistes Les Temps nouveaux, Le Libertaire, et le quotidien La Bataille Syndicaliste. En juin 1910, il partit travailler chez un camarade, François Chevalier, de Villemandeur, et commença à préparer son insoumission – il était mobilisable en octobre. Il se décida pour un exil en Suisse. Fin août, il se rendit à Paris. Il fit la tournée des journaux anarchistes dont L’Anarchie à Romainville, Les Temps nouveaux où il rencontra Jean Grave, et prépara son départ. Le 6 septembre, il prit le train pour Lausanne.

De septembre 1910 à avril 1912, il fut embauché à Neyruz (canton de Vaud) sur le chantier de construction d’une route. Il y fut tour à tour manœuvre, terrassier, charretier. Il lisait beaucoup, découvrait la littérature. Il rencontra Adèle, avec laquelle il vivra un « amour libre », ainsi qu’Élise, mariée contre son gré. Dès cette époque, il entretint une correspondance abondante avec ses amis, dans laquelle les idées, les positions des uns et des autres, étaient vigoureusement débattues.

Petit à petit, se forma la décision de rentrer clandestinement en France avec Albert Labrégère, un autre ouvrier insoumis avec lequel il devait rester ami. Le 18 décembre 1912, après deux ans d’exil, Eugène prit le train pour Lyon. Le 1er février 1913, il y fut arrêté lors d’un banal contrôle et conduit à la prison militaire de Lyon. Il comparut devant le conseil de guerre le 28 février et écopa d’une peine, plutôt clémente, de trois mois de prison. Il en sortit le 2 mai pour être conduit, sous escorte, à la caserne du 17e régiment de ligne à Gap. Sa décision était prise, il ferait la grève de la faim.

Le 1er juillet, il arrêta de s’alimenter en secret, en même temps qu’il simulait l’incontinence. Le 6 septembre, après soixante-sept jours de jeûne, il pesait 48 kilos mais continuait, résolu à mourir s’il n’était pas réformé. Il fut envoyé en convalescence chez sa sœur. Le 5 octobre, il retourna au régiment, puis à l’hôpital de Besançon. Il fut finalement présenté au conseil de réforme et réformé le 21 octobre 1913, après un total de cent-treize jours de jeûne !

Après quelques semaines pour recouvrer sa santé et « des jours de joie profonde » chez son ami Georges et sa compagne, Eugène monta à Paris pour « rencontrer des camarades de mes idées avec qui je puisse raisonner et discuter ». Il trouva du travail comme charretier à Courbevoie puis partit à Trappes travailler dans la carrière d’un camarade à son compte, et avec lequel il forma un projet de communauté anarchiste.

Au mois de juin 1914, il retourna dans son Loiret natal. Après que la guerre eut éclaté, il passa les premiers mois du conflit à travailler aux champs pour sa famille et ses voisins, tout en participant aux débats dans les milieux anarchistes sur l’attitude à adopter devant la guerre. Contrairement à d’autres, Eugène décida de partager le sort de tous ceux qui étaient partis combattre. Dans ses Mémoires, il devait écrire : « il est si difficile de rester continuellement logique avec soi-même dans une société où tout est une entrave à l’émancipation individuelle ! »

Après son instruction militaire, il se porta volontaire comme conducteur de mulets pour les Dardanelles. Le 13 juillet 1915, Eugène débarqua dans l’île grecque de Lemnos, face à la presqu’île de Gallipoli. Dès lors, « il me fallait m’habituer à voir indifféremment mourir les gens !… Hélas ! »

De retour en France en mai 1916, Eugène partit pour le front de la Somme. Le 1er juillet à 9 heures du matin, il sortit des tranchées avec la troisième vague d’assaut. Blessé, il fut évacué sur l’hôpital de Caen, puis à Ouistreham et Langrune-sur-Mer. C’est lors de cette convalescence, pendant les mois d’août et septembre 1916, qu’il écrit Mes Mémoires.

En janvier 1917, Eugène partit avec le 53e bataillon de tirailleurs sénégalais pour El Kantara en Algérie, où se développait une révolte kabyle. Il fut de nouveau sur le front français en mars 1918. Cité à l’ordre du régiment, il reçut la croix de guerre avec étoile de bronze.

Démobilisé an avril 1919, il revint à Pannes chez sa sœur et son beau-frère. Il fut embauché par la commune comme cantonnier municipal pour l’entretien des chemins vicinaux et du cimetière. Il devint secrétaire de la section socialiste de Pannes en 1919, dans le courant d’extrême gauche. Il publia un bulletin intitulé La Vérité.

