Par Paul-Emmanuel Babin
Saint-Servais (aujourd’hui commune, pr. et arr. Namur), 3 mars 1932 – Ixelles (Région de Bruxelles-Capitale), 19 septembre 2021. Assistante puis professeur de droit international public à l’Université de Liège et l’Université libre de Bruxelles, Juriste spécialiste de l’Afrique du Sud, militante du Parti socialiste, pacifiste, membre du Bureau de l’Association belge des juristes démocrates (ABJD), résistante belge à la guerre d’Algérie, combattante pour l’indépendance des peuples et pour la réunification des États, défenseure du respect des libertés démocratiques et opposante à l’apartheid.
Paulette Mathy est issue d’une famille wallonne. Ses parents étaient courtiers en assurance. Elle fait ses études secondaires au Lycée de Namur. Pendant l’année scolaire 1948-1949, elle réalise une année d’échange junior year au Connecticut (États-Unis) grâce à une bourse de l’American Field Service. En 1951, elle est étudiante en droit à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où elle rejoint sa sœur aînée Denise (née le 16 décembre 1930) inscrite dans le même cursus mais dans une promotion antérieure. Denise Mathy est d’abord avocate à Namur, avant d’embrasser la carrière de chercheuse en droit international public aux côtés de son mari, le professeur de droit Jean Salmon, fondateur du Centre de droit international à l’ULB.
Paulette Mathy diversifie son cursus par une année de candidature en sciences politiques en 1953. Elle obtient son doctorat en droit avec distinction en 1956. Au cours de ses années d’études à l’ULB, elle fait la connaissance d’Adolphine Neyens, juriste, puis journaliste d’obédience trotskyste, qui devient bientôt la première femme engagée en Belgique en faveur du Front de libération nationale (FLN) algérien. À sa demande, Paulette Mathy héberge clandestinement plusieurs militants algériens qui arrivent successivement en Belgique. Parmi ces militants, se trouve Abdelkrim Souici qui est alors l’un des cinq membres du Comité fédéral de la Fédération de France du FLN. Souici est spécialement chargé des finances, centralisant les collectes de tous les travailleurs algériens qui cotisent mensuellement en France et en Europe.
De 1956 à 1958, Paulette Mathy suit les cours à la Sorbonne, à l’Institut des hautes études internationales, au bénéfice d’une bourse du gouvernement français. Elle obtient en 1957 son diplôme d’études supérieures en droit international public à la Faculté de droit de Paris, alors que l’ULB ne dispose pas encore d’un centre de recherche en droit international public. La présence en France de l’étudiante belge coïncide avec le refus de la Guinée à intégrer la Communauté « française ». Paulette Mathy s’emploie à utiliser à dessein le mot de Communauté française, en mettant les guillemets à française. Ce rejet massif des Guinéens, exprimé par referendum, au projet constitutionnel gaulliste est incarné par le panafricain Ahmed Sekou Touré. De fait, il s’agit de la première indépendance dans les colonies françaises d’Afrique Noire ce qui a pour conséquence d’intéresser la jeune juriste Paulette Mathy à la question de la décolonisation. C’est précisément le « non » guinéen qui lui donne l’occasion de sa première contribution scientifique dans une revue.
À son retour en Belgique, Paulette Mathy se marie avec l’avocat Paul-Louis Pierson, qui est le fils du député socialiste et l’auteur d’une Histoire du socialisme en Belgique, Marc-Antoine Pierson. En 1958, le couple a un fils, Marc-Alexandre.
En 1964, la carrière de Paulette Pierson-Mathy prend un tournant important puisqu’elle publie la première étude francophone de référence sur le système de classification coloniale des populations sud-africaines. Cette étude jette une lumière crue sur un système juridique fondé sur une classification raciale et les conséquences historiques et sociales qui en découlent. Pour Paulette Pierson-Mathy, il s’agit de mettre à nu un système raciste, celui de l’apartheid, en démontrant qu’il engendre la dépossession, l’oppression et l’exploitation. Cette décomposition de la nature juridique du régime raciste se fait sous le scalpel scientifique mais ne saurait se limiter à cette approche.
