EUVRARD Robert [EUVRARD Vincent, Robert]. Pseudonymes : VINCENT, capitaine VINCENT

Par Yves Lequin

Né le 29 avril 1916 à Dole (Jura), mort le 25 août 2003 à Montpellier (Hérault) ; militant communiste ; combattant antifasciste ; volontaire en Espagne républicaine ; résistant.

Orphelin de père, neuvième enfant d’une famille pauvre, Robert, dont le père avait travaillé comme rempailleur de chaises et dont plusieurs de ses frères et sœurs travaillaient en usine, dut dès son plus jeune âge livrer les travaux réalisés par sa mère, couturière à domicile, handicapée des jambes. À six ans et demi, il commença à travailler dans les fermes des villages environnants, pendant l’été. Quittant l’école prématurément, il exerça plusieurs métiers à Dole : bronzeur dans une imprimerie, apprenti chez un pâtissier plutôt rude (le même qui, peu après, embauchera Bernard Clavel qui l’évoquera dans son roman La Maison des autres), monteur dans une fabrique de cycles. Dès qu’il le put, il devint commis de ferme embauché à l’année, successivement dans plusieurs villages du Val d’Amour. Aguerri à une existence rude, habitué à se débrouiller en toutes circonstances et à combattre pour survivre, il se dota d’une énergie tenace.

Après le décès de sa mère, il quitta le Jura pour Montpellier où l’un de ses demi-frères plus âgé, Georges Jacquier, était militaire de carrière et où lui-même trouva un emploi de monteur en chauffage central, début 1935 (?). Quelque temps après, ayant pris la défense de jeunes communistes dans une bagarre, il adhéra à la Jeunesse communiste puis, à vingt ans, en octobre 1936, se porta volontaire pour combattre en Espagne contre le franquisme et partit avec cinq autres Montpelliérains. Pendant un an, il fut incorporé dans les Brigades internationales et il adhéra au PC. D’abord brancardier durant trois mois dans la centurie Thaelmann pendant la bataille de Madrid, il participa ensuite à l’engagement désastreux de Cerro de los Angeles le 13 novembre 1936 puis fut affecté au quartier de la cité universitaire, et se trouva au côté de Hans Beimler, ancien député communiste allemand, commissaire politique du bataillon Thaelman au moment même où celui-ci fut tué par les franquistes pendant une inspection du front (le 10 décembre 1936). À la suite de tensions avec certains volontaires allemands et désirant combattre plutôt que de servir comme auxiliaire, il demanda à changer de bataillon et appartint alors à la 12e brigade franco-belge avec laquelle il participa à quelques-unes des batailles acharnées de l’année 1937 : Guadalajara, Huesca, Brunete.

De retour en France juste à temps pour effectuer son service militaire, il fut affecté à Antibes le 20 octobre 1937 au 20e bataillon de Chasseurs alpins. En 1939, il fut mobilisé en Alsace, se distingua par sa combativité et, le 18 mars 1940, reçut la croix de guerre, un des rares à l’avoir obtenue à l’époque. Son régiment fut alors envoyé en Norvège puis c’est le retour en France, la débâcle et Robert Euvrard fut fait prisonnier le 6 juin 1940 à Boulainvilliers (Somme). Envoyé en Allemagne, il fut employé aux travaux les plus divers : réfection des routes, des canaux, travaux des champs. Il tentera quatre évasions. Repris la seconde fois pendant l’hiver 1940-1941, envoyé dans un camp disciplinaire, il s’évada une troisième fois mais fut une troisième fois repris et dut subir un internement de six mois, avril-octobre 1942 à Rawa-Ruska (Ukraine) puis à Tarnopol. Après la bataille de Stalingrad, les prisonniers furent repliés en Prusse orientale, au camp de Greifswald où Euvrard travailla dans une grande fabrique de poudre. Initié par un prisonnier russe, il réussit à faire brûler chaque jour une partie de la production.

Emprisonné, condamné à la peine de mort, il fut finalement acquitté « faute de preuves formelles », suite à l’intervention d’un autre prisonnier, prêtre français. En octobre 1943, nouvelle évasion qui, cette fois, réussit. Caché dans un train, il le quittera à Creil, pris en charge par d’anonymes cheminots et il parviendra, dix jours plus tard, à rejoindre Montpellier où il fut recueilli par son demi-frère.

En liaison avec le communiste Georges Coste, responsable local des milices patriotiques (qui sera abattu le 21 août 1944 au cours d’une distribution de tracts appelant à l’insurrection), il organisa, avec Climent, responsable clandestin du PCF, à partir du début décembre 1943, un groupe FTP à Montpellier. Passant dans la clandestinité sous le pseudonyme de Vincent, il coordonna l’action de plusieurs autres détachements d’une dizaine d’hommes chacun et participa directement ou indirectement à diverses actions : impression et diffusion de tracts, récupération d’armes, sabotages, liaison avec les maquis locaux. L’action s’amplifia après le 6 juin 1944 : tentative d’attaque de la caserne de Lodève pour se procurer des armes, attaque d’une caserne à Montpellier dans le même but, liaison avec les autres mouvements de résistance.

