GAILLARD Jeanne [née LANGLADE Jeannette, Marie, Rose, dite, épouse CAUDRILLIER, puis GAILLARD]

Par Alain Faure

Née le 23 décembre 1909 à La Rochelle (Charente-Inférieure, Charente-Maritime), morte à Paris le 19 septembre 1983 ; professeure de classes préparatoires, puis maître-assistante à l’Université de Paris X-Nanterre ; militante communiste, résistante ; historienne.

[Photo transmise par Alain Faure]

L’enfance de Jeanne Gaillard se déroula à Béziers, où sa mère, issue d’une famille de viticulteurs d’Algérie, élevait seule ses trois enfants. Le père, officier de carrière, était mort aux Dardanelles en 1915. Tous trois, pupilles de la Nation, purent faire des études supérieures. Jeanne devint étudiante à Montpellier, où elle réussit l’agrégation d’histoire en 1930, très jeune, et ce, au concours masculin : elle fut en effet une « agrégée masculine », selon le curieux vocable administratif. Son premier poste fut à Guéret, dans la Creuse. Elle ne se plut guère dans la petite ville, où par ailleurs eut lieu son mariage, le 21 décembre 1931, avec un étudiant connu à Montpellier, Jean Caudrillier, fils d’un inspecteur d’académie, qui entamait alors une carrière aux chemins de fer de l’État. Une fille naquit, Anne, mais Jean mourut très vite de tuberculose. Jeanne gagna Toulouse où elle enseigna en première supérieure de 1933 à 1936. D’après Pierre, un de ses fils, les grands défilés qui animaient alors cette ville frappèrent beaucoup la jeune femme, et il est possible que son engagement au Parti communiste remonte à cette époque.

À la rentrée 1936, elle fut nommée à Paris, au lycée Jules Ferry, où elle fut chargée de la préparation à l’École de Fontenay. Elle y resta jusqu’en 1950, vivant alors une période cruciale de son existence.

Jeanne Gaillard avait toujours affiché publiquement ses convictions communistes, du moins quand les temps l’autorisaient. Rien d’étonnant à ce qu’elle figurât (sous le nom de « Mme Caudrier », de Jules-Ferry) dans une liste d’enseignants connus pour leur activité politique et que le nouveau recteur, Carcopino, avait dressée en réponse à une circulaire du 15 novembre 1940. À ce moment précisément, elle hébergeait chez elle, au 18 de la rue Pouchet dans le quartier des Épinettes (XVIIe arr.) le physicien communiste Jacques Solomon, gendre de Paul Langevin, et qui vivait déjà dans la clandestinité, comme Hélène, son épouse. Et c’est là où Solomon conçut l’idée d’un journal destiné, comme Jeanne le dit dans son témoignage de fin 1944, « à tenir en éveil la vigilance des intellectuels patriotes » : ce fut L’Université libre, dont le premier numéro, une modeste feuille ronéotée, date de novembre 1940. Solomon quitta la rue Pouchet à la mi-décembre, mais l’appartement devait rester toute la guerre une des plaques tournantes du journal clandestin : dépôt de numéros, cache des archives quand Solomon et ses compagnons furent arrêtés en 1942 et envoi d’articles puisqu’il est sûr que Jeanne y collabora, notamment en 1943. Le journal était devenu en juillet 1941 l’organe du Front national universitaire (FNU), un des principaux rameaux du Front national impulsé par le Parti communiste au mois de mai. Jeanne participa aussi, activement et dès le début, à sa diffusion auprès de ses collègues. Le milieu des grands lycées parisiens, très méfiant envers la politique scolaire de Vichy, fut incontestablement un des points forts de la Résistance ; ainsi Jeanne à Jules Ferry noua des liens, que les événements allaient renforcer, non seulement avec des collègues communistes comme Cécile Angrand, mais aussi gaullistes comme Georgette Sers.

Cet activisme se doublait de bouleversements dans sa vie personnelle. En 1937, elle avait fait la connaissance d’un étudiant, Pol Gaillard, né en 1916, à Romilly, dans une famille de cheminots catholiques, mais qui avait pour sa part abandonné la foi et peut-être déjà adhéré au Parti communiste. Mobilisé en 1940, il fut fait prisonnier. Le mariage, désapprouvé par la famille de Pol, eut lieu à Paris après son retour, le 31 juillet 1941. La même année, en septembre, soutenu par son épouse, il fut reçu à l’agrégation de lettres, puis nommé aussitôt à Orléans, où leur premier enfant, Manuelle, naquit en mai 1942. Le couple regagna la capitale, Pol ayant trouvé un poste au collège Stanislas. Rue Pouchet, allaient naître plusieurs enfants : en 1943, une petite fille qui ne vivra que quelques jours, Pierre en décembre 1944, Luc en 1946 et enfin Roland en 1950. La famille vint s’installer plus au large, au 31 du boulevard Suchet, à Passy (XVIe arr.).

