VITRIER Henri, Pierre

Par Christian Henrisey

Né le 8 février 1897 à La Chapelle-sous-Brancion (Saône-et-Loire), mort le 3 avril 1984 à Tournus (Saône-et-Loire)  ; ingénieur, entrepreneur de transports, officier aviateur en 1939-1940 ; ancien combattant de la Première guerre mondiale, fondateur de l’ARAC en Saône-et-Loire ; militant communiste, créateur de l’Organisation spéciale (OS) en Saône-et-Loire, puis du maquis FTP de Brancion ; responsable militaire des FTPF de la zone nord de Saône-et-Loire en avril 1944, nommé sous-préfet d’Autun en septembre 1944, démis de son poste en 1946 ; fondateur de l’ANACR en Saône-et-Loire, il en fut président départemental.

Henri Pierre Vitrier naquit au lieu-dit la « Pierre Levée », hameau de la commune de La Chapelle-sous-Brancion (Saône-et-Loire). Il était le septième et avant dernier enfant de Pierre Vitrier et de Jeanne Henriette Cothenet, cultivateurs fermiers du Comte de Murard, important propriétaire terrien dans plusieurs villages de la vallée de la Grosne.
La famille Vitrier, précédemment installée à Martigny-le-Comte (Saône-et-Loire), quitta la ferme de La Chapelle-sous-Brancion entre 1911 et 1921, puisqu’à cette date elle fut recensée (les deux parents et deux fils, dont Henri, présenté comme étudiant) au lieu-dit le « Mollard », hameau viticole de la commune de Bray (Saône-et-Loire), non loin de Cluny. Pierre Vitrier y mourut en 1923 et son exploitation fut reprise par son troisième fils, recensé en 1926 : propriétaire exploitant, patron ». Un des frères d’Henri mourut « tué à l’ennemi », le 20 août 1914. Un autre de ses frères fut, comme Henri, ingénieur des Arts et Métiers

Henri Vitrier était élève à l’École des Arts et Métiers de Cluny, lorsque la guerre interrompit ses études. Incorporé le 11 janvier 1916, il fut nommé, le 15 octobre 1916, aspirant affecté au 47e régiment d’artillerie. Sous-lieutenant au 5e groupe d’artillerie de campagne le 18 novembre 1917, il bifurqua vers l’aéronautique et devenait sous-lieutenant observateur au 18e groupe d’aviation. Le 30 juin 1918 il fut cité à l’ordre de l’aéronautique : « Sous-lieutenant d’observation de l’escadrille 278, excellent observateur à la fois calme et audacieux ». Le 3 février 1919 une autre citation à l’ordre du Corps d’Armée précisait : « a pris part à toutes les opérations du corps d’armée depuis le 27 mai 1918, volant à très basse altitude pour mieux suivre la progression de l’infanterie, rentrant chaque fois son appareil dangereusement atteint. Les 3 et 20 août a soutenu de durs combats contre plusieurs monoplans ennemis ». Il fut démobilisé le 21 septembre 1919 obtenant la Croix de guerre avec palme et étoile de vermeil, la médaille interalliée de la Victoire et la médaille commémorative de la Grande Guerre.

