HACHED Farhat

Par Juliette Bessis

Né le 2 février 1914 à el Abassia (Kerkennah, Tunisie), assassiné le 5 décembre 1952 près de Radès ; employé à la Société tunisienne des transports automobiles du Sahel (STASS) ; syndicaliste CGT, puis autonome, artisan de la création de l’UGTT, secrétaire général de l’UGTT (1946-1952) ; selon certains témoignages, un temps membre de la SFIO.

Musulman de Tunisie, fils de pêcheur, Farhat Hached obtint son certificat d’études primaires en 1929 (école franco­ arabe de Kellabine).

En 1930, il fut embauché à Sousse comme employé à la « Société tuni­sienne des transports automobiles du Sahel (STASS). Il adhéra en 1936 au syndicat CGT du personnel de la STAAS et assuma peu après la responsabilité de secrétaire du syndicat. Il fut élu à la fin de la même année ou au début de 1937, secrétaire général adjoint de l’Union locale de Sousse. Fidèle à sa Centrale, il se tint à l’écart de la 2e CGTT (dite de Gnaoui) qui se constitua à partir de mars 1937. Il fut élu au Congrès d’avril 1938, membre de la CA de l’UD. Mili­tant très actif, il fut soutenu dans l’accession aux responsabilités natio­nales par les dirigeants de la Centrale, notamment par Albert Bouzan­quet, son secrétaire général, avec lequel il noua des liens d’amitié.

Farhat Hached exposa dans Tunis-Socialiste les revendications syndi­cales des travailleurs de la STAAS (n° du 2 juin 1938 et fit état des sanctions et menaces dont il était l’objet de la part de la Compagnie pour l’amener à cesser ses activités (n° du 11 novembre 1938). Il semble avoir été, en effet, renvoyé de la STAAS en 1939 et occupa pendant quelques mois un poste de secrétaire administratif (permanent salarié) à la direction de l’UD à Tunis.

Après la dissolution des centrales syndicales par décret du gouver­nement de Vichy en novembre 1940, Farhat Hached rentra à Ker­kennah, prépara un concours d’entrée aux Travaux Publics et se maria. Affecté à Sfax, il participa activement à la reconstitution de l’UL en 1943 et en devint le secrétaire. Délégué au XVIIIe Congrès de l’UD en mars 1944, il fut écarté de la CA, en même temps que plusieurs « bouzanquistes/social-réformistes », par la nouvelle direction commu­niste qui avait joué un rôle prépondérant dans la reconstitution des syndi­cats au lendemain de la rentrée des Alliés dans la capitale, d’où elles avaient chassé les forces de l’Axe en mai 1943.

Farhat Hached prit longuement la parole au Congrès pour sou­tenir l’ancienne direction socialiste de la Centrale et reprocher aux com­munistes leur comportement antidémocratique et sectaire. De retour à Sfax, après une série d’entretiens parfois houleux avec les communistes et une partie de la direction de l’UL, il démissionna de son poste en mai 1944 et quitta l’UD, entraînant avec lui de nombreux syndicalistes tunisiens.

Selon certains témoignages, Farhat Hached appartenait à l’époque à la section SFIO de Sfax. Se servant comme base de départ d’un syndicat autonome des che­minots tunisiens dirigé par Messaoud Ali Saad et favorisé par la rési­dence générale, la police et la haute administration de la Compagnie de la Sfax-Gafsa, qui misaient sur la division syndicale aux fins d’affaiblir l’Union des Réseaux dépendante de l’UD et les luttes revendicatives, Farhat Hached se consacra à la mise sur pied de syndicats autonomes du sud tunisien. Il demanda et obtint à cet effet une mise en disponi­bilité pour cinq ans renouvelables. Dans son discours du 4 novembre 1944 à une assemblée des « Syndicats autonomes du Sud tunisien », il expliqua son désaccord avec les dirigeants de l’UD et conclut dans ces termes :