La particularité de l’activité académique de Paulette Pierson-Mathy consiste en un dédoublement avec l’engagement politique. Elle devient l’archétype du juriste engagé car elle met son expertise juridique au service de causes internationales, tout en passant au tamis du droit la moindre collaboration, muée en complicité des pays de la Communauté économique européenne (CEE), dont la Belgique, avec les pays ne respectant pas le droit des personnes. La singularité de l’action de Paulette Pierson-Mathy est de rendre la toge académique indissociable du porte-voix de l’activiste. Juriste dans la cité ou plutôt dans le monde, elle scrute les différentes violations du droit international que ce soit en Palestine, au Timor Oriental, en Indochine ou en Corée.
De 1962 à 1967, Paulette Pierson-Mathy est assistante à la Faculté de droit de l’Université de Liège (ULg). Elle se mobilise contre l’invasion américaine au Vietnam en intégrant le Comité Vietnam qui est parrainé par le grand juriste Henri Rolin. À l’ULB, entre le Comité Vietnam et le mouvement de Mai 68, il n’y a qu’un pas. Bien que Paulette Pierson-Mathy ne participe pas publiquement au mouvement de Mai 68 à l’ULB, elle héberge clandestinement des militants trotskystes français. Alain Krivine, ainsi qu’Henri Weber et Daniel Bensaid se réfugient à Bruxelles, chez Adolphine Neyens, tandis que la compagne d’Alain Krivine loge chez Paulette Pierson-Mathy.
Dans le courant des années 1970, Paulette Pierson-Mathy établit des contacts au Caire avec l’Organisation de solidarité des peuples africains et asiatiques (OSPAA), qui regroupe les pays non alignés, et subsidiairement avec l’Organisation de solidarité des peuples africains et asiatiques et d’Amérique Latine (OSPAAAL). Elle est également membre du Bureau de l’Association belge des juristes démocrates (ABJD) et collaboratrice du Secrétariat international de l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD). En conséquence, elle est chargée de commissions d’enquêtes sur les lieux de conflits internationaux comme au Liban, en Israël, au Vietnam, au Kampuchéa (Cambodge), en Corée, mais également en Afrique du Sud.
Au titre des missions effectuées pour le compte de l’OSPAA, Paulette Pierson-Mathy se rend notamment en République Populaire du Kampuchéa. La mission d’enquête intervient au terme du conflit opposant deux États du tiers-monde, tous deux dirigés par des gouvernements communistes. Cette visite a lieu à la suite de la chute des Khmers rouges et pendant l’occupation vietnamienne. Elle se déroule du 4 au 11 janvier 1980.
Paulette Pierson-Mathy contribue aussi aux travaux des Juristes démocrates comme au congrès d’Helsinki en 1970, où elle est chargée de la rédaction d’un rapport sur la légalité des luttes de libération nationale.
