ESTER BORRÀS Josep, dit « Pep de cal Minga » [Dictionnaire des anarchistes]

Par André Balent

Né le 26 octobre 1913 à Berga (province de Barcelone), mort le 13 avril 1980 à Alès (Gard) ; serrurier à Berga ; militant de la CNT et des Jeunesses libertaires à Berga puis de la CNT en exil ; résistant en France (Haute-Garonne, Pyrénées-Orientales) ; collaborateur de l’OPFRA à Paris.

Josep ESTER
Josep ESTER
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Si l’on utilise le plus souvent, dans de nombreuses publications, son prénom catalan, « Josep » (diminutif « Pep »), c’est son équivalent espagnol, « José », qui figure dans ses papiers officiels, y compris l’état civil français. Fils de Francisco Ester et de Dolorès Borràs, Josep Ester naquit dans une famille aisée de Berga, ville des Pré-Pyrénées, au cœur d’une région industrielle, minière et textile. Il fréquenta les écoles chrétiennes (frères de La Salle) de Berga et noua, alors, des relations avec de futures personnalités du monde culturel et religieux de la ville. En rupture avec la foi catholique et le milieu familial, il fut expulsé de son collège. En 1927-1928, il s’embaucha comme serrurier à l’usine métallurgique berguedane d’El Canal. Il présida et organisa, avant la proclamation de la Seconde République (avril 1931), le syndicat autonome du Métal de Berga légalisé après le changement de régime.
Josep Ester épousa Alfonsina Bueno Vila (décédée le 4 janvier 1979), fille d’un militant anarchiste du bassin minier (lignite) de Cercs et Fígols, dans la région de Berga. Le couple eut une fille, Angelina. Alfonsina collabora aussi aux activités de passage de la filière Ponzán lorsque son mari fut détenu au Vernet d’Ariège. Installée, à la demande de Francisco Ponzán Vidal, à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) à proximité de la frontière, repérée par la Gestapo, elle dut se replier à Toulouse en octobre 1943. Arrêtée en octobre 1943, en même temps que toute la famille, elle fut déportée à Ravensbrück où elle fut l’objet d’« expériences » médicales qui, à sa libération en 1945, lui laissèrent d’indélébiles stigmates invalidantes. Son frère, Miquel Bueno — beau-frère, donc, de Josep Ester — fut aussi, pendant la Seconde Guerre mondiale un des membres du groupe de résistance impulsé, depuis l’Ariège et la Haute-Garonne, par Francisco Ponzán*.

Plus tard, exilé en France, Josep Ester divorça en janvier 1971 d’avec sa première femme, puis épousa Lucienne, Marie Kervorc’h (elle fut connue comme sa compagne « Odette »). Cette seconde épouse qui l’accompagna dans sa retraite à Saint-Christol-lès-Alès (Gard) lui survécut.

Josep Ester n’adhéra à la CNT qu’en juillet 1936 lorsque son syndicat autonome décida de s’affilier à la confédération. Le 18 juillet, il se rendit avec quelques syndicalistes de Berga à Manresa, la ville la plus proche, afin de voir ce qui se passait. Le lendemain, Josep Ester fut, avec son groupe d’affinité libertaire « Amor y bondad », l’un des co-fondateurs des Jeunesses libertaires de Berga. L’un de ses proches d’alors, Ramon Casals i Obiols [« Ramonet Xic, Berga, 1908 – Err (Pyrénées-Orientales), 2001 »], leader libertaire l’accompagna durant les journées révolutionnaires de juillet 1936 à Berga et partagea avec lui les initiatives communes du groupe. Le 19, ils fondèrent aussi à Berga un comité unitaire UHP (Unión Hermanos Proletarios). Le 20 juillet, toujours accompagné de ses amis, il se rendit à Barcelone et rencontra alors Durruti qui venait de s’entretenir avec le président de la Généralité, Lluís Companys. De retour, se rendant compte que les églises brûlaient dans beaucoup de villages, Ester participa, avec ses camarades les plus proches, au sauvetage du mobilier des églises de la ville, du sanctuaire de Notre-Dame de Queralt (dont l’image — romane — de la Vierge et ses joyaux). Ils s’attachèrent aussi à sauver des fureurs anticléricales les membres du clergé de la ville. Ne furent détruites, données en pâture aux iconoclastes libertaires venus d’autres localités, que quelques statues en plâtre sans valeur.

