BOUYGARD Henri, Louis

Par Madeleine Singer

Né le 26 mars 1930 à Lavardac (Lot-et-Garonne) ; agrégé d’histoire ; membre du comité national du Syndicat général de l’éducation nationale (SGEN) de 1953 à 1955, puis de 1962 à 1968 et de 1970 à 1973.

Henri Bouygard
Henri Bouygard

Henri Bouygard était l’aîné des six enfants d’André Bouygard, employé de bureau dans une scierie. Celui-ci adhérait à la CFTC et milita dans les associations familiales ainsi que dans les assurances sociales : il était correspondant local bénévole, c’est-à- dire tenait une permanence pour faire les dossiers des assurés. Henri Bouygard fit ses études secondaires au lycée d’Agen en qualité d’interne boursier et y passa le baccalauréat en 1948. Il entra alors à la faculté de Bordeaux où il prépara une licence d’histoire tout en occupant divers postes de maître d’internat (MI) ou de surveillant d’externat (SE). Il obtint en 1956 cette licence et partit au service militaire dont il ne rentra que le 7 janvier 1959, après avoir passé onze mois en Algérie. Nommé alors adjoint d’enseignement au lycée de Périgueux, il passa avec succès le CAPES en 1960, enseigna au collège d’Excideuil (Dordogne), puis au lycée de Périgueux et fut muté en 1970 au lycée Louis Barthou de Pau. Il y prit sa retraite en 1991 après être devenu agrégé par promotion interne. Il avait épousé en 1955 Rosie Labarthe qui venait d’être reçue au CAPES théorique d’anglais et le sera ultérieurement à l’agrégation. Ils eurent trois enfants : deux filles, l’une administrateur civil au ministère du Travail, l’autre cadre supérieur à la Sécurité sociale, un fils attaché territorial à Pau.

Henri Bouygard avait fait partie de la JEC pendant un mois vers la classe de Seconde car, dit-il, « nous étions plusieurs à vouloir affirmer notre identité face à l’hégémonie de nos camarades d’internat influencés par le Parti communiste ». Dès son entrée en faculté, il devint un lecteur assidu du Monde, de la revue Esprit, lut aussi plus ou moins Témoignage chrétien et Réforme. Il adhéra au SGEN quand il était MI depuis quelques mois, car il avait obtenu ce poste grâce à l’intervention au Rectorat de Georges Godefroid qui avait été son surveillant au lycée et qui, MI au lycée de Talence, était alors « l’un des rarissimes militants du SGEN dans cette région ». Celui-ci lui demanda de participer en septembre 1949 à un stage de formation des MI, organisé par l’administration, afin d’y faire de la propagande syndicale. Nommé l’année suivante SE au lycée de Talence, Henri Bouygard fit de cet établissement avec G. Godefroid*, une base du SGEN dans l’académie. Présent au congrès national de mars 1951, Henri Bouygard contribua à mettre sur pied une section nationale des MI-SE dont Jean-Pierre Rousselot* devint le secrétaire. Lui-même fut à la rentrée secrétaire académique des MI-SE de Bordeaux. Découvrant la dimension nationale du syndicat et s’enthousiasmant pour Reconstruction, il consacrait toutefois une grande partie de ses efforts à la défense des droits de ses camarades, alors fort malmenés par une administration autoritaire. Aussi en février 1953, Jean-Pierre Rousselot pouvait-il dire, dans un article consacré à la vie des sections académiques, qu’Henri Bouygard était à Bordeaux « en voie de doubler le nombre des syndiqués en une seule année ». Ce dernier écrivait en même temps divers articles pour la chronique des MI-SE dans École et Éducation.

Au congrès de mars 1953, Jean-Pierre Rousselot allant quitter la maîtrise, Henri Bouygard le remplaça et siégea à ce titre au comité national. Pendant deux ans, il se dépensa sans compter ; multipliant les études dans le bulletin syndical, il était au sein du bureau MI-SE chargé des relations avec les académies. Il s’occupait de la rédaction et de l’impression du Bulletin de liaison des responsables académiques MI-SE, soulignant qu’au congrès de 1954, il y avait eu une cinquantaine de MI représentant seize académies. On comprend qu’en 1955 il ait dû se mettre en « congé syndical » afin d’achever sa licence.