Si sa carrière prend indubitablement un tournant avec la publication de son étude sur l’Afrique du Sud qu’elle considère comme sa « carte de visite », la rencontre de Paulette Pierson-Mathy avec la pacifiste communiste Isabelle Blume s’avère décisive dans ses engagements politiques ultérieurs. En effet, elle prend part à la Conférence du Caire aux côtés de l’ancienne enseignante et députée socialiste (de 1936 à 1954). Il s’agit de la Conférence de solidarité avec les peuples arabes du 27 janvier 1969. Dans le sillage de cette conférence, elle participe à d’autres grandes réunions comme celle de Khartoum, intitulée Conférence internationale de soutien aux peuples des colonies portugaises et d’Afrique du Sud (du 18 au 20 janvier 1969) ou bien à la Panafricaine d’Alger en juillet 1969 où elle noue des contacts avec les mouvements de libération. Ces relations avaient déjà été initiées un an plus tôt lors de la Panafricaine des Femmes. À leur retour en Belgique, Isabelle Blume charge Paulette Pierson-Mathy de former son premier comité de soutien qui s’intitule Comité contre le colonialisme et l’apartheid. Cette dernière se lie alors avec l’ancien résistant et chrétien progressiste Jean Godin, qui est le secrétaire expérimenté du Comité pour la paix en Algérie et du Comité Vietnam. Outre qu’elle bénéficie de l’expérience de celui qu’elle considère comme un « frère », le rayonnement des comités qu’elle fonde, s’explique par sa capacité à mobiliser des personnalités, issues du pilier socialiste comme du pilier chrétien. Dès le départ, elle peut compter sur des réseaux, celui de l’ULBiste Ralph Coeckelberghs, comme sur celui du chanoine louvaniste François Houtart. La vie des différents comités s’organise autour de bulletins d’informations, d’appels à des réunions publiques ou d’interpellations de personnalités politiques. Les comités disposent également d’un appartement dédié aux activités de ses différentes branches internationales. Ce lieu est mis à disposition du Comité par Paulette Pierson-Mathy.
Au départ, Paulette Pierson-Mathy peut s’appuyer sur le relai de l’Union belge pour la défense de la paix (UBDP), organisation de masse du Parti communiste de Belgique (PCB). Elle prend alors la parole aux côtés des premiers leaders rencontrés à Alger qui est alors le centre des mouvements révolutionnaires. Pour l’UBDP, elle invite, par exemple, dès 1969 dans le Borinage, la South West Africa People’s Organization (SWAPO – Organisation des peuples du Sud-Ouest africain), à travers ses représentants à Londres et à Alger : Peter Katjavivi et Ewald Katjivena. Elle contribue à faire connaître dans les instances internationales l’entité méconnue de la Namibie et son principal mouvement politique, le SWAPO. En contact direct avec ses leaders, dont le futur président Sam Nujoma, et bénéficiant de l’expertise du Centre de droit international, elle a tôt fait de devenir une spécialiste auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Au début des années 1980, elle contribue aussi à faire reconnaître également le Zimbabwe au lieu de la Rhodésie, et le mouvement de la Zimbabwe African People’s Union (ZAPU – Union du peuple africain du Zimbabwe) sur la scène internationale. Elle ne se contente pas de combler le déficit de notoriété de ces États naissants mais organise surtout des campagnes médiatiques visant à empêcher la fourniture d’armes belges de la Fabrique nationale d’armes d’Herstal (FN – pr. et arr. Liège) à tous les régimes coloniaux d’Afrique australe : en 1981, elle organise la campagne intitulée « Halte à l’armement de l’Afrique du Sud par la Belgique ». Outre le boycott commercial des produits sud-africains, des obligations positives peuvent aussi être encouragées par l’activité du comité animé par Paulette Pierson-Mathy. Ainsi, plusieurs gouvernements occidentaux sont encouragés dans leur soutien matériel aux mouvements de libération comme, par exemple, les Pays nordiques et les Pays-Bas en faveur de la Guinée-Bissau.
Par l’entremise du Comité contre le fascisme et le néo-colonialisme de Jean Godin, Paulette Pierson-Mathy se rapproche aussi des principaux leaders indépendantistes des colonies portugaises. L’exemple le plus notable est celui de l’amitié qu’elle entretient avec le docteur Agostinho Neto dont elle apprécie l’érudition marxiste et le talent de poète. En mai 1974, répondant à l’invitation de Paulette Pierson-Mathy, le leader du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) se rend chez elle, avenue Molière à Bruxelles, pour une réunion avec le prêtre Joaquim Pinto de Andrade et le chanoine Houtart. Agostinho Neto se rend chez Paul-Louis et Paulette Pierson à trois reprises, en 1973, en 1974 et en 1975. Il leur confie même le soin de trouver un bâtiment digne mais peu onéreux pour accueillir l’ambassade d’Angola en Belgique.