Après le débarquement des forces alliées en Provence le 15 août 1944 et l’appel à l’insurrection du général Kœnig, la tension monta en Languedoc. Montpellier occupait une position stratégique que, même après le départ de la garnison allemande le 21 août, les troupes continuaient à traverser. Le 23 août, Jacques Bounin était installé commissaire de la République et, le soir même, les mouvements armés se réunissaient sous sa direction pour préparer une intervention : 150 FFI dont environ 80 hommes du groupe « Vincent » et 150 tirailleurs coloniaux étaient disponibles mais, si ces derniers disposaient d’un armement réglementaire, les Résistants étaient en shorts et chemisettes avec armes de récupération. Dans la nuit du 24 au 25 août, cette petite armée prit position aux abords de Montferrier, au nord de Montpellier et, après plusieurs heures de combat au cours duquel les Résistants jouèrent un rôle décisif, ce fut le succès et la déroute des troupes allemandes. Montpellier était libéré. Robert Euvrard obtenait une seconde croix de guerre avec la citation suivante : « Au cours de l’engagement de Montferrier (Hérault) le 25 août 1944, a magnifiquement conduit ses hommes au feu et, par son initiative adroite, a largement collaboré au succès final en désorganisant le système de défense ennemi. »

Pendant que, localement, les mouvements de Résistance prenaient le contrôle des pouvoirs, Robert Euvrard faisait partie des 4 000 combattants qui, s’engageant pour la durée de la guerre en Europe (1er septembre 1944), constituaient la brigade légère du Languedoc qui sera à l’origine des 80 et 81e régiments d’infanterie. Après de longs stationnements à Autun, Dijon puis dans le Doubs, ce n’est qu’à partir de l’hiver 1945 que le 81e puis le 80e RI furent constitués et engagés dans les combats après avoir dû longuement parlementer pour être vêtus, équipés et rétribués comme les soldats de l’armée « régulière ». C’est après avoir vécu cette période de « mise à l’index », selon ses propres termes, que le sous-officier Robert Euvrard obtint finalement un armement et un uniforme américain puis reprit la lutte armée en Alsace, justement là où il s’était distingué en 1940. Mais, comme les autres officiers et sous-officiers issus de la Résistance, il devra encore accepter une rétrogradation pour « compression de cadres » et, lieutenant au titre FFI le 9 juin 1944, il accepta de n’être plus qu’aspirant de réserve le 8 mars 1945. Le 27 mars, le bataillon est envoyé en Allemagne et engagé le 11 avril dans la bataille de Rastadt. C’est ce jour-là, qu’à la tête de ses hommes, R. Euvrard sauta sur une mine ce qui lui vaudra l’amputation d’une jambe et plusieurs autres blessures. Hospitalisé successivement à Rastadt, Vichy, Marseille et Montpellier, Robert Euvrard obtiendra, en 1971, une troisième croix de guerre avec étoile d’argent et la citation suivante signée de Michel Debré : « Prisonnier de guerre en Allemagne, a fait preuve de courage et d’obstination dans la poursuite de ses efforts pour recouvrer la liberté […] Résolu à poursuivre la lutte, a rallié les rangs de la Résistance puis ceux de l’armée de Libération dans lesquels il a été blessé le 11 avril 1945. »

Longtemps hospitalisé, Robert Euvrard fut démobilisé en mars 1946. Il fit alors un stage de radio-électricien et obtint un diplôme de maître artisan en avril 1947 mais ne put obtenir les financements nécessaires à son installation. Le 4 mars 1947, il épousa à Montpellier Germaine Perrimond, serveuse dans un café qui avait une fille et avec laquelle il aura un fils en 1948. S’étant rééduqué, arrivant à se déplacer aisément à vélo malgré sa prothèse, il obtint un emploi à l’École d’ingénieurs puis à la Faculté des Sciences de Montpellier comme garçon de laboratoire puis comme menuisier jusqu’à sa retraite en 1976. Président départemental de l’ANACR jusqu’en 1972, il a activement contribué à faire reconnaître des autorités les états de service de ses camarades de la Résistance. Il a reçu plusieurs décorations et notamment celles de chevalier de la Légion d’honneur, le 2 février 1953 puis d’officier le 17 septembre 1957.
Le journal de la Résistance annonça son décès dans son numéro de septembre-octobre 2003.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24790, notice EUVRARD Robert [EUVRARD Vincent, Robert]. Pseudonymes : VINCENT, capitaine VINCENT par Yves Lequin, version mise en ligne le 2 mars 2009, dernière modification le 23 septembre 2016.

Par Yves Lequin

SOURCES : Entretiens avec R. Euvrard, juillet 1985 et nombreux documents fournis par lui. — Témoignage de Julia et Marius Lequin. — Delperrie de Bayac, Les Brigades internationales, p. 125-126, réédition 1985. — Le combat de Montferrier. La Libération de Montpellier. Août 1944, Quillet, mars 1945. — G. de Chambrun, Journal d’un militaire d’occasion, Avignon, 1982. — Notes de Jean Sagnes et de Jean-Pierre Besse. — État civil de Dole.

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