Pour expliquer ces succès, Henri Bouygard m’écrivit vingt-cinq ans plus tard : « Le milieu que nous représentions, même s’il comprenait des militants de confession catholique ou protestante, était absolument imperméable au christianisme. C’est parce qu’il n’y avait aucune ambiguïté sur les positions laïques du SGEN que nous avons pu réaliser un recrutement de masse, y compris dans des régions déchristianisées où le SGEN et la CFTC étaient traditionnellement faibles : ainsi vers 1954-1955, nous obtenions plus de 90 % des suffrages aux élections de la commission administrative paritaire académique (CAPA) des MI-SE de l’académie de Bordeaux. Ceux-ci représentaient alors plus de la moitié des effectifs académiques du SGEN, ce qui nous amenait à prendre en charge les rapports avec la CFTC. Comme nous participions à la « minorité », nous étions dans les Unions départementales (UD) les propagandistes et les défenseurs les plus ardents des thèses de Reconstruction, très proches de Bernard Georges* et de Max Lion*. Nous combattions la politique de Georges Levard* et de [Maurice Bouladoux-23829] : ainsi nous eûmes avec ce dernier une violente altercation à l’UD de Gironde, à la fin de 1953. Nous apportions en 1956 une vigoureuse contradiction aux candidats du MRP bien que l’un d’eux fit alors partie du bureau de l’UD ». Nous avions, ajouta-t-il, « une sainte horreur des confusions politico-religieuses ou syndicalo-politiques tout en nous éveillant, malgré Guy Mollet, à l’intérêt pour la politique. Ceci culmina en 1954 avec le mendésisme. Nous étions en session à Bierville quand nous avons appris les accords de Genève qui mettaient fin à la guerre d’Indochine : nos applaudissements indignèrent un vieux militant, affligé d’une défaite française ». Aussi, au congrès national d’avril 1955, Henri Bouygard put, dans une magistrale intervention, rappeler que « L’essor des catégories jeunes au SGEN date de 1951, c’est-à-dire du moment où les positions laïques du syndicat ont été connues ». Celui-ci venait en effet de condamner la loi Barangé qui subventionnait l’enseignement privé.

Devenu professeur en 1960, Henri Bouygard reprit peu à peu sa vie militante. En 1962 il fut réélu au comité national, cette fois comme suppléant du secrétaire académique Pierre Bianchi* et le demeura jusqu’en 1968. Il participa à de nombreux congrès nationaux et devint en 1964 secrétaire départemental (SD) de la Dordogne, fonction qu’il exerça jusqu’à son départ pour Pau en 1970. Il lui fallait assurer la liaison avec les secrétaires d’établissement afin notamment de les inciter à recruter des adhérents ; cela exigeait une intense activité épistolaire, le téléphone étant peu répandu à cette époque. Il devait également entretenir les rapports intersyndicaux et assurer une présence quasi quotidienne à l’UD. Membre du conseil et du bureau de l’UD, il en devint le secrétaire général à partir de 1967, au lendemain de l’accord CGT-CFDT du 10 janvier 1966. Il dut donc prendre en charge la journée d’action du 13 décembre 1967, organisée par les deux confédérations en vue de réclamer entre autres l’abrogation des ordonnances relatives à la Sécurité sociale, qui avaient remplacé les représentants élus par des représentants désignés, avaient accru les cotisations et réduit les prestations.

Puis ce furent les événements de Mai 68. En juin Henri Bouygard écrivit à Laure Cartier, secrétaire du Second degré, qu’il approuvait la ligne maintenue par le bureau national car, disait-il, « un acoquinement du SGEN à un conglomérat allant de Barjonet à Lacheroy en passant par Geismar et autres funambules aurait été une catastrophe ». Il ajoutait qu’à Périgueux, ils avaient pu « neutraliser les gauchistes du SNES alors que les communistes n’y arrivaient pas » ; ces gauchistes « poussaient nos élèves des Comités d’action lycéens (CAL) à faire des idioties qu’il nous a fallu empêcher avec une patience qui commence à être très usée ». Henri Bouygard m’écrivait en 1979 que pendant cette période, ils avaient très bien résisté à l’offensive gauchiste de faible ampleur dans ce département rural ; le gauchisme, dit-il, n’y triompha qu’après 1970, avec « au SGEN la nomination de quelques jeunes anciens combattants des barricades toulousaines et bordelaises, et au SNI avec le triomphe de la tendance École émancipée ».

En février 1969, nouveau problème : le bulletin Cadres fit une enquête sur les réactions des militants en cas d’une fusion de la CFDT avec FO, ces deux confédérations ayant eu depuis un an six réunions d’études. Henri Bouygard répondit à Paul Vignaux que l’éventualité d’une fusion suscitait un certain enthousiasme chez les fonctionnaires CFDT et FO, que par ailleurs les dirigeants de l’UD-CFDT, sans s’illusionner sur les difficultés de l’entreprise, y étaient favorables car dans le secteur privé les implantations CFDT et FO étant à peu près complémentaires, il n’y avait pas d’affrontement direct. En avril 1969, Henri Bouygard accepta comme en 1965, d’être candidat lors des élections aux CAP nationales, mais dans un rang qui ne lui imposerait pas la charge de siéger.