Pour bien comprendre le succès de la méthode Pierson-Mathy, il faut relever un appui total de l’université, des relations directes avec les libérateurs du continent africain et l’intérêt bien compris des dirigeants occidentaux de trouver, en la personne de l’universitaire belge, l’intermédiaire idéal. Du point de vue des combattants anti-apartheid, Paulette Pierson-Mathy permet des avancées significatives dans l’isolement du régime ségrégationniste au sein de la classe politique belge. Son parti, le Parti socialiste belge (PSB), comme le PCB, sont les plus réceptifs à ce combat auquel ils se joignent volontiers.
En outre, Paulette Pierson-Mathy peut bénéficier d’un relai important auprès du Centre tricontinental (CETRI) du chanoine Houtart à Louvain-la-Neuve (commune d’Ottignies, aujourd’hui pr. Brabant wallon, arr. Nivelles). Pour comprendre le lien entre les différents espaces sur lesquels s’exercent l’expertise et son engagement, il est possible de se référer à son ouvrage relatif à la Guinée- Bissau. En guise de conclusion d’un rapport qu’elle destine aux Nations Unies, Paulette Pierson-Mathy tente de donner les contours de la politique du nouvel État indépendant. Selon elle, la Guinée-Bissau définit une politique étrangère imprégnée d’anti-impérialisme et animée par l’esprit des non-alignés de Bandung. L’aboutissement de la lutte anticolonialiste menée par Amilcar Cabral entraîne ipso facto le renforcement d’une alliance avec les autres mouvements anticolonialistes : le MPLA et le Frente de Libertação de Moçambique (FRELIMO – Front de libération du Mozambique). Cependant, il est notable de constater que les solidarités internationales poursuivies par le Partido Africano para a Independência da Guiné e Cabo Verde (PAIGC - Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap Vert) correspondent exactement aux mobilisations soutenues par la juriste belge. Il s’agit précisément des liens étroits avec les mouvements et les causes suivants : le SWAPO, le African National Congress (ANC – Congrès national africain), le Front patriotique Zimbabwe, le Front Polisario, le Frente Revolucionária de Timor-Leste Independente (FRETILIN – Front révolutionnaire pour l’indépendance du Timor Oriental) ainsi que la Palestine, le Vietnam et la Corée pour sa réunification.
L’intérêt que Paulette Pierson-Mathy manifeste pour la lutte de libération menée entre 1963 et 1973 en Guinée-Bissau est essentiel dans la détermination de son axe de recherche en droit international. En effet, l’idée phare de sa pensée serait celle de la reconnaissance d’un contexte de droit international de libération des peuples. Suivant cette idée, le mouvement de libération peut exiger une reconnaissance de jure dès la constitution du nouvel État de la part des organisations internationales et des États. Cette théorie du droit de la libération repose en grande partie sur le modèle fourni par Amilcar Cabral que Paulette Pierson-Mathy place en très haute estime. Elle n’hésite pas à écrire à son sujet qu’il est un « homme exceptionnel (faisant) déjà figure d’initiateur et de chef » et que parmi les « traits marquants du génie d’Amilcar Cabral (on relevait l’importance qu’il accordait aux facteurs internationaux sur une lutte interne) ». Mentionnons encore que le petit-fils du couple Pierson-Mathy prendra le prénom d’Amilcar en hommage au leader africain assassiné.