Josep Ester fut peu après désigné pour siéger au comité des Milices antifascistes de Berga. Mais il quitta bientôt la ville pour intégrer la colonne confédérale « Tierra y libertad » engagée contre les franquistes sur le front d’Aragon. N’acceptant pas la militarisation des milices décidée à l’automne 1936, il revint à Berga. Le 22 mars, il entra à la municipalité de Berga reconstituée selon les normes légales sous le contrôle de la Généralité. Conseiller chargé du ravitaillement, il ne resta que peu de jours en fonction. Appelé sous les drapeaux, il gagna les rangs de l’Armée populaire et combattit, sans doute dans la 153e brigade mixte issue de la militarisation de la colonne « Tierra y libertad » et où se retrouvaient beaucoup d’anarchistes des régions de Berga et de Manresa, dans la vallée du Llobregat. Il fut arrêté en mai 1938, ainsi que deux autres anarchistes, Leal et Domingo : tous trois étaient accusés d’avoir tué un commissaire politique de la brigade. Il fut emprisonné jusqu’à la Retirada. En février 1939, il quitta Berga et se retrouva en exil en France. Nous ignorons par où il passa (camps ? libération ? dans quel cadre ?).

Dès 1940, il était à Toulouse (Haute-Garonne). Retrouvant des libertaires, il participa à la réorganisation de la CNT. Mais il intégra en janvier 1941 le réseau de l’Aragonais, militant libertaire exilé, Francisco Ponzán qui travailla pour l’Intelligence Service (services britanniques : réseau Pat O’Leary), le Service de renseignements du colonel Paillole (« Travaux ruraux ») et le Service de renseignements belge et ses réseaux, parmi lesquels, le réseau Sabot. Cette filière de passages entre Toulouse et Barcelone avait de nombreuses ramifications en Ariège, Pyrénées-Orientales et Andorre). Son activité, remarquable et efficace, est aujourd’hui amplement reconnue. Elle fit passer de nombreux militaires ou volontaires alliés — britanniques, belges ou polonais — en Espagne, première étape vers l’Angleterre. Connaisseur des montagnes entre le Berguedà (région de Berga) et la Cerdagne, Josep Ester fut un des passeurs de Ponzán. Il fut arrêté une première fois et interné à Toulouse, le 30 avril 1941. Transféré ensuite au Vernet d’Ariège puis au Récébédou, il put sortir de ce camp grâce à Ponzán et aux fausses identités procurées, à la demande de ce dernier, par Robert Terres, un agent français du colonel Paillole, chef du poste toulousain des Travaux ruraux (camouflage du SR de l’armée d’armistice passée à la Résistance). Il poursuivit ensuite inlassablement sa tâche avec la CNT qui venait de se réorganiser clandestinement et qui utilisait pour ses relations avec les militants clandestins en Espagne l’infrastructure du réseau Ponzán.

Josep Ester eut son domicile toulousain perquisitionné par la police en septembre 1942. Des adresses ont été trouvées, en particulier celle de Leopold Safont, du 427e GTE (groupement de travailleurs étrangers) de Perpignan, en poste à la mine de fer du Puymorens (commune de Porté, en Cerdagne). Elles mettent en évidence les liens d’Ester avec les localités qui jalonnaient les itinéraires parcourus par Ester (ainsi Osséja, en Cerdagne française, où il avait des contacts, point de départ d’un itinéraire pédestre montagnard vers le Berguedà). Il put, semble-t-il, se tirer d’affaire après cet incident. Ayant pénétré en Espagne pour le réseau, il fut à plusieurs reprises interpellé par la police, mais laissé en liberté, grâce aux faux papiers dont il était muni. À la demande de Ponzán, il se retira, au début de 1943, avec sa femme et sa belle-famille à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), lieu qu’il avait déjà fréquenté en 1942 pour ses missions. La « villa Tallada » que Ponzán avait fait louer à leur intention permit à la filière de continuer à fonctionner pendant quelques mois, à partir des Pyrénées-Orientales. Ce fut en mai 1942, à Banyuls, que Ester écrivit en espagnol une centaine pages dactylographiées (Recuerdos y reflejos, original déposé à Amsterdam, IISH) où il racontait ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, relatant des faits dont il put entendre des récits de personnes qui y avaient participé : tentative d’invasion de la Catalogne par des nationalistes catalans, parmi lesquels de jeunes Berguedans, sous le commandement du colonel Francesc Macià, depuis Prats-de-Mollo, Pyrénées-Orientales, en novembre 1926 ; révolte anarchiste des mineurs de lignite de Fígols au nord de Berga en 1932. Cette filière de Banyuls, servit en novembre 1943 à exfiltrer en Espagne le lieutenant Robert Terres, chef du poste toulousain des Travaux ruraux. très lié à Ponzán.