Jeanne et Pol participèrent directement à la Libération de Paris et à sa préparation. Le FNU, depuis 1943, s’était scindé en plusieurs sections, dont celle de l’enseignement secondaire, avec Edmond Lablénie à sa tête. C’est lui qui orchestra en 1944 la mise en place progressive dans les lycées de « comités d’établissement ». Jeanne Gaillard fit partie de celui de Jules Ferry, participant à des réunions clandestines et nouant des contacts avec d’autres réseaux. Pol en février avait rejoint les Francs tireurs et partisans et il fut aidé par sa femme dans ses missions de renseignements. Plus tard, Jeanne évoquera la « joie collective qui a salué la Libération en 1944 », ajoutant : « À de tels moments, il semble que tout soit possible. » Fin 1944, elle écrivit dans Ce Soir, le quotidien communiste, et surtout donne deux articles dans le n° 1 de La Pensée, qui reparut alors. Elle allait devenir une collaboratrice régulière de cette revue des intellectuels communistes, écrivant comptes rendus de littérature ou d’histoire et articles de fond sur des sujets politiques ou économiques, le tout animé par des convictions matérialistes et une vision tranchée du monde, magnifiant tout ce qui venait de l’Est.

Ces années de certitudes militantes furent ponctuées pour elle par la maladie, une tuberculose qui sans doute venait de loin ; mais elle en triompha, au prix de trois congés de longue durée qui interrompirent son enseignement au lycée Molière où elle avait été nommée en 1950. Ensuite de 1956 à 1964, elle travailla au Centre national de télé-enseignement, où elle était chargée de la propédeutique, puis elle fut recrutée comme maître-assistante dans la toute jeune université de Paris-Nanterre. Entre-temps, la foi communiste l’avait abandonnée : Pol en 1956, avant même le rapport Khrouchtchev, avait quitté le Parti, Jeanne avait refusé de le suivre sur le moment, mais en 1957 elle ne reprit pas sa carte. Elle ne s’était pas pour autant résignée à l’injustice du monde : comme certains historiens communistes en rupture, elle fréquenta quelque temps le groupe Tribune communiste de Jean Poperen, une des composantes du futur PSU. Ses votes témoignèrent toujours de sa fidélité à la gauche.

Son œuvre d’historienne, commencée avant la nomination à Nanterre, comporte d’abord d’évidentes filiations avec ses engagements : le thème de l’association ouvrière, l’intérêt pour la Commune… Mais, sans qu’il y ait aucunement contradiction, son passage à l’université allait la conduire vers des chantiers nouveaux pour elle, comme Émile Zola, ou dans des directions de recherche novatrices, comme Paris qu’elle tenta de saisir dans son unité à un moment du temps. Paris, la ville (1852-1870) fut le sujet de sa thèse d’État soutenue en février 1975. On lui reprocha de ne pas avoir trouvé cette unité. Reste un grand livre qui constitue, selon la formule de Philippe Vigier, son directeur de thèse, « un bel hommage à Paris » dont la lecture s’impose toujours aux historiens.

Elle prit sa retraite en 1976, sans qu’elle ait pu accéder au poste de professeur qui lui aurait permis de prolonger sa carrière quelques années et eût sanctionné l’importance de son œuvre. Ce fut une femme en pleine activité intellectuelle que la mort vint surprendre en 1983. Citons parmi ses projets une édition critique des rapports des délégués ouvriers à l’Exposition de 1867. Pol Gaillard, déchiré par cette disparition et refusant le déclin intellectuel, décida de mettre fin à ses jours.

Jeanne Gaillard avait reçu la carte de « Combattant volontaire de la Résistance » en 1955 ; d’autre part, elle fut faite chevalier de l’Ordre national du Mérite en 1972 et commandeur des Palmes académiques en 1976.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24846, notice GAILLARD Jeanne [née LANGLADE Jeannette, Marie, Rose, dite, épouse CAUDRILLIER, puis GAILLARD] par Alain Faure, version mise en ligne le 5 mars 2009, dernière modification le 9 janvier 2022.

Par Alain Faure

[Photo transmise par Alain Faure]

ŒUVRE : Articles dans La Pensée entre 1944 et 1954. — « L’Université libre sous l’oppression », L’Université libre, 20 oct. et 5 nov. 1944. — Voir : Alain Faure, « Bibliographie des travaux de Jeanne Gaillard », in Bulletin du Centre d’histoire de la France contemporaine [Université de Paris X-Nanterre], n° 7, 1986, p. 39-43 (consultable sur la page : http://www.u-paris10.fr/86667404/0/fiche___pagelibre).

SOURCES : Arch. Univ. Paris-X, dossier personnel. — Arch. Dép. Paris, registre du personnel du lycée Jules-Ferry. — Arch. Dép. Hauts-de-Seine, papiers Jeanne Gaillard (1571 W 36-40). — Bib. Sainte-Geneviève (Paris), fonds Pol Gaillard. — Collection de L’Université libre (1940-1944). — ACREN, Cinquante-huit récits de la Résistance universitaire, 1948, 2 fascicules. — Pierre Pétremann, « Étude sur l’Université libre, journal du Front national universitaire », Points de repères, n° 24, décembre 2000. — Jean Bruhat, Il n’est jamais trop tard, 1983. — Sources orales : Pierre Gaillard, Manuelle Castro, Anne Kraemer (enfants de Jeanne Gaillard) ; Nathalie Jacobi-Rodrigues, Julie et Cécile Gaillard (petites-filles de Jeanne Gaillard) ; Georgette Sers ; Jean-Jacques et Colette Becker.

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