ELUYEMI Omotoso

Par Constantin Katsakioris

Né le 13 novembre 1938 à Ile-Ife, aujourd’hui dans l’État d’Osun au sud-est du Nigeria, décédé le 18 février 2006. Archéologue et historien éminent, écrivain, directeur de la Commission Nationale des Musées et des Monuments du Nigéria, vice-président du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO entre 2003 et 2005, Eluyemi fut en même temps membre influent du People’s Democratic Party, le parti au pouvoir entre 1999 et 2015.

Omotoso Eluyemi est né à Ile-Ife, la capitale historique et spirituelle du peuple Yoruba, dans une famille dont la descendance remontait selon la tradition aux fondateurs du Royaume des Yurobas. En1962 il obtint une bourse d’État pour poursuivre des études supérieures en histoire et archéologie à l’Université d’État de Moscou « Mikhaïl Lomonossov ». Il accomplit ses études en 1968 avec félicitations et reçut la Médaille d’Or en tant que meilleur étudiant de sa promotion. Parallèlement au travail académique, il eut un engagement politique au sein de l’amicale des étudiants nigériens. C’était l’époque très difficile de la guerre civile entre le Biafra et le gouvernement militaire fédéral. Un conflit violent éclata également en URSS entre les partisans de l’indépendance du Biafra et leurs adversaires. Face à ces deux camps, Eluyemi fit partie du groupe des étudiants modérés, ceux qui prônaient l’arrêt immédiat des hostilités, la réconciliation et l’unité du pays sous un régime fédéral qui respecterait la culture et les droits de tous les groupes nationaux.

De retour au Nigeria, Eluyemi devint professeur au Provincial Teachers’ Training College (École normale d’instituteurs) à Osogbo et conservateur au Département fédéral des antiquités à Lagos. Entre 1970 et 1973, il reprit des études à l’Université de Birmingham en Angleterre. Muni de son deuxième diplôme, il commença à enseigner à la Faculté d’histoire de l’Université d’Ife, aujourd’hui « Obafemi Awolowo ». En même temps, il s’inscrivit en thèse en archéologie à l’Académie des sciences de l’URSS et se lança dans des recherches et excavations sur le site d’Egbejoda. En 1979, il soutint sa thèse intitulée, « La culture d’Ebgejoda. L’évolution de la cité-état Ile-Ife après la dissolution de l’alliance clanique, 14e – 18e siècles », pour devenir ainsi le premier Yoruba avec un doctorat en archéologie.

À partir de ce moment-là, la carrière académique d’Eluyemi connut un essor remarquable. Poursuivant ses excavations à Isoya, Agidi, Ife et plusieurs autres sites et combinant des recherches en anthropologie et histoire orale, il mit en relief les techniques et l’œuvre des artisans yorubas. Il analysa en même temps les rituels religieux communs des cités yorubas et dressa des parallèles avec les rituels des Igbos et des Akans. Ses nombreuses publications sur l’art et l’histoire des Yorubas parues dans plusieurs langues témoignent de l’envergure de son œuvre. Les deux ouvrages qui résument le mieux ses thèses sont The Living Arts and Craft of Ile-Ife (1978) et This is Ile-Ife (1986). En 1984 Eluyemi mit en place le Département d’archéologie au sein de l’Université d’Ife dont il fut le directeur jusqu’en 1989. Il devint ainsi le maître des premiers archéologues yorubas. De Plus, grâce à ses contacts internationaux, il assura des bourses d’études à l’étranger, en premier lieu en Union soviétique, pour plusieurs de ses élèves.

Parallèlement à son activité académique, Eluyemi eut aussi un engagement culturel et politique pour le maintien et la renaissance de la culture et de la religion des Yorubas. Il devint lui-même Apena d’Ife, c’est-à-dire chef religieux à Ife. En 1993 il fonda le Center for Yoruba Cultural Studies and Elusope Temple of Deities pour promouvoir la culture et la religion yorubas. Il poursuivit son engagement au sein du People’s Democratic Party, ainsi que sur la scène internationale en promouvant les liens avec la diaspora yoruba.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’engagement d’Eluyemi allait de pair avec son admiration pour l’Union soviétique. D’après son amie très proche, l’africaniste russe Natalia Kotchakova, Eluyemi admirait la coexistence pacifique des peuples et l’épanouissement des cultures diverses au sein de l’URSS. Appartenant à la génération qui avait vécu la guerre civile, il considérait que le « fédéralisme » soviétique constituait un modèle dont des pays multinationaux devaient s’inspirer.
Décédé en 2006, Eluyemi demeure aujourd’hui une figure emblématique dans l’histoire culturelle contemporaine des Yorubas. Sa mémoire est commémorée par les autorités et son œuvre est revisitée et citée par des archéologues et historiens.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article248228, notice ELUYEMI Omotoso par Constantin Katsakioris, version mise en ligne le 19 mai 2022, dernière modification le 7 juin 2022.

Par Constantin Katsakioris

Bibliographie :
Omotoso Eluyemi, Ife Traditional Art and Craft Industries : An Investigation into their Origin and Development, Ile-Ife, University of Ife, 1978.
Omotoso Eluyemi, The Living Crafts and Art of Ile-Ife, Ife, Adesanmi Print Works, 1978.
Omotoso Eluyemi, This is Ile-Ife, Ife, Adesanmi Print Works, 1986.
Omotoso Eluyemi et al., Afrique aux origines de l’art moderne, Florence, Artificio Skira, 2004.
Omotoso Eluyemi et al., The Nok Culture : Art in Nigeria 2,500 Years Ago, Munich, Prestel, 2006.
Constantin Katsakioris, « From Decolonization to the Biafran War : Nigerian Students in the Soviet Union, Studies and Politics, 1950s–1970s », International Journal of African Historical Studies 54, 3 (2021) : 333–354. https://www.bu.edu/phpbin/ijahs/publications/?pid=752
Natalia Kotchakova, Les cultures traditionnelles des peuples du Nigeria, Moscou, Institut d’Afrique, 2008 (en russe).
Akinwumi Okundiran, « Pionners of Archeological Thought and Practice in Postcolonial Nigeria », Stephanie Wynne-Jones et Jeffrey Fleisher dir., Theory in Africa, Africa in Theory : Locating Meaning in Archeology, Londres, Routledge, 2016, 90-110.

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