O’CONNELL Harry [O’Connell Harry]

Par Justine Cousin

Dates de naissance et de décès inconnues ; marin communiste originaire de Guyane Britannique ; leader syndicaliste des gens de mer de couleur

Harry O’Connell quitta l’île de Guyane britannique dont il était originaire vers 1910. Des émeutes avaient frappé Georgetown la capitale de son île cinq ans auparavant, menées par des marins s’opposant à l’autorité coloniale britannique. Harry O’Connell était alors charpentier naval et souhaitait rejoindre la Grande-Bretagne, – Cardiff tout particulièrement.

Harry O’Connell devint vite une figure clé dans les mobilisations de la communauté multi-ethnique des marins de Cardiff contre le racisme de la National Union of Seamen – ou NUS, syndicat majoritaire, défendant les marins britanniques – et des autorités métropolitaines.

Suite aux émeutes raciales qui s’étaient produites à Cardiff en 1919 Harry O’Connell crée la Cardiff Coloured Association en 1920. Les civils britanniques de retour du front ont en effet déclenché des affrontements ciblant les marins non blancs qui avaient pris leurs emplois, mais aussi parfois leurs femmes et leurs habitations pendant leur mobilisation hors de Grande-Bretagne. À Cardiff les marins originaires du Yémen étaient venus en nombre pendant la guerre ; les tensions raciales amenèrent à la déportation de plus de 500 d’entre eux en 1921 et à l’interdiction de leur recrutement sur des navires britanniques. Certains de ces hommes parvinrent tout de même à rester car ils s’étaient mariés pendant la guerre, ce qui leur avait ouvert de nouveaux droits en tant que résident britannique.
Un regroupement des personnes originaires d’Aden fut alors formé à Cardiff en 1924 pour les marins yéménites ; il fusionna ensuite avec la West Indian Association pour être intégré au Seamen’s Minority Movement – SMM – au début des années 1930. Le SMM fut créée en 1929 par le marin Chris Jones* – anciennement Braithwaite – originaire des Barbades et Jim Headley venant de Trinidad et a pour but de s’adresser aux marins non qualifiés.

Harry O’Connell avait des sympathies communistes – en grande partie liées à des engagements syndicaux –, tout comme d’autres marins antillais. Harry O’Connell put ainsi s’appuyer sur les réseaux affiliés au Comintern de l’International of Seamen and Harbour Workers (ISH), de l’International Trade Union Committee of Negro Workers (ITUCNW) et de la Negro Welfare Association (NWA). Harry O’Connell se retrouvait ainsi lié au SMM, puis avec l’ITUCNW et la NWA. En 1934 Harry O’Connell était porte-parole d’un mouvement de révolte des marins noirs pour des améliorations salariales et la réduction de la charge de travail de chaque homme.

Harry O’Connell était une figure défendant le multiculturalisme de Cardiff, à rebours des accusations de nombreux rapports et articles sensationnalistes de l’époque. Il répondait ainsi en 1935 dans le Western Mail – principal journal gallois – à des accusations alors répandues en affirmant que les femmes blanches fréquentant les hommes de couleur ne sont pas des femmes de petite vertu et que les valeurs morales des hommes de couleur sont au même niveau que celles des blancs.