En s’appuyant sur le cas exemplaire d’Amilcar Cabral, Paulette Pierson-Mathy semble pouvoir définir (?) les conditions dans lesquelles un mouvement de libération peut prétendre à une reconnaissance de sa personnalité juridique et, par là même, consacrer l’existence d’un État sur la scène internationale. Consciente de la difficulté juridique d’assimilation d’un gouvernement du peuple à un État, Pierson-Mathy met en exergue le cas de la Guinée-Bissau pour dépasser ce qu’elle identifie comme un juridisme excessif et surtout un européo-centrisme. Proposant de renouveler l’approche du droit des gens (jus gentium), la juriste belge soutient qu’il convient de tirer les conséquences juridiques de la Charte des Nations Unies pour établir selon les termes d’Amilcar Cabral que les anticolonialistes sont les « combattants anonymes de la cause des Nations Unies ». Elle relève à titre liminaire que les territoires non autonomes sont la négation du droit à l’autodétermination. Ensuite, elle constate que le PAIGC s’est placé dès le départ du côté de la morale et des lois internationales alors que de son côté, le Portugal avait commis le massacre de Pidjiguiti en 1959 et qu’il utilisait, comme ses alliés en Algérie ou au Vietnam, des armes non conventionnelles telles que le napalm ou le déplacement des populations civiles avec les « hameaux stratégiques ». Enfin, en application des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, les autres États doivent participer à l’isolement diplomatique et économique de l’État agresseur. Constatant qu’il n’y a pas de règles nettement formulées pour le passage d’un mouvement de libération à un État, Pierson-Mathy estime que, dans le contexte de la guerre de libération, il suffit de constater l’existence d’un territoire, d’une population et d’une autorité. En l’occurrence ces critères paraissaient remplis pour la Guinée-Bissau qui disposait d’un organe représentatif, une fois l’Assemblée nationale populaire (ANP) élue en 1972.
Indéniablement Paulette Pierson-Mathy dispose du soutien des autorités révolutionnaires mais il n’est cependant pas possible de la considérer comme le thuriféraire du nouveau parti-État. Ainsi, elle note qu’en Guinée-Bissau, il existe une règle des deux tiers de non-cadres du parti lesquels sont chargés de contrôler l’action des cadres du PAIGC. Elle ajoute avoir personnellement constaté l’application de la règle en avril 1972 dans la zone libérée, au nord, mais qu’elle n’a pas retrouvé la même exigence en 1976 dans la réforme de l’organisation électorale.
Les enquêtes internationales auxquelles Paulette Pierson-Mathy participe se distinguent par leur caractère indépendant. Formée par la méthode du libre examen, la juriste de l’ULB adopte invariablement une distanciation critique du point de vue de la méthode pour mieux appuyer sa démonstration. L’exemple le plus évident semble être le cas nord-coréen. De toute évidence, Paulette Pierson-Mathy ne compte pas parmi les personnalités stipendiées du régime nord-coréen, pas plus que d’un autre régime. En tant que juriste, elle s’intéresse à relever les violations objectives du droit international dans l’histoire contemporaine de la Corée. La force de sa démonstration réside dans une utilisation effective mais mesurée des sources nord-coréennes, en n’hésitant pas à employer le conditionnel. Toutefois, le véritable apport de son étude consiste à considérer qu’à l’aune des outils du droit international, la Corée est « une néo-colonie américano-japonaise ». Elle relève notamment que la politique de la canonnière du Japon puis celle de la force par l’occupation militaire américaine ont eu pour conséquence une négation systématique des libertés publiques et du droit à l’autodétermination dans toute la péninsule coréenne. Elle met notamment en exergue la « répression brutale élevée au rang de méthode de gouvernement » par les Japonais en faisant le lien avec les pratiques coloniales en vigueur en Rhodésie. Il s’agit par exemple de la mise en place de peines collectives dans les deux espaces coloniaux. Cette approche juridique se heurte néanmoins à des réticences de la part de gouvernements étrangers. Ainsi en 1979, l’ambassadeur du Japon en Belgique tente de dissuader personnellement Paulette Pierson-Mathy de répondre à une invitation à une conférence organisée par des juristes japonais sur cette question internationale. Après une prestation de serment des organisateurs de ne pas critiquer l’allié américain, elle est finalement autorisée à s’y rendre pour trois jours tout au plus et sans dépasser les vingt miles depuis le centre de Tokyo.