« Mais n y a-t-il vraiment plus moyen de conserver au syndi­calisme sa vraie figure de mouvement majeur et autonome, capable de s’exercer librement en dehors de toute influence et de toute ingérence politique quelle qu’elle soit ? La masse des travail­ leurs de ce pays ne peut-elle réellement plus s’organiser sans faire automatiquement. Le jeu d’un quelconque parti politique, qui prétend servir la classe ouvrière alors que réellement il se fait servir par elle ? »

Avec le soutien actif des différentes composantes du nationalisme tunisien (Néo-Destour et mouvement islamiste de l’université théolo­gique de la Grande Mosquée « Djemâa Ezzitouna » plus ou moins liés à l’Archéo-Destour), Farhat Hached fut le principal artisan du développe­ment des syndicats autonomes puis de la création, en janvier 1946, de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGIT) dont il fut élu secré­taire général. Il s’affirma dès lors comme son leader incontesté et très populaire.

L’UGTT, centrale tunisienne/musulmane homogène supplanta progressivement l’UD, devenue, lors de son Congrès extraordinaire du 27 octobre 1946, en principe autonome par rapport à la CGT française avec un nouveau sigle, l’Union syndicale des travailleurs de Tunisie (USTT). Farhat Hached se montra plus réceptif que ses collaborateurs aux tentatives unitaires menées en 1947 sous l’égide de la Fédération syndicale mondiale (FSM) qui tarda beaucoup à répondre positivement à la demande d’adhésion formulée par l’UGTT (demandée en 1946 et obtenue en 1949). Ces tentatives échouèrent. Les répercussions de « la division du monde en deux camps » sur la Tunisie et le syndicalisme tunisien abou­tirent au retrait de I’UGTT de la FSM (3 juin 1950) puis à son adhésion à la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) à son IVe Congrès de mars 1951.

« Cette option de la CISL - dit ultérieurement Farhat Hached - est un acte diplomatique et ce serait une erreur de lui attribuer un caractère idéologique. Cela ne signifie pas que nous préférons le régime capitaliste au régime socialiste, cela signifie que nous sommes géographiquement placés dans le camp occidental que cela nous plaise ou non, et nous Tunisiens pensons que le chef de file de ce camp par ses pressions sur la France, peut nous aider à cette bataille pour l’indépendance de notre petit pays. »

Cette option n’empêcha pas l’action commune des deux centrales dans de nombreuses luttes revendicatives. En septembre 1951, Farhat Hached participa en même temps que Habib Bourguiba, leader du Néo­ Destour, au 70e Congrès de l’American Federation of Labour (AFL) à San Francisco.

Après l’arrestation le 18 janvier 1952 des principaux leaders du Néo­ Destour et du Parti communiste tunisien, Farhat Hached joua un rôle de premier plan à la tête des manifestations en faveur de l’autonomie interne et multiplia ses contacts avec les dirigeants de la grande Cen­trale syndicale américaine et les hauts responsables du parti démocrate américain qui s’étaient prononcés en faveur du soutien aux revendica­tions nationales tunisiennes, pour obtenir un débat sur la question tunisienne à l’ONU.

Le 5 décembre 1952 au matin, Farhat Hached fut assassiné. La res­ponsabilité de cet assassinat resté impuni se situe au plus haut niveau de l’administration civile et militaire française. Ce meurtre de la person­nalité la plus populaire auprès des masses tunisiennes secoua le pays en profondeur. Dans les semaines qui suivirent, des groupes armés enga­gèrent le combat au sud du pays. Ce fut le déclenchement de la dernière phase du combat qui ne cessa qu’après l’indépendance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article247788, notice HACHED Farhat par Juliette Bessis, version mise en ligne le 30 avril 2022, dernière modification le 3 mai 2022.

Par Juliette Bessis

SOURCE : Juliette Bessis, Les Fondateurs : index biographique des cadres syndicalistes de la Tunisie coloniale (1920-1956), Paris, L’Harmattan, 1985.

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