DENISE RENÉ (née Denise BLEIBTREU)

Par Jean-Paul Salles

Née le 26 juin 1913 à Paris (XIIIe arr.), morte le 9 juillet 2012 à Paris (XIVe arr.) à 99 ans, galeriste à Paris pendant des décennies, au fort rayonnement international, une des signataires du Manifeste des 121.

Denise René (accroupie) en 1957, avec Marino di Teana, Yaacov Agam et Richard Mortensen (Wikipédia, Bibliothèque Kandinsky)

Fille d’un soyeux lyonnais passionné d’art, elle avait cinq frères et sœurs, dont Marcel Bleibtreu (1918-2001), médecin et militant trotskyste dès avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale puis dirigeant du PCI, l’organisation trotskyste unifiée après 1946. Avec Marcel, elle fréquenta les Auberges de jeunesse et y connut le modèle Dina Aibinder qui fut célèbre comme galeriste sous le nom de Dina Vierny, la petite amie de son frère, et Amélie Zyromski qui devint l’épouse de son frère.

En 1939, elle s’installa avec sa sœur Renée-Lucienne dans un atelier de mode au 124 rue La Boétie (Paris, VIIIe arr.). À partir de 1943, date à laquelle elle fit sa connaissance au Café de Flore à Paris, elle fréquenta Victor Vasarely. Ce fut le premier artiste dont elle exposa les travaux rue La Boétie en novembre 1944. La galerie Denise René était née, remplaçant l’atelier de mode. En juin 1945, ce fut une rétrospective Max Ernst (sa connaissance par les milieux oppositionnels de Maurice Nadeau proche de Ernest y contribua semble-t-il), puis se succédèrent Toyen, Jean Atlan, Picabia. À partir de l’exposition Auguste Herbin, en novembre 1946, l’orientation de la galerie fut trouvée, ce fut l’abstraction géométrique ou constructiviste qu’elle privilégia, incarnée notamment par Piet Mondrian, auquel Denise René consacra sa première rétrospective en France en 1957. Elle exposa également Malevitch, Lissitzky, les pères fondateurs de ce courant artistique, puis Antoine Pevsner, Fernand Léger, Frantisek Kupka, Hans Arp, Tinguely, Sophie Taueber, les danois Robert Jacobsen et Richard Mortensen, et de nouveau Vasarely ou Pontus Hulten, les créateurs de l’art cinétique. Elle présenta aussi les œuvres des avant-gardes d’Europe de l’Est et de jeunes artistes latino-amércains (Julio Le Parc ou Jesus Rafael Soto), dont les œuvres étaient interdites d’exposition dans leurs pays.

En 1951, elle choisit d’élargir son champ d’action avec l’exposition « Klar Form » qu’elle fit circuler dans toute la Scandinavie, ses peintres abstraits y rencontrant un grand succès. En 1955 sa galerie marqua l’histoire de l’art moderne avec l’exposition « Le Mouvement », acte officiel de naissance du « cinétisme », « cette nouvelle beauté mouvante et émouvante ». En juin 1966, elle ouvrit une deuxième galerie à Paris, Denise-René-Rive-gauche, au 196 Boulevard Saint-Germain (VIe arr.) afin d’éditer des œuvres originales multiples, dans un souci de démocratisation culturelle. Et simultanément, elle continua à développer ses activités à l’international. Avec Hans Mayer, en 1967 elle ouvrit une galerie à Düsseldorf (République fédérale allemande). Dans Le Journal des Arts (2010), ce dernier qui l’admirait, écrivait : « Alors qu’elle a été une résistante, elle exposa en 1945 un allemand, Max Ernst. C’est un bon indicateur de son esprit, elle aimait ce genre de provocation ». En 1971 elle inaugura une galerie à New York, avec l’exposition des œuvres de Yaacov Agam, artiste israélien, figure de l’art cinétique. Elle dut fermer cette galerie en 1981 pour des raisons financières, de même qu’elle avait dû fermer sa galerie de la rue La Boétie en 1977. Elle fut également très présente dans les foires d’art internationales, la FIAC à Paris, Art Basel en Suisse, les Biennales de Venise et de Rio de Janeiro ou la Documenta de Cassel (RFA). Et en 1991, infatigable bien que déjà âgée, elle ouvrit une nouvelle galerie à Paris, dans le quartier du Marais, 22 rue Charlot (IIIe arr.). Le MNAM-Centre Georges Pompidou rendit hommage à cette pionnière et militante de l’art à travers une exposition exceptionnelle « Denise René l’intrépide. Une galerie dans l’aventure de l’art abstrait, 1944-1978 » du 4 avril au 4 juin 2001. Elle fut faite Officier de la Légion d’honneur le 22 avril 2011.

Cette passion pour l’art ne maintint pas Denise René à l’écart des grands problèmes politiques et sociaux de son temps. Ainsi, au moment de la Guerre d’Algérie, en octobre 1960, elle fut parmi les signataires du « Manifeste des 121 » sur de droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, un texte qui se terminait par ces mots : « Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien ».

Le galeriste parisien Pierre Nahon, qui l’accompagna aux États-Unis, se montrait étonné de sa notoriété : « Nous étions reçus comme les ambassadeurs d’un très grand pays » (Nahon, 2014, p.537). Les Américains la surnommaient « l’indomptable Denise ». Quant à Bruno Delavallade, également galeriste parisien, ayant croisé en 2004 Denise René à Art Basel, la grande foire d’art contemporain de Bâle (Suisse), il se dit « fasciné par Denise René, toujours là, perchée sur ses talons, à 91 ans, le dernier témoin d’une époque où les galeries avaient une ligne bien spécifique » (Anne Martin-Fugier, 2010, p.215-215).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article249343, notice DENISE RENÉ (née Denise BLEIBTREU) par Jean-Paul Salles, version mise en ligne le 5 juillet 2022, dernière modification le 4 juillet 2022.

Par Jean-Paul Salles

Denise René (accroupie) en 1957, avec Marino di Teana, Yaacov Agam et Richard Mortensen (Wikipédia, Bibliothèque Kandinsky)
Beaubourg (2001) lors de l’exposition d’hommage qui lui a été consacrée.

SOURCES : -D.Po., « Disparition. Denise René, abstraction faite », Libération, 9 juillet 2012. —Anne Martin-Fugier, Galeristes, Actes-Sud, 20100. — Pierre Nahon, [Dictionnaire amoureux de l’Art moderne et contemporain, Plon, 2014. — Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, Gallimard, Folio-Histoire, 1990, p.342 et sq. le Manifeste des 121 et la liste des signataires.

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