FIEU Louis, Gabriel, Philippe

Par Gilles Morin, Justinien Raymond

Né le 7 novembre 1879 à Albi (Tarn), mort le 7 novembre 1973 à Albi ; employé ; militant socialiste du Tarn, compagnon de Jaurès ; conseiller général (1919-1941), maire de Carmaux (1929-1941, 1942-1944), député du Tarn (1932-1940) ; résistant.

[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936]

Louis Fieu naquit dans une famille aux revenus modestes et chargée d’enfants. Son père, petit cultivateur d’abord, avait quitté la terre pour être ouvrier menuisier aux mines de Carmaux. Sa mère, paysanne également, était originaire de Padiès, dans le canton de Valence-d’Albigeois. Le jeune Louis Fieu, d’abord élève de l’école confessionnelle, passa à l’école laïque dès son ouverture et la fréquenta jusqu’à l’âge de quatorze ans. Il demanda alors son admission aux mines de Carmaux mais, non muni de « recommandations émanant de milieux cléricaux ou de quelque personnage bien en cour », il n’y fut pas reçu. Il devint commis aux écritures chez deux commerçants et, le soir, poursuivit sa formation par d’abondantes lectures. À dix-sept ans, il entra dans les services municipaux de l’octroi, comme auxiliaire. Trois ans plus tard, il devint expéditionnaire à la mairie de Carmaux. Par promotion interne, il parvint aux fonctions de rédacteur puis de chef de bureau. Poursuivant cette ascension sociale, son fils Jean-Louis, professeur de lycée, agrégé des Lettres, allait être inspecteur d’Académie du Tarn.

Louis Fieu prit intérêt aux luttes de la classe ouvrière lors de la grève des verriers en 1895 et se lança dans l’action politique socialiste dans le sillage de Jean Jaurès dont il fut le compagnon et le proche collaborateur jusqu’à l’assassinat de ce dernier. Il l’accompagna pendant la campagne électorale de 1898, en pleine affaire Dreyfus et, cette même année, il devint, pour vingt-cinq ans, le correspondant de La France de Bordeaux. En 1899, il fonda à Carmaux le premier groupe de « Jeunesses socialistes » dont il fut le secrétaire jusqu’à son entrée dans le Cercle d’études sociales, ancêtre de la section socialiste au moment de l’unité de 1905. En 1900, Louis Fieu encourut deux poursuites judiciaires pour aide apportée aux mineurs en lutte. En 1902, il accompagna Jean Jaurès dans sa campagne électorale. Quatre ans plus tard, il fut encore à ses côtés pour défendre et protéger la mairie contre des manifestants de droite. En 1910, il assura le secrétariat du comité électoral de Jaurès et devint rédacteur au Cri des Travailleurs. Il occupa les mêmes fonctions lors de la campagne de 1914 pendant laquelle il parla souvent aux côtés de Jaurès dans les réunions publiques. Mobilisé de 1914 à 1919, Louis Fieu partagea ses combats entre le front français et le front d’Orient, comme sergent dans la 15e section d’infirmiers militaires. Démobilisé à Salonique, il regagna Carmaux, reprit son poste à la mairie et sa vie de militant.

Un conflit l’opposant au vieux militant Calvignac*, Louis Fieu ne fut pas désigné comme candidat aux élections municipales de novembre 1919. Mais il fut élu sans concurrent au conseil général par le canton de Carmaux le 14 décembre 1919. Il allait être réélu, toujours au premier tour, en 1925, 1931 et 1937. Il fut également nommé secrétaire de rédaction du Cri des Travailleurs, organe hebdomadaire de la fédération socialiste SFIO du Tarn. Pour les élections législatives du 16 novembre 1919, il lutta, non candidat, comme secrétaire du comité électoral, pour la liste socialiste menée par Albert Thomas*. Il était en plein accord avec ce dernier et se plaçait nettement dans la tendance de droite du Parti socialiste. Au congrès de la fédération socialiste du Tarn du 15 février 1920, en vue du congrès national de Strasbourg, il défendit le maintien de l’adhésion à la IIe Internationale et en fit accepter l’idée par 23 mandats contre 10. Aux approches du congrès de Tours, il obtint de sa section de Carmaux, l’adhésion à la motion Blum-Paoli* par 63 voix contre 36 et 9 abstentions. Ce point de vue l’emporta au congrès fédéral du Tarn le 15 décembre 1920 par 34 mandats contre 22 pour la IIIe Internationale et 5 pour la motion Longuet*. Louis Fieu, porté au secrétariat de la fédération socialiste du Tarn le 27 juin 1920, laissa ce poste à Spinetta* en février 1921, la scission étant commencée. Cette scission laissa dans le Tarn les deux tiers des adhérents à la fédération socialiste SFIO. Il siégea comme suppléant à la CAP (motion Vie socialiste) en 1926-1927 et comme titulaire en 1928.