À l’instar de Robert Charvin, doyen de la Faculté de droit de Nice, avec qui elle collabore occasionnellement, Paulette Pierson-Mathy refuse de considérer de prime abord la question coréenne sous un angle prédéterminé. Au contraire, elle préfère revenir à un élément essentiel comme la partition imposée du pays en tant qu’une violation fondamentale du droit international. Bien que la démarche juridique soit objective, cela ne signifie pas pour autant une stricte neutralité. Il est évident que la République populaire et démocratique de Corée est sensible à la logique de l’universitaire belge de renom. Mais encore une fois, la particularité de la méthode de Pierson-Mathy est de ne pas rechigner à prendre ses informations sur place et le plus souvent dans l’intimité des dirigeants révolutionnaires mués en chefs d’État. C’est ainsi qu’elle se rend en avril 1976 à Panmunjeom, puis auprès de Kim Il Sung lui-même. Ce qui lui permet, un an après, de jeter les bases d’une grande conférence, au cœur de l’Europe, sur la réunification pacifique de la Corée. 68 pays y seront représentés du 21 au 23 février 1977. Un Comité pour la réunification pacifique et indépendante de la Corée (CILRECO) est ensuite fondé. Cette démarche dont il est loisible de discuter, non sans tordre le plus souvent le sens à travers des qualifications comme celle « d’œillères des intellectuels » est pourtant partagée durablement par d’autres juristes, comme le « juge rouge » Marie-Louise Moerens ou « l’avocat maoïste » Cécile Draps.
En 1976, Paulette Pierson-Mathy est également cofondatrice du Comité belge de soutien au peuple sahraoui. Avec son ami, le futur sénateur et fondateur d’Oxfam, Pierre Galand, elle favorise la connaissance des revendications des Sahraouis pour obtenir leur indépendance face à l’absolutisme marocain et à la théocratie mauritanienne.
À la même période, elle participe aussi à la fondation du Comité de lutte contre la répression au Maroc (CLRM) aux côtés du syndicaliste Pierre Le Grève, Pierre Galand ou encore François Houtart. Ce comité bénéficie d’appuis politiques variés allant des libéraux aux trotskystes en passant par des chrétiens et des socialistes. A cet égard, on peut mentionner des personnalités comme Léo Tindemans (PSC (Parti social-chrétien) – CVP (Christelijke volkspartij)), Willy Burgeon (PSB), Jacques Moins (PCB) ou Serge Moureaux (FDF-Front démocratique des francophones). Le CLRM a vocation à dénoncer le régime tyrannique du roi Hassan II, en diffusant les témoignages des prisonniers politiques torturés dans les geôles marocaines. Pierson-Mathy est également membre du Comité international de juristes pour le Sahara Occidental.
Au rang des très nombreuses missions sur le terrain, Paulette Pierson-Mathy effectue notamment une mission d’étude dans les territoires libérés de la République arabe sahraouie entre le 24 février et le 2 mars 1979. À cette occasion, elle rencontre les responsables du Front Polisario. Elle met une fois de plus en exergue les complicités occidentales dans ce dossier, en particulier celle de la France qui se serait liée corps et âme à son homme lige, le roi du Maroc.
Les missions de terrain de Pierson-Mathy comprennent aussi une participation aux commissions internationales d’enquête sur les crimes du régime d’apartheid. Elle est chargée d’enquêter sur le massacre de Soweto (Afrique du Sud) en 1976. En 2011, elle prend une part active dans la session du Cap du Tribunal Russell Palestine (TRP). En tant que première spécialiste francophone du régime d’apartheid en Afrique du Sud, elle met toute son expertise à la disposition du tribunal lequel, dans son dispositif de jugement, considère qu’en droit international le régime d’apartheid en Israël est une réalité juridique.
En août 1982, Paulette Pierson-Mathy se rend à Damas au Liban et en Israël, peu de temps avant le massacre de Sabra et Chatila. Elle y retourne également en 1984 avant de publier un rapport pour les juristes palestiniens. Enquêtant aussi dans les États de la « ligne du front », en Zambie, au Mozambique et en Angola, elle constate les violations du droit international par l’Afrique du Sud.
