PRATVIEL Joséphine [PRATVIEL Marie, Claire, Joséphine], épouse BRAS

Par Christine Delpous-Darnige

Née le 8 mai 1819 à Bessan (Hérault), morte le 6 septembre 1877 à Bessan ; journalière agricole ; insurgée contre le coup d’État du 2 décembre 1851.

Marie, Claire, Joséphine Pratviel, surnommée « Fine », naquit le 8 mai 1819 à Bessan (Hérault) de Pierre cultivateur et Marie Barral son épouse, journalière. Elle épousa François Bras le 2 juin 1842. Ensemble ils eurent trois filles : Marie Françoise, née en 1842, Marie Césarine en 1848 et Joséphine le 8 mai 1850. La jeune femme parlait occitan et ne savait « ni lire ni écrire » : ni elle ni ses parents n’ont signé sur son acte de mariage, contrairement à son mari.

Bessan, bourg viticole de la plaine languedocienne d’environ 2000 habitants dont beaucoup d’ouvriers agricoles, connut à partir de 1848 une activité républicaine sous l’impulsion la fois de sociétés biterroises qui rayonnaient sur le village, et surtout à partir de février 1848, de celle d’une société secrète bessanaise, le Club de l’Abeille, qui devint « société démocratique » puis en décembre « société philanthropique ». D’après les autorités, elle aurait réuni jusqu’à une centaine de membres, dont le jeune frère de Joséphine, Jean-Pierre Pratviel, 28 ans, qui était considéré comme son trésorier. Ce lien vient rappeler la dimension familiale de l’engagement.

Comme de nombreuses communes de l’Hérault largement gagnées aux idées républicaines, le bourg se souleva les 4, 5, 6 et 7 décembre 1851 en réponse au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Les canons furent pointés dans la Grand Rue. Le 5 décembre, l’état de siège était déclaré dans le département. Si l’opposition fut virulente, la répression le fut plus encore. Le département avec 2833 poursuivis dont 60 femmes — un tiers de celles poursuivies en France — suit de près le Var en tête des arrestations. À Bessan, la police arrêta 39 résistants et 6 résistantes dont Joséphine Pratviel épouse Bras tandis que son frère réussit à s’enfuir.

La jeune femme fut incarcérée à Béziers le 11 janvier 1852 et condamnée comme toutes les Héraultaises entre le 10 février et le 8 mars 1852 par la commission mixte de l’Hérault constituée du préfet, d’un juge et d’un officier supérieur qui décidèrent la sanction sans entendre l’accusée. Rendue coupable de « mauvaise moralité, très exaltée, excitant les hommes au meurtre. Insurrection, provocation, coups et blessures envers le commissaire de police », elle fut désignée avec au moins dix autres Héraultaises pour la déportation en « Algérie moins », c’est-à-dire avec la possibilité sur place de résidence libre. Son frère, rattrapé en septembre 1852, fut écroué pour délit politique par la gendarmerie, gracié en janvier 1853 mais mis sous surveillance de la police jusqu’en mai 1856. Aucune charge ne fut retenue en revanche contre son époux inquiété dans un premier temps.

Joséphine Pratviel fut incarcérée avec d’autres sur le fort de Brescou, îlot rocher au large d’Agde, le 6 mai 1852 et embarquée deux jours plus tard à Cette sur L’Éclair ou L’Éclaireur, un vapeur de la Compagnie maritime « André et Abeille », avec quatre autres inculpées à destination de l’Afrique. Après avoir été débarquées sur la côte algérienne, elles firent le trajet à destination de Bône à pied parmi 160 prisonniers. De là, elles prirent un autre bateau pour Alger où elles arrivèrent à la mi-juin. D’abord enfermées dans le fort de Bab Azoun en attendant de connaître leur sort, elles furent ensuite remises sous bonne escorte le 26 juin entre les mains des religieuses du Bon Pasteur au couvent d’El Biar, proche d’Alger. Ce couvent fondé en 1842 pour « le relèvement moral des prostituées » et des femmes dites « dangereuses » pour la société, avait pour tâche de les remettre dans « le droit chemin  ». Les déportées passèrent un ou deux ans dans le bâtiment des Madeleines.