À 30 ans, il retrouva Edmée, la fille de son ami Pierre Gagnon, qu’il avait connue enfant avant la guerre. Pierre et sa femme Zoé Villeneuve (1er mariage civil à Pannes en 1886) habitaient au lieu-dit La Manche. C’étaient de petits cultivateurs et de fervents admirateurs de Jaurès.

Eugène et Edmée se marièrent civilement le 1er mars 1921 à Pannes. Entre temps, Eugène avait réussi le concours de cantonnier-chef et il fut nommé à Gien (Loiret). En avril 1932 naquit Marcelle, et en 1935 Pierre Henri Albert.

Dès cette époque, Eugène et Edmée furent adhérents de la Fédération nationale de la Libre-Pensée, et ils y restèrent jusqu’à leur mort. Eugène entretint une correspondance impressionnante avec ses amis et camarades ; il se rencontraient, participaient à des réunions. Leurs discussions étaient animées et bruyantes. Beaucoup de lectures aussi : Anatole France, Émile Zola, Victor Hugo, Henri Barbusse, Claude Tillier et aussi Élisée Reclus (L’Homme et la terre, Évolution et Révolution), Kropotkine (L’Esprit de Révolte, Communisme et Anarchie), Camille Flammarion (Astronomie populaire), Curiosités mathématiques, etc.

Il échangea également avec diverses personnalités anarchistes, dont, entre 1927 et 1929, Sébastien Faure, auteur de L’Encyclopédie anarchiste.

La presse locale publia souvent ses courriers, où il donnait son avis sur la gestion des travaux et le budget, ou exposait ses opinions.

En 1934-1936, Eugène et Edmée participèrent aux actions contre l’extrême droite à Gien, au côté du docteur Dézarnaud.

Après l’exode de 1940, la famille s’installa à Pannes dans la maison des Gagnon. Pas d’engagement réel dans la Résistance mais, en 1942, un juif allemand, connu avant la guerre, vint se réfugier chez eux pendant plusieurs mois. Sur dénonciation, Eugène fut arrêté et emprisonné en 1943. Sa sœur Léontine parvint à le faire libérer. Au moment du débarquement en Normandie, il échappa de nouveau à l’arrestation en se cachant dans les bois.

À la Libération, Eugène reprit ses fonctions de cantonnier. Il adhéra au PCF et mit en place le comité local de libération de Pannes. Afin de préparer les États généraux de la renaissance française, prévus par le Comité national de la résistance, il rédigea un cahier de doléances à partir d’un questionnaire national, daté du 19 juin 1945, approuvé et complété en réunion publique.

Il fut conseiller municipal de Pannes de 1959 à 1965, le seul de l’opposition, et joua son rôle avec le sérieux et la probité qui le caractérisaient. Châlette, ville ouvrière, et Montargis furent de toutes les luttes. Le 5 avril 1959, pour les élections sénatoriales, il déclara qu’il ne voterait que pour « élire des candidats qui prendront l’engagement d’œuvrer contre la guerre d’Algérie, pour la chute de la tension entre l’Est et l’Ouest, pour l’abrogation des ordonnances antisociales ».

Adhérent actif de la CGT, plein d’admiration pour les réalisations sociales en URSS, il s’abonna à la revue Études soviétiques, suivit les conseils donnés pour obtenir de meilleures récoltes et alla jusqu’à commander de la semence de blé pour faire des essais dans ses champs.

Cependant, Eugène et Edmée gardaient un esprit très critique sur les informations qu’ils recevaient. Ils ne supportaient pas le culte de la personnalité et se révoltaient à la vue des « unes » de L’Huma couvertes des portraits de Staline ou de Maurice Thorez.

Eugène s’éteignit en août 1976 à l’âge de 87 ans. Edmée le suivit de près puisqu’elle mourut en décembre 1977. Comme lui, elle fit don de son corps à la médecine.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article246976, notice COTTE Eugène [COTTE Célestin, Eugène] [Dictionnaire des anarchistes] par Marcelle Bréchet, Philippe Worms, version mise en ligne le 4 avril 2022, dernière modification le 5 avril 2022.

Par Marcelle Bréchet, Philippe Worms

Eugène Cotte en 1910, à Lausanne.
Eugène Cotte en 1910, à Lausanne.
Archives familiales

ŒUVRE : Mes Mémoires (collection privée). — De nombreuses pages de Pensées et un cahier de 60 pages écrit pendant son affectation dans un régiment en Algérie, de janvier 1917 à mars 1918, viennent compléter ces Mémoires — Ces Mémoires ont été éditées sous le titre Je n’irai pas. Mémoires d’un insoumis, La ville brûle, septembre 2016.

SOURCES : Mémoires, écrits et correspondance d’Eugène Cotte. — Entretiens avec sa famille. — Presse locale. — État civil du Loiret.

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