Ces différents engagements lui valent une interdiction d’entrée sur le sol américain. En 1982, sur l’intervention du Comité spécial apartheid des Nations Unies, elle obtient la possibilité de se rendre à New-York pour trois jours seulement. Enfin, elle participe la même année à la session du Tribunal permanent des peuples consacrée au Zaïre.
Sur le plan institutionnel, Paulette Pierson-Mathy produit plusieurs études sur l’Afrique du Sud pour le ministère des Affaires Étrangères. Elle dépend alors de l’Institut de sociologie de l’ULB présidé par Jacques Nagels. Il s’agit plus précisément du Centre d’études africaines de l’Institut de sociologie. La carrière académique de Paulette Pierson-Mathy est également marquée par ses participations à des séminaires ou en tant que professeure invitée dans des universités des deux blocs de la guerre froide, par exemple à l’Université de Boston en 1972 ou à l’Université Patrice Lumumba de Moscou en 1980, ainsi qu’à l’Université de Luanda un an plus tôt.
La force des initiatives portées par Paulette Pierson-Mathy consiste à s’appuyer sur des institutions, entre autres le ministère des Affaires étrangères du socialiste Henri Simonet, mis en mouvement par des partis, des syndicats et des personnalités de la société civile. Une grande conférence sur l’Afrique du Sud organisée en 1981 par le Comité contre l’apartheid bénéficie pour l’ouverture du poids du ministre et ancien président du conseil d’administration de l’ULB. Cela permet un désenclavement diplomatique important pour l’ANC. En parallèle, Pierson-Mathy continue d’accueillir les représentants sud-africains à Bruxelles quand ceux-ci font l’objet d’attentats en Europe. En 1988, Godfrey Motsepe, représentant de l’ANC en Belgique, est la cible d’une attentat. En 1984, il avait été invité à l’ULB lors de la cérémonie de doctorat honoris causa pour Nelson Mandela, toujours emprisonné.
Cependant le véritable garant des activités internationalistes de Paulette Pierson-Mathy demeure l’université. Au départ, elle peut compter sur un appui en l’Institut royal des relations internationales et plus particulièrement de son Centre interuniversitaire de droit international, d’économie et de politique internationale où elle est chargée de recherche. Cet appui technique se mue davantage en un soutien lorsqu’elle intègre, en 1967, le Centre de droit international et le secrétariat de la Revue belge de droit international. Dès 1972, Pierson-Mathy devient chargée de cours à la Faculté de droit et à la Faculté des sciences politiques.
Le 13 janvier 1984, Paulette Pierson-Mathy propose, que l’université décerne, à l’occasion du 150ème anniversaire de la fondation de l’ULB, le titre de docteur honoris causa à Nelson Mandela toujours emprisonné. Son initiative bénéficie du soutien du recteur et d’une grande partie du corps académique. Johnny Makatini, président de l’ANC, reçoit donc le doctorat honoris causa au nom de Mandela en présence du roi Baudouin, du ministre d’État Pierre Vermeylen et de l’aréopage académique. En 2015, Elle est de nouveau à l’origine de la décision d’élever au grade de docteur honoris causa un ancien haut responsable du FRELIMO devenu président de la République du Mozambique, Joaquim Chissano.
Les dernières années de la vie de Paulette Pierson-Mathy sont marquées par une fidélité au PS (issu de la scission du PSB en deux branches, l’une francophone, l’autre flamande, le Socialistische Partij). Malgré un soutien apporté à une liste du Parti du travail de Belgique (PTB) de Schaerbeek (Région de Bruxelles-Capitale), Paulette Pierson-Mathy continue d’appartenir au PS jusqu’à la dernière année de sa vie. Son soutien au PTB s’explique moins par adhésion au parti que par une demande amicale et ponctuelle de la part d’une amie et collègue de l’Institut de sociologie. Au cours des années 2000, elle se retire progressivement des activités du Comité Afrique Australe pour entamer un vaste transfert de ses archives vers le Centre des archives du communisme en Belgique (CArCoB). En parallèle, elle reçoit de prestigieuses décorations officielles de la part des États qu’elle a contribué à faire reconnaître. Cependant, elle reste très affectée par la disparition de son fils, victime d’un paludisme foudroyant, le 20 avril 2014, au Burkina Faso. Victime d’un accident cérébral en août 2020, Paulette Pierson-Mathy s’éteint un an plus tard aux côtés de son mari et de son petit-fils. Au niveau international, sa disparition suscite des hommages publics de la part de la présidence sud-africaine ainsi que de la part de la fondation Agostinho Neto.