Peu avant de quitter Toulouse, Ester Borras reprit contact avec la CNT en exil qui venait de se réorganiser et à laquelle il (ré)adhéra. La maison de Banyuls localisée par la police allemande, celle-ci arrêta, à quelques jours de distance, les membres de la famille Ester-Bueno. Pour sa part, Josep Ester fut arrêté le 28 octobre 1943. Il fut d’abord détenu à Toulouse, à Saint-Michel, puis à la prison de Fresnes à Paris. Il fut torturé à la rue des Saussaies par la Gestapo. De Compiègne, il fut transféré à Brême (Allemagne) avant d’être interné à Mauthausen (Autriche) le 23 avril 1944, en même temps que certains de ses proches. Il participa à l’organisation de la résistance dans ce camp de concentration où se retrouvèrent plusieurs milliers de républicains espagnols. Il fut également un de ceux qui œuvra à l’organisation de la CNT à Mauthausen. Il participa aussi à la création du Comité national des républicains espagnols de ce camp. Peu avant la libération du camp, il possédait des armes qu’il s’était procurées dans l’armurerie, grâce à un contact avec un jeune détenu qui y travaillait. Il prépara l’insurrection et la libération du camp de Mauthausen. Libéré, il fut évacué le 22 avril 1945 par la Croix Rouge française, avant les autres Espagnols, et transita par l’hôpital de Neuilly (Seine).

Il retourna ensuite à Toulouse où il fut en contact avec les milieux exilés confédéraux. Dès 1945, il était secrétaire du comité du haut Llobregat (Berguedà) et de la vallée du Cardener de la CNT. Après le congrès de Paris du Mouvement libertaire (mai 1945), il reconnut au nom de la CNT de la province de Barcelone, le comité national de la confédération qui en était issu. Il intégra le secrétariat de la CNT en exil en 1948. Délégué des réfugiés espagnols auprès du gouvernement français, il travailla à Paris à la commission internationale des réfugiés et apatrides de l’OFPRA et multiplia, dans ce cadre, les interventions en faveur de nombreux réfugiés espagnols menacés. Il fut ainsi impliqué dans l’action (1951) pour empêcher l’extradition de France de son compagnon anarchiste et compatriote catalan du Berguedà, Marcel•lí Massana (1918-1981), un actif guerrillero antifranquiste, et lui obtenir le statut de réfugié en France. Très antistalinien, il fut en 1947, le principal organisateur avec la FEDIP de la campagne pour la libération des Espagnols antifranquistes (aviateurs et marins) internés en URSS au camp de Karaganda. Il fut aussi membre actif de la commission internationale présidée par David Rousset. Il organisa aussi le voyage d’un autre anarchiste catalan, Josep Lluís Facerias (1920-1957) en Yougoslavie qui, finalement, n’eut pas lieu. Il fut le fondateur de la Fédération espagnole des déportés et internés politiques (FEDIP), très active en France entre 1947 et 1954. Il en fut le secrétaire général jusqu’à sa mort. La FEDIP regroupa toutes les tendances politiques sauf les communistes. En 1972, un hommage international lui fut rendu à Toulouse.

Josep Ester fut l’un des membres fondateurs de l’association des Berguedans [habitants de Berga] en exil, créée à Prades (Pyrénées-Orientales) le 14 juillet 1945 par des réfugiés de toute la ville issus de l’ensemble des tendances politiques antifranquistes. Il collabora aux bulletins de cette association, rédigés en catalan. Il assista à plusieurs réunions de cette active amicale d’exilés.