Il termina alors ses études d’ingénieur des Arts et Métiers. Il se mariait le 13 janvier 1923, à Martailly-lès-Brancion (Saône-et-Loire), avec Yvonne Ducher. Il occupa quelques temps un emploi d’ingénieur dans la sidérurgie lorraine. Mais son esprit d’indépendance le fit revenir en Saône-et-Loire. Il s’installa au col de Brancion, où son beau-père tenait déjà un atelier de charron forgeron. Avec son épouse Yvonne, ils exploitèrent un petit café, « rendez-vous des chasseurs, des promeneurs et des amoureux » selon M-H. Velu et A. Jeannet. Ils créèrent une entreprise de transport par autocars, « autocars que l’un et l’autre conduisaient, rendant de multiples services ». Cette entreprise, agréée par le conseil général de Saône-et-Loire, assurait, par plusieurs liaisons hebdomadaires, la desserte entre les villages de la région et Chalon-sur-Saône. Le couple noua ainsi de nombreux contacts, au sein d’un tissu social dont il était lui-même originaire.
Henri Vitrier fut membre de l’Association républicaine des anciens combattants dès son retour à la vie civile. Il en deviendra président d’honneur pour la Saône-et-Loire.
Officier de réserve, Henri Vitrier fut rappelé à l’activité le 26 août 1939, en tant qu’officier mécanicien de groupe au 355e régiment d’artillerie. Démobilisé à Toulouse en juillet 1940, il rejoignit Martailly-lès-Brancion et son café auberge.
Aucune source ne date son adhésion au Parti communiste. Cependant il était reconnu par celui-ci, selon la plaque mémorielle placée sur sa tombe, comme un des « précurseurs de l’Organisation spéciale (OS) ». Son adhésion semble antérieure à la guerre.
Il entra aussi au « Front national » dès sa fondation. Le café auberge Vitrier, sis au col de Brancion, devint un lieu de rencontres où transitaient des réfractaires. En 1942 il prit contact avec des responsables de réseaux de résistance « Combat » et « Libération ». Suzanne et Henri cachèrent un aviateur canadien, organisèrent des caches d’armes et d’explosifs au sein d’un dense réseau familial local. En janvier 1943 Henri (pseudo …Henry dans la Résistance) réalisa un premier sabotage de pylône d’électricité. Au cours des mois suivants il mit en place un des premiers maquis FTP en zone sud dans la région boisée, autour de Brancion. En août 1943 son groupe, très mobile, spécialisé dans le sabotage des voies ferrées, prenait le nom de « Groupe Gabriel Péri ». Très vite suspectés, et à la suite de plusieurs arrestations, les Vitrier furent amenés à quitter leur café. Henri se rendit chez un de ses frères, à Paris, avant d’être désigné chef militaire départemental des FTP pour le nord du département de Saône-et-Loire (voir Barbot Marce). Henri Vitrier fut reconnu résistant avec le grade officiel de lieutenant-colonel.
La ligne de démarcation entre la zone libre et la zone occupée traversait le département, au sud de Chalon-sur-Saône. Le bassin industriel du Creusot et le bassin houiller de Montceau-les-Mines étaient, comme Chalon, en zone nord. Brancion et son maquis étaient en zone sud. Cette partition en deux zones subsista après 1942 dans l’organisation des réseaux et mouvements de résistance, non sans problèmes de commandement. À partir de mai 1944, le responsable des FTP du sud du département était Jean Ritoux, alias Ledon, issu des maquis de l’Ain.
Le 2 juillet 1944, alors qu’il se trouvait à Brancion, où il revenait de temps en temps, une attaque allemande eut lieu contre les maquis de la région. Le café Vitrier fut incendié et les parents d’Yvonne furent malmenés.
Après la libération de Chalon-sur-Saône, le 5 septembre 1944, où Henri Vitrier participa officiellement aux cérémonies militaires, et sans doute après des négociations politiques au sein du Comité départemental de la libération, en vue d’établir un équilibre entre les formations résistantes, et après la libération meurtrière d’Autun les 9 et 10 septembre, il fut nommé sous-préfet de cette ville. Les cinq préfet et sous-préfets du département étaient issus de la Résistance.
À Mâcon, le 4 septembre 1944, était installé le préfet Lucien Drevon (né en 1909), socialiste, ancien fonctionnaire à la préfecture du Jura, chef départemental des MUR en mai 1944, et depuis juin 1944 président du Comité départemental de la Libération de Saône-et-Loire.
À Louhans, le sous-préfet, Henri Vincent (né en 1905) était un ancien instituteur de la Bresse, appartenant également aux Mouvements unis de la résistance (MUR) et à l’AS, dont il était responsable pour la rive gauche de la Saône.
À Charolles, le sous-préfet Jean Peretti (né en 1900), ancien professeur de mathématiques, était aussi l’ancien responsable MUR du Charollais.
À Chalon-sur-Saône, ville la plus peuplée du département, le sous préfet était Claude Rochat (né en 1917), ingénieur, responsable de l’Armée secrète (AS) du département et des FFI.
La nomination de Vitrier à la sous préfecture d’Autun intervenait après la nomination récusée de deux autres titulaires. Il devint ainsi un des rares préfets ou sous-préfets communistes dans la France libérée.
Il resta à la sous-préfecture d’Autun jusqu’en 1946. Il fut ensuite délégué du Ministère de la Reconstruction dans les département de la Manche et de Charente-Maritime. Il quitta ses fonctions administratives et revint en 1949 à Martailly-lès-Brancion, où il reconstruisit son auberge. Il poursuivit son combat de résistant en participant à la création de l’Association nationale des anciens combattants de la résistance (ANACR) et en la faisant vivre en Saône-et-Loire.
Pour maintenir la mémoire de la Résistance il fut, avec son adjoint du maquis Adrien Boutet, instituteur au village de Mancey, à l’initiative de l’érection d’un imposant monument « Souviens toi », situé au sommet du col de Brancion non loin de l’ancien château fort médiéval. L’appel à souscription fut relayé par la presse locale en janvier 1950. Ce monument fut financé par souscription et par les 23 communes environnantes. La cérémonie d’inauguration, le 2 juillet 1950 témoigna de l’union maintenue malgré la guerre froide. Elle eut lieu en présence du député communiste Rémi Boutavant, des conseillers généraux de Cuiseaux, Sennecey-le-Grand Saint-Gengoux-le-National et de Tournus, de nombreux maires, de représentants des associations de déportés, de résistants de la région, et, fait notable, du résistant gaulliste André Jarrot, Henri Vitrier, ancien sous-préfet d’Autun prononça le discours de clôture. 108 noms y sont inscrits : ceux des maquisards tombés à Azé, Brancion, Royer, Tournus, ceux de morts en déportation et ceux d’otages fusillés par les Allemands. Une cérémonie annuelle s’y déroule régulièrement depuis, chaque début juillet.
Henri Vitrier mourut à Tournus le 3 avril 1984. Il fut inhumé, ainsi que son épouse au petit cimetière de l’ancien bourg médiéval de Brancion, situé à côté de l’église millénaire, sur un promontoire qui domine la vallée de la Grosne, lieu de sa vie et de ses combats.
Le 18 juin 1987 fut inaugurée, à Tournus, une « Avenue Henri et Yvonne Vitrier ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article249315, notice VITRIER Henri, Pierre par Christian Henrisey, version mise en ligne le 3 juillet 2022, dernière modification le 3 juillet 2022.