En juin 1970, Charles Piétri demanda à Henri Bouygard de venir à Paris comme permanent Second degré pour remplacer Marcel Bourdaillet : ce dernier devait prendre en charge la trésorerie nationale à la place de Jean Bazin qui prenait sa retraite. Henri Bouygard n’accepta pas malgré son désir de venir en aide au bureau national : il venait d’obtenir le lycée de Pau qu’il sollicitait depuis dix ans et se « jugeait inadaptable à la vie d’une grande ville ». En outre il comptait avoir à Pau « des contacts CFDT plus utiles qu’à Périgueux ». Il allait à la rentrée devenir SD des Pyrénées atlantiques ainsi que secrétaire académique des lycées ; il assura donc à nouveau la représentation de l’académie de Bordeaux dans les comités nationaux. Mais n’ayant pu empêcher, dit-il, « la colonisation progressive des divers départements de l’académie par des éléments gauchistes, il était dès 1972 minoritaire dans l’académie et même dans son département ».

Aussi le 25 mars 1973, il démissionna de toutes ses responsabilités syndicales, prenant acte, dit-il, des consignes envoyées le 23 mars par Roger Lépiney* au nom du bureau Second degré, consignes de « solidarité et de soutien » à l’action des lycéens. Après les élections législatives des 4 et 11 mars 1973, il y eut en effet une forte vague de grèves dans les lycées, agités par la perspective d’une discussion au Parlement de la loi de 1970 obligeant à accomplir le service militaire entre 18 et 21 ans. Or, Henri Bouygard pensait que les Comités d’action lycéens (CAL) qui menaient le mouvement, étaient manipulés par des adultes, ce que pour sa part il réprouvait. En outre il considérait que l’entreprise de reconquête syndicaliste du SGEN, menée par Jean-Louis Piednoir* et Laure Cartier était vouée à l’échec. Il se tourna alors vers l’UD-CFDT et s’occupa pendant plusieurs années de la formation permanente. L’importance de son apport à la Confédération, tout au long de son existence, peut se mesurer au fait qu’en 1996, Jean Lannes*, ancien dirigeant de la Fédération CFDT de la métallurgie, m’écrivit pour m’inciter à rédiger la biographie d’Henri Bouygard, disant entre autres que celui-ci participa à de nombreuses reprises aux Écoles normales ouvrières (ENO) d’Aquitaine et fut à la commission régionale de formation un intervenant apprécié.

Après avoir abandonné ses responsabilités au SGEN, Henri Bouygard continua à y adhérer car, m’écrivait-il en 1979 « la section SNES de [son] lycée étant manipulée par la cellule du Parti communiste », il ne lui serait « pas possible de résister à sa pression sans utiliser une structure collective ». Il cessa toutefois de cotiser un peu plus tard quand son ami Bernard Hubert quitta le poste de secrétaire national du Second degré. Une fois à la retraite, Henri Bouygard s’adonna à des activités caritatives, mais y renonça au bout de cinq ans, vu la difficulté de coopérer avec le milieu catholique. Il était commandeur des Palmes académiques.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24723, notice BOUYGARD Henri, Louis par Madeleine Singer, version mise en ligne le 26 février 2009, dernière modification le 15 octobre 2020.

Par Madeleine Singer

Henri Bouygard
Henri Bouygard

SOURCES : Madeleine Singer, Le SGEN 1937-1970, thèse, Lille III, 1984, 3 vol. (Arch. Dép. Nord, J1471) ; Histoire du SGEN, Presses universitaires de Lille, 1987. ; Le SGEN. Des origines à nos jours, Le Cerf, 1993, collection « Histoire » (Arch. Dép. Nord, J1578). — École et Éducation (1952-1955). — Syndicalisme universitaire (1955-1973). — Lettres de Henri Bouygard à Laure Cartier, 14 juin 1968 ; à Paul Vignaux, 18 février 1969 ; à Charles Piétri, 12 juin 1970 (A. SGEN). — Lettre de Jean Lannes à Madeleine Singer, 21 janvier 1996. — Lettres d’Henri Bouygard à Madeleine Singer, février 1979, 10 mars 1995, 20 janvier 1997, 27 juin 1998, 11 juillet 1998, 11 septembre 1998 (Arch. privées).

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