LÉVY Jacques

Par Jean-Paul Richez

Né 24 juin 1910 à Paris (XVIe arr.), mort le 26 avril 2010 à Paris (XIVe arr.) ; ingénieur au ministère du Travail, service des assurances privées (1935-1940), direction générale de la Sécurité sociale (1945-1973), sous-directeur à la direction générale du Travail (1973-1975) ; militant CGT à partir de 1934 ; adhérant au Parti communiste en 1946.

Jacques Lévy est issu d’une famille juive dont le père Anatole Lévy, polytechnicien, était capitaine d’artillerie et la mère Esther née Goldsmidt, resta en charge du foyer. Après des études d’agronomie, Jacques Lévy débuta sa carrière dans l’entreprise « Le gaz de banlieue » mais en fut rapidement écarté en raison de ses engagements militants. À l’issue du concours d’entrée au ministère du Travail en 1935, il fut affecté, comme vérificateur à la direction générale des assurances sociales et de la mutualité du ministère du Travail où il côtoya Étienne Gout, ingénieur polytechnicien recruté en 1938 en tant qu’actuaire. Cette direction assurait alors la tutelle des assurances sociales et des compagnies mutualistes qui géraient l’assurance sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Jacques Lévy adhéra à la CGT en 1934 et fut nommé, en 1936, trésorier du syndicat CGT du ministère du Travail dont le secrétaire est alors Guérard.

Mobilisé en 1939, il fut fait prisonnier en 1940 et envoyé en Allemagne dans un camp proche de la frontière polonaise dont il s’évada en 1944. Son parcours l’amena à passer en Union soviétique et il ne retrouva la France qu’après cinq ans d’absence. Il avait perdu sa femme, son fils, son frère et sa mère, assassinés à Auschwitz en 1943.

Peu de temps après son retour, il fut affecté à la direction de la Sécurité sociale au ministère du Travail dirigée par Pierre Laroque. En 1946, il adhéra au Parti communiste alors qu’il avait été nommé sous-directeur à la Direction de la Sécurité sociale. Au sein du ministère du travail et de la Sécurité sociale dirigé par Ambroise Croizat (novembre 1945-mai 1947) et dont Pierre Laroque assurait la toute nouvelle Direction générale de la Sécurité sociale, Jacques Lévy contribua à préparer la loi du 30 janvier 1946 sur « La prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles » et ses textes d’application. Le nouveau dispositif confiait aux Caisses régionales de Sécurité sociale la prévention ainsi que la tarification des risques professionnels. L’idée de lier prévention et tarification s’inspirait du système fonctionnant en Alsace-Moselle depuis l’année 1911 sous le régime allemand. Avec son directeur de l’époque, Jacques Lévy fut missionné à Strasbourg pour en observer le fonctionnement. Les cinq caisses « d’assurance accident du travail » disposaient d’un corps de contrôleurs mis en place sous la pression des syndicats ouvriers. Ce personnel technique assurait le suivi d’entreprises avec une mission de prévention articulée sur l’observation des statistiques des accidents du travail des cinq années précédentes. Étienne Gout, ancien chef du service des accidents du travail au ministère, limogé en 1942 en raison de son appartenance à la franc-maçonnerie, en reprit le principe. Lorsqu’il réintégra le ministère du Travail à la Libération et fut nommé directeur général adjoint de la Sécurité sociale par Pierre Laroque, Gout proposa de mettre en place une tarification incitant à la prévention en reliant celle-ci au taux de cotisation. C’est ainsi que les services de prévention nouvellement créés dans les Caisses régionales furent dotés d’un corps de contrôleurs de sécurité à compétence technique et assermentés, chargés du suivi des entreprises, et d’ingénieurs jouant plutôt le rôle de conseil des entreprises. Le dispositif fut complété par des comités techniques paritaires, régionaux et nationaux, associant les salariés et leurs représentants à l’adoption de règles de sécurité adaptées aux différents secteurs d’activités. Dans cette période pionnière tout n’était pas figé et beaucoup de Caisses régionales étaient dominées par la CGT, témoigna Jacques Levy (voir sources). « La CGT était pour la réforme de la Sécurité sociale (…). Elle poussait du côté des services de prévention ». Cependant, au sein du ministère, « le bureau "hygiène et sécurité" dirigé par Lafarge, ingénieur chimiste, était très mécontent de voir la Sécurité sociale récupérer ses attributions ». Et le syndicat autonome de l’inspection allait dans le même sens. « Mais comme il n’y avait qu’un seul ministre, Ambroise Croizat, (coiffant la direction du Travail et celle de la Sécurité sociale), il a fait des réunions pour les faire travailler ensemble. »

Outre la préparation, en 1946, des nombreux textes réglementaires relevant de la Sécurité sociale, tels que les décrets et circulaires relevant de la direction de la Sécurité sociale, Jacques Lévy participa, avec la direction centrale du ministère, à la mise en place des nouvelles institutions. Il représentait son administration à l’occasion des réunions des Comités techniques nationaux. Le fonctionnement du nouveau dispositif dual montra ses limites en raison de l’absence d’une définition claire de la politique de prévention des risques professionnels et des lacunes de la coordination des moyens. Dans cette perspective, il prépara avec la direction centrale du ministère plusieurs textes centrés sur la définition des missions de chaque corps de contrôle. Jacques Lévy témoigna des difficultés rencontrées (voir source) : « vers 1957-1958, le directeur général du Travail, Laurent et celui de la Sécurité sociale, Barjot, ont organisé une réunion convoquant tous les ingénieurs en chef de Caisses de Sécurité sociale et ceux de l’INS (Institut national de sécurité ou INS, futur INRS ou Institut national de recherche et de sécurité) et tous les inspecteurs divisionnaires du travail (…). J’y étais. Les deux directeurs se sont engueulés. »

Peu de temps après, au tout début des années 1960, dans le cadre des travaux préparatoires au « Congrès mondial de prévention des risques professionnels » organisé en 1961 à Paris par l’INS, Laurent déclara : « C’est moi qui suis responsable des questions de sécurité (…). Il en est sorti une circulaire qu’on a préparé moi et René Person, (inspecteur du travail affecté à la direction générale du Travail et syndiqué à la CGT), sur les relations entre l’inspection du Travail et la Sécurité sociale. » En 1972, Jacques Lévy quitta la direction générale de la Sécurité sociale pour coiffer la sous-direction du service d’Hygiène et de sécurité. « J’ai été de 1972 à 1975, le premier sous-directeur cégétiste » témoignait-il. Cette nomination avait été obtenue non sans mal et grâce à la mobilisation contre la discrimination syndicale. « Une délégation est allée trouver Michel Poniatowski, ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale. On lui a dit : vous êtes partisan ; vous n’avez jamais nommé un cégétiste comme sous-directeur. Ils m’ont pris parce que j’étais le plus vieux à 62 ans (…). Je suis parti à la retraite en 1975, le jour de mes 65 ans ».

Jacques Lévy, s’était remarié avec Jacquelin Mauss en 1947. Lors de ses obsèques, les communistes du VIIe arrondissement rendirent hommage à ce militant syndicaliste : « grand humaniste qui est toujours resté fidèle à ses engagements ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article247069, notice LÉVY Jacques par Jean-Paul Richez, version mise en ligne le 7 avril 2022, dernière modification le 13 avril 2022.

Par Jean-Paul Richez

SOURCES : Témoignage de Jacques Lévy, recueilli par Bruno Guérard, inspecteur du travail, militant CGT, le 21 octobre 1992 — L’Humanité, article en hommage à Jacques Levy, 7 mai 2010 — État civil.

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