Retraité, il quitta Paris en 1974 et se retira à Saint-Christol-lès-Alès (Gard). Il mourut à l’hôpital d’ Alès. Il fut incinéré à Marseille.

Il était titulaire de décorations britanniques (dont la King’s Medal of freedom), américaines et françaises (il était officier de la Légion d’honneur) pour son action pendant la résistance. Il était sous-lieutenant des forces françaises combattantes.

À Berga fut fondé en 1987 le « Centre d’estudis Josep Ester Borràs » qui a pour but d’étudier l’histoire sociale et du mouvement ouvrier dans la haute vallée du Llobregat, (Berguedà et haut Bages) et de rassembler toute la documentation qui s’y rapporte. En 2001, son ancienne compagne Odette déposa dans ce centre, sa bibliothèque et quelques documents d’archives personnelles. Mais l’essentiel de ses archives personnelles (2,5 m linéaires) fut déposé à Amsterdam à l’Internationaal institut voor sociale geschiendnis.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24810, notice ESTER BORRÀS Josep, dit « Pep de cal Minga » [Dictionnaire des anarchistes] par André Balent, version mise en ligne le 4 mars 2009, dernière modification le 15 juillet 2022.

Par André Balent

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SOURCES : Arch. Dép. Pyrénées-Orientales, 31 W 202, lettre du préfet de l’Ariège, alerté par René Bousquet à Vichy, au préfet des Pyrénées-Orientales, 12 septembre 1942 ; lettre du sous-préfet de Prades au préfet des Pyrénées-Orientales, 13 octobre 1942. — Arch. Com. Alès, état civil, acte de décès. — Daniel Arasa, La Guerra secreta del Pirineu (1939-1944), Barcelone, Llibres de l’Índex, 1994, p. 60-61. — André Balent, "Josep Ester i altres berguedans agents de les xarxes pirinenques d’evasió a la Cerdanya i al Rosselló durant la Segona Guerra Mundial", L’Erol, revista cultural del Berguedà, 123, Berga, 2015, pp. 15-18. — Josep Cara Rincón, Jordi Jané Roca, « Ester Borràs Josep », notice biographique, in Maria Teresa Martínez de Sans, Pelai Pagès i Blanch, Diccionari biogràfic del moviment obrer als Països Catalans, Barcelone, Publicacions de la Universitat de Barcelona, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2000, p. 515-516. — Josep Clara, Ramon Vila, Caracremada el darrer maqui català, Barcelone, Rafael Dalmau editor, 2002, p. 35. — Geneviève Dreyfus-Armand, L’exil des républicains espagnols en France de la guerre civile à la mort de Franco, Paris, Albin Michel, 1999, pp. 125-126. — Émilienne Eychenne, Les Montagnards de la liberté. Les évasions par l’Ariège et la Haute-Garonne, 1939-1945, Toulouse, Milan, 1984, p. 341. — Daniel Montaña, Josep Rafart, La Guerra civil al Berguedà, 1936-1939, Barcelone, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1991, p. 19-22. — Benigne Rafart, "Berguedans als "Fets de Prats de Molló", segons Josep Ester", L’Erol, revista cultural del Berguedà, 122, Berga, 2014, p. 122. — Ferran Sánchez Agustí, Espías, contrabando, maquis y evasíon. La II Guerra mundial en los Pirineos, Lérida, Milenio, 2003, p. 218-221. — Antonio Téllez Solà, Le réseau d’évasion du groupe Ponzan. Anarchistes dans la guerre secrète contre le franquisme (1936-1944), Toulouse, Le Coquelicot, 2008, p. 10, 214, 252, 278, 395, 402. — Robert Terres, Double jeu pour la France 1939-1944, Paris, Grasset, 1977, 393 p. — David Wingeate Pike, Jours de gloire, jours de honte. Le Parti communiste d’Espagne depuis son arrivée en 1939 jusqu’à son départ en 1950, Paris, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1984, p. 13-14. — Biographie de Josep Ester (en catalan) sur le site du Centre d’estudis Josep Ester Borràs de Berga (http://cefeb.org./). — Courriel d’Hélène Lussan, petite-fille de Josep Ester, 2 février 2020. — Notes de Marianne Enckell et Rolf Dupuy, mars 2009.

ICONOGRAPHIE : in Téllez Solà, op. cit., p. 278.

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