Par Justine Cousin
Né en 1885 aux Barbades, mort le 9 septembre 1944 à Londres ; marin socialiste ; leader syndicaliste des gens de mer de couleur.
Né dans la colonie britannique des Barbades Chris Braithwaite savait lire et écrire, tout comme ses deux parents et son grand-père, un ancien esclave, qui avait appris à lire dans la Bible. Après avoir fréquenté l’école Chris Braithwaite partit du domicile familial à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans pour fuir la crise de l’industrie sucrière qui frappa son île natale. Il trouva alors un emploi dans la marine marchande britannique et poursuivit son éducation par ses lectures et ses voyages en autodidacte.
Chris Braithwaite s’installa finalement au bout de quelques années à Chicago, où il fonda un foyer avec une femme afro-américaine, dont il eut six garçons. Pendant la Première Guerre mondiale il rejoignit de nouveau la marine marchande en tant que responsable de la maintenance des treuils du bord – servant notamment à charger des marchandises sur le navire. Il retourna ensuite en Amérique à la fin de la guerre et s’installa à New York où il travailla alors dans un bar.
Braithwaite traversa l’Atlantique au début des années 1920, il était alors employé à Londres par la fédération du commerce maritime en tant qu’agent chargé de recruter pour son employeur des marins coloniaux, des machinistes et des chauffeurs – ces derniers alimentant en charbon les fourneaux de la salle des machines. Il travailla alors au « Pool », un endroit