La journaliste parisienne Pauline Roland et ses neuf compagnes arrivèrent à El Biar mi-juillet 1852. Elle évoque des femmes « appartenant aux départements riverains de la Méditerranée : le Var, l’Hérault et le Gers ». Dans sa lettre du 14 juillet, elle décrit l’enfermement des prisonnières : « Nous avons pour domicile une seule pièce, dont nos quinze grabats remplissent si bien l’espace qu’il en reste juste assez pour une longue table où nous prenons nos repas en commun. Ajoutez, pour avoir une idée complète de notre résidence, un préau d’une grandeur double à peine de celle de notre chambre, sans un seul arbre, ni un abri où l’on puisse se soustraire aux ardeurs d’un ciel en feu. Je ne sais pas si c’est là ce que M. Guizot a voulu, lorsqu’il demandait, en style de doctrinaire, l’incarcération dans la déportation, mais à coup sûr, un pareil séjour est intolérable ; c’est un véritable enfer.  »

Mère Marie-Philomène, la fondatrice du couvent, très inquiète de l’influence néfaste de Pauline Roland, pria le gouverneur de la débarrasser de celle qu’elle qualifiait « d’incurable et redoutable » à la différence de Fine considérée comme une brebis égarée dont les sœurs demandèrent la grâce. Elle l’aurait obtenue dès le 15 septembre 1852, et serait rentrée. Cependant son dossier d’indemnisation établi en 1882 indique qu’elle a bénéficié d’une remise de peine le 29 janvier 1853 et a été graciée le 3 février. Quand rentra-t-elle ? On ne sait. Joséphine Pratviel est morte le 6 septembre 1877 à Bessan. En 1882 la République indemnisa son mari François Bras ainsi que ses filles.

Si la journaliste parisienne socialiste Pauline Roland incarne la déportation des femmes en Algérie après le soulèvement contre le coup d’État de décembre 1851, un tiers des déportées étaient originaires de l’Hérault. Journalières ou cabaretières elles étaient comme leurs sœurs parisiennes des femmes du peuple. De même que Fine Pratviel, la Bessanaise Marie Cros épouse Delmas, fut assignée à la déportation « Algérie moins ». Une troisième femme du village, Clémentine Pioch, épouse Marcou, 28 ans, fut mise sous surveillance de la police et bénéficia de sa « bonne moralité » alors qu’elle avait été signalée comme faisant partie de la société secrète du village en janvier 1852.

Victor Hugo salua de Jersey par leurs noms et prénoms ces nombreuses résistantes au coup d’État dans un discours prononcé en 1853 sur la tombe de la parisienne exilée Louise Julien et repris dans Les Châtiments. Il y prédit que dans « cette belle, et paisible, tendre et fraternelle République sociale de l’avenir, le rôle de la femme sera grand ». L’orthographe de leurs noms traduit l’incompréhension de langue et d’accent : il a nommé Joséphine Pratviel, Joséphine Prabeil certainement parce qu’en occitan « v » se prononce « b ».
Beaucoup plus tard, le 8 mai 2019, profitant de la vogue de féminisation dans l’odonymie, à Bessan, en présence de ses descendants, le maire de la petite ville baptisa officiellement le passage reliant la cave coopérative au collège Victor Hugo du nom de Joséphine Pratviel.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article247469, notice PRATVIEL Joséphine [PRATVIEL Marie, Claire, Joséphine], épouse BRAS par Christine Delpous-Darnige, version mise en ligne le 20 avril 2022, dernière modification le 1er décembre 2022.

Par Christine Delpous-Darnige

SOURCES : Archives municipales de Bessan, série E, état civil. — Rose Blin-Mioch, « Des femmes contre le coup d’État de décembre 1851 », Études Héraultaises, n°49, 2017 : en ligne sur http://www.etudesheraultaises.fr. L’article contient de très nombreuses références et précisions. — Marcel Hénaux, « Les victimes du coup d’État du 2 décembre 1851 dans l’Hérault », Études Héraultaises, 1989-1990, p 165-176. — Victor Hugo, Les Châtiments, Paris, 1853, p. 396 (consultable en ligne). — Michel Sabatéry et Stéphane Pépin, Bessan au fil du temps, Bessan, 2002. — Midi Libre, quotidien, Montpellier, 9 mai 2019, rubrique Bessan. — Jean-Claude Farcy, Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851.

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