En 1935 le Tramp Shipping Subsidy Act décida dans le contexte de la dépression des années 1930 de n’accorder des subventions qu’aux navires opérés par des équipages britanniques. Pour de nombreux marins non blancs la seule solution consistait alors à chercher une hypothétique naturalisation. La Colonial Seamen’s Association a été créée par Chris Braithwaite* à Londres en réaction à cette législation. Harry O’Connell décide de s’en inspirer et de créer le Cardiff Coloured Seamen’s Union en 1936 à Cardiff. Alors que jusqu’ici chaque communauté extra-européenne avait créé et développé sa propre organisation défendant ses intérêts spécifiques – quitte à ce que ces derniers soient conflictuels avec ceux d’autres origines – ce syndicat a pour originalité d’être multiracial. Le Cardiff Coloured Seamen’s Union associait les marins extra-européens originaires d’Afrique, des Antilles, d’Arabie et de Malaisie dans le but de combattre les préoccupations contraintes de la discrimination raciale en place et tout particulièrement des menaces liées au Tramp Shipping Subsidy Act. Ce syndicat constituait ainsi un front plus efficace et uni contre les accusations des rapports de police, des articles de presse à sensation et des enquêtes sociales. Il témoigne de l’affirmation d’une communauté noire et de son autonomie pour s’organiser face aux limites apparentes de l’ISH et du SMM. En effet le SMM consacrait peu d’énergie à défendre les marins coloniaux et en résultat très peu d’entre eux l’avaient rejoint avec 23 marins coloniaux pour quelques 1000 membres du SMM en 1932. La Cardiff Coloured Seamen’s Union était davantage liée à la NWA ; Harry O’Connell était chargé de la représenter à Londres pour obtenir l’aide d’organisations à l’écoute des travailleurs indigènes, dont la League of Coloured Peoples. Cette dernière avait été créée en 1931 sur le modèle de l’américaine National Association for the Advancement of Colored People, émergeant progressivement d’une mobilisation cependant plus restreinte en nombre et en influence de l’intelligentsia noire présente en Grande-Bretagne.
Harry O’Connell joua ainsi un rôle moteur dans l’organisation de la communauté multiethnique des marins de Cardiff dans l’entre-deux-guerres, notamment dans la lutte contre les politiques discriminatoires mises en place par la NUS – en 1936 il y avait 690 marins sans emplois à Cardiff, dont 599 qui étaient des hommes de couleur. Il eut une influence certaine localement, puisqu’il parvint à stopper le chargement hautement stratégique en charbon de navires italiens à Cardiff, dans le cadre du boycott maritime international de l’Italie qu’il organisa suite à son invasion de l’Éthiopie.
Suite à son engagement communiste avéré Harry O’Connell fut blacklisté par les autorités locales pendant la Seconde Guerre mondiale, son laissez-passer nécessaire pour accéder aux docks était retenu par la police et le ministre de l’intérieur Herbert Morrison déclara aux Communes en 1941 que « ce ne serait pas dans l’intérêt national d’autoriser cet homme à embarquer à bord d’un navire britannique ou étranger. » Cela aurait ainsi forcé la retraite d’Harry O’Connell.
Par la suite Harry O’Connell s’engagea de manière croissante dans la gestion des affaires locales, alors que l’enjeu de la mixité et du métissage se politisait. Il représenta le parti communiste aux élections municipales de son quartier de Cardiff en 1950, mangeant alors régulièrement sous un portrait de Staline avec sa femme galloise.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article249504, notice O'CONNELL Harry [O'Connell Harry] par Justine Cousin, version mise en ligne le 12 juillet 2022, dernière modification le 12 juillet 2022.

Par Justine Cousin

SOURCES et BIBLIOGRAPHIE :
EVANS, Neil, “Regulating the Reserve Army : Arabs, Blacks and the Local State in Cardiff,
1919–45”, Immigrants & Minorities 4, 2, 1985, pp.68-115. — FEATHERSTONE, David, Caribbean In/Securities : Creativity and Negotiation in the Caribbean (CARISCC) Working Papers Series, 2016. — FEATHERSTONE, David, Solidarity : Hidden Histories and Geographies of Internationalism, Londres, Zed Books, 2012. —International Communism and Transnational Solidarity : Radical Networks, Mass Movements and Global Politics, 1919–1939, Studies in Global Social History, Leiden, Brill, 2016. — STEVENSON, Graham, Encyclopedia of Communist Biographies, O’Connell, “Harry O’Connell”, [https://grahamstevenson.me.uk/2019/12/21/harry-e-oconnell/ ] — WHITE, Jake White, Pan-Africanism & Seafarers between Freetown, Hamburg and Britain, MA Colonial & Global History, Université de Leiden, 2019— [https://studenttheses.universiteitleiden.nl/access/item%3A2659652/view ]

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