Par Christian Henrisey

SOURCES  : Annuaires de la Saône-et-Loire, édités à Mâcon, années 1930 diverses.
* AD Saône-et-Loire, fonds Séraphin Effernelli 88J.
* registre des matricules militaires de Saône-et-Loire, fiche « Henri Vitrier ».
* Robert Chantin, Université de Lyon 2, thèse http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2000.chantin_r&part=18502 La perception de la situation par le seul sous-préfet communiste de la région. Henri Vitrier, sous préfet communiste d’Autun.
Sources bibliographiques :
- Effernelli Séraphin, Maquis à Brancion, 1er livre, (recueil de témoignages), ANACR Saône-et-Loire, 1976 (réédition 1993, imp. Schenck, Tournus). 202 pages. Maquis à Brancion. Second livre, ANACR Saône-et-Loire, imp. Schenck, Tournus, 1989. 288 pages. Et on continue…Maquis à Brancion. Troisième livre, imp. Schenck, Tournus, 2004, 158 pages. Le Dimanche 2 juillet 1944, à Martailly, à Royer, à Collonge, à La Chapelle, imp Schenck, Tournus, 2013. Plaquette, 44 pages.
- Canaud Jacques, Bazin Jean-François, La Bourgogne dans la Seconde Guerre mondiale, éd. Ouest-France, 1986.
- Rochat Claude, Les compagnons de l’espoir, ANACR Saône-et-Loire, Mâcon, 1987. 318 pages.
- Commission départementale de l’Information historique pour la Paix (direction Alfredo Cabrero), Sur les chemins de l’histoire et du souvenir. Département de Saône-et-Loire, imp. Perroux & fils, Mâcon, 1988. 304 pages.
- Jeannet André, Velu Marie-Hélène, L’occupation et la résistance en Saône-et-Loire, imp. Gatheron, Pont-de-Veyle, 1991. 520 pages. Notes biographiques sur Henri et Suzanne Vitrier en pages 508-510.
- Boursier Jean-Yves, Chroniques du maquis (1943-1944). FTP du camp Jean Pierson et d’ailleurs, coll « Mémoires du XXe siècle », L’Harmattan, 2000. 350 pages. (ISBN 2-7384-8928-1).
- Veyret Patrick, Histoire de la Résistance en Saône-et-Loire, La Taillanderie, Châtillon-sur-Chalaronne 01, 2001. 196 pages.
- Chantin Robert, Des temps difficiles pour des résistants de Bourgogne. Échec politique et procès 1944-1953, coll. « Logiques historiques », L’Harmattan, 2002. 416 pages.
- Jeannet André, Mémorial de la Résistance en Saône-et-Loire. Biographies des résistants, JPM éditions, Mâcon, 2005. 444 pages. Notices « Vitrier » en pages 390-391

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