En vue des élections législatives de 1924, Louis Fieu s’effaça au bénéfice de Sizaire*. Mais, dès ce moment, il était favorable au Cartel avec les radicaux et à la participation ministérielle des socialistes. En 1927, il conduisit la liste socialiste aux élections sénatoriales, liste qui affronta deux tours de scrutin : à ces deux tours, Louis Fieu, devant ses colistiers, obtint 178 et 256 voix. Aux élections législatives de 1928, il soutint Paul Boncour* avec d’autant plus de ferveur qu’il partageait sa conception du socialisme. Lorsque ce dernier manifesta son intention de quitter le Parti socialiste, Louis Fieu fit tous ses efforts pour l’en dissuader, mais en vain. Aux élections municipales de 1929 à Carmaux, il mena, avec Calvignac*, la liste socialiste à la victoire ; élu 1er adjoint au maire Calvignac*, il lui succéda quelques mois plus tard, ce dernier ayant donné sa démission. D’une guerre à l’autre, Louis Fieu prit une part active à l’activité des congrès et conseils nationaux du Parti socialiste.

En 1932, Paul Boncour* ayant abandonné la place, il fut désigné comme candidat aux élections législatives, dans la 2e circonscription d’Albi que représenta Jaurès. Au premier tour de scrutin, il fut élu député par 6 744 voix sur 12 689 inscrits et 10 694 votants, contre 3 074 à Guérin, démocrate populaire, et 625 à Raynal, communiste. « Après le phare la veilleuse », plaisantait-on en commentant l’élection du secrétaire de Jaurès sur le siège de celui-ci. Il fut secrétaire de la Chambre des députés et siégea, entre autres, à la Commission des Mines. Lors de la scission néo-socialiste, malgré la dissidence de Laurent Camboulives, malgré ses options réformistes et participationnistes, il demeura au sein de la SFIO. En novembre 1934, il laissa le secrétariat de la fédération à l’instituteur Malroux*. Il dirigeait Le Cri du Tarn et collaborait à La Dépêche de Toulouse, ce qui indisposait certains militants socialistes qui le dirent au congrès fédéral du 28 avril 1931. Aux élections législatives de 1936, Louis Fieu retrouva son siège au 1er tour de scrutin par 5 559 voix sur 12 572 inscrits et 10 537 votants, contre 3 538 à Ichard, néo-socialiste, et 1 158 à Pélissou, communiste.

Devant l’Assemblée nationale de Vichy, le 10 juillet 1940, il vota pour l’octroi des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il lui fut reproché par ailleurs d’avoir voté une motion de confiance à Pétain quatre mois après Montoire et d’être d’accord avec les mineurs qui appliquaient la Charte du Travail. Le 13 juillet 1941, le maire de Carmaux démissionna, entraînant avec lui ses conseillers municipaux élus en 1935, pour ne pas s’associer à des mesures de police prescrites par Vichy contre les organisations communistes et para communistes. Il avait invité par la presse la population à pavoiser les façades pour le 14 juillet. Mais une initiative formelle du syndicat des mineurs, en décembre 1941, fit révoquer le maire, haut fonctionnaire de la police replié, nommé par Vichy. Louis Fieu fut rappelé comme maire de Carmaux le 23 janvier 1942, avec l’accord du syndicat, du conseil d’administration de la Société des secours des mineurs, de l’Union locale des syndicats et du Cercle Jean-Jaurès regroupant les socialistes locaux. Les délégués des organisations ouvrières auraient forcé la main à Louis Fieu qui proclama : « Si j’acceptais, je serais obligé d’avaler les pires couleuvres qui seraient parfois de véritables serpents. » Son premier acte municipal fut de replacer le buste de la République dans la salle du Conseil. Il accepta la nomination d’un représentant de la Légion, qui lui était imposé par la loi municipale vichyste, mais refusa d’en accepter plus et de voter un acte de confiance au Maréchal Pétain et au gouvernement. Il obtint gain de cause et la Légion refusa alors de désigner un représentant. La mairie fournit par la suite des faux papiers et des tickets de rationnement à des juifs persécutés et à la Résistance. Après avoir réuni, le 15 janvier 1944, les organisations qui l’avaient poussé à reprendre ce poste en janvier 1942, il démissionna deux jours plus tard pour ne pas mobiliser les jeunes de la classe 1944, susceptibles d’être appelés au Service du travail obligatoire. Il collabora au MLN puis au MUR et participa à des parachutages d’armes.

Après avis favorable du préfet — puis du Comité départemental de Libération qui, dans un premier temps, avait proposé un dossier à charge —, le Jury d’honneur présidé par René Cassin le releva de l’inéligibilité, le 19 décembre 1945, après l’avoir maintenu dans cette position lors d’un premier examen, le 5 septembre 1945. La décision publiée au Journal officiel du 19 janvier 1945 notait : « Considérant que l’intéressé à pu prouver que s’il avait accepté, malgré sa vive répugnance, de reprendre, en février 1942, les fonctions de maire de Carmaux, c’était pour obéir aux vœux unanimes des représentants qualifiés de son parti et des organisations syndicales ; qu’il s’est à nouveau et définitivement démis de ses fonctions en janvier 1944, pour ne pas s’associer au recrutement des jeunes gens de la classe 1944 ; qu’il a participé, en personne, à des distributions de tracts et à plusieurs parachutages d’armes qui furent transportés dans des véhicules municipaux fournis par lui » (Journal officiel du 19 janvier 1946).

Un an auparavant, Louis Fieu avait été exclu du Parti socialiste pour le vote du 10 juillet 1940 par le congrès extraordinaire de Paris (novembre 1944). Il fut réintégré, sur demande de la fédération socialiste du Tarn et après un avis favorable de la commission nationale des conflits (CNC), par le conseil national des 25 et 26 février 1950. La présence dans la CNC de Marcel Bloch, qu’il avait connu au Cri du Tarn, puis aidé alors qu’il était poursuivi par les Allemands durant la guerre, joua en sa faveur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24895, notice FIEU Louis, Gabriel, Philippe par Gilles Morin, Justinien Raymond, version mise en ligne le 8 mars 2009, dernière modification le 7 février 2010.

Par Gilles Morin, Justinien Raymond

[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936]
Compère-Morel, Encyclopédie socialiste, op. cit., Les Fédérations socialistes, t. III, p. 17.

SOURCES : Arch. Nat., F/7/15493, n° 2752 ; CAC, 19910564, art 11. — Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Arch. Com. Carmaux. — Arch. OURS : dossiers des parlementaires exclus, lettre de Ginestet du 4 octobre 1949, rapport de la Commission nationale des conflits. — Arch. Jury d’Honneur, dossier Fieu. — J. Jolly, Dictionnaire des Parlementaires, op. cit., t. V, p. 1691. — Le Midi socialiste, 29 février 1936. — Le Progrès de l’Aveyron, 3 mai 1930, 3 mai 1931, 17 avril 1932. — La Vie socialiste, 14 mai 1932. — Les Cahiers d’information du militant, n° 16, mai 1936. — Compte rendu du congrès extraordinaire du Parti socialiste (novembre 1944). — Le Monde, 22 novembre 1973. — Notes de Claude Pennetier.

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