Paulette Pierson-Mathy cède ses volumineuses archives au CArCoB, entraînant une nouvelle dénomination du Centre d’archives, adoptée en 2022 : CArCoB - Centre des archives communistes, pacifistes, de solidarité internationale et de lutte contre le colonialisme et l’apartheid, en Belgique.
Par Paul-Emmanuel Babin
ŒUVRE : « L’évolution politique de l’Afrique : la communauté "française", la république de Guinée l’indépendance de la Somalie », Chronique de politique étrangère, vol. XIV, n° 1-3, Bruxelles, Institut Royal des Relations Internationales, janvier-mai 1961 – La politique raciale de la République d’Afrique du Sud, Bruxelles, Institut Royal des Relations Internationales, 1964, p. 254-660 – Agostinho Neto : Discours et déclarations (1978-1979), préfacé, traduit et édité par Paulette Pierson-Mathy, Bruxelles, Comité contre le colonialisme et l’apartheid, 1979 – « Une lutte méconnue : la lutte du peuple coréen pour l’exercice de son droit à l’autodétermination », dans Mélanges Fernand Dehousse, Paris-Bruxelles, Nathan-Labor-Institut d’études juridiques européennes Fernand Dehousse, 1979, p. 61 à 81 – La naissance de l’État par la guerre de libération nationale : le cas de la Guinée-Bissau, Paris, UNESCO, 1980 – De strijd van een man en een volk, Nelson Mandela, Bruxelles, Comité contre le colonialisme et l’apartheid, 1984.
SOURCES : CArCoB, fonds Pierson-Mathy – Archives et musée de la littérature, MLPA 00451/0009, CNAPD. Action Afrique australe – Archives de l’ULB, dossier d’inscription de Paula Mathy – Témoignage de Paulette Pierson-Mathy, Bruxelles, 2 octobre 2017 – La République Populaire Démocratique de Corée. Revue mensuelle illustrée, n° 6, Pyongyang, 1977 – DONEUX J.-L., LE PAIGE H., Le Front du Nord. Des Belges dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, POL-HIS, 1992 – GALAND P., 50ème anniversaire du déclenchement de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, 1954-2004, colloque du 10/11/2004, organisé par le Sénat de Belgique et l’Ambassade d’Algérie en Belgique, Bruxelles, Maison des Parlementaires, 2006 – EL BAROUDI Z., Histoire du Comité de Lutte contre la Répression au Maroc Analyse d’une association centrée en Belgique : 1972-1995, mémoire de licence en histoire contemporaine, sous la direction d’Anne Morelli, Bruxelles, ULB, 2015 – CHRISTIAENS K., NIEUWENHUYS J., ROEMER C., International Solidarity in the Low Countries during the Twentieth Century : New Perspectives and Themes, Berlin, Walter de Gruyter, 2020, p. 297-299 – « Prof. Paulette Pierson-Mathy (Belgium) », dans Site Web : The presidency Republic of South Africa, s.d. (page consultée le 24 avril 2022) – « Paulette Pierson-Mathy – In memoriam », dans Site Web : Centre de droit international, mis en ligne le 24 septembre 2021 (page consultée le 24 avril 2022) – BELOT François, « Le fonds de Paulette et Paul-Louis Pierson-Mathy (Comité Contre le Colonialisme et l’Apartheid », dans Site Web : contemporanea.be, s.d. (page consultée le 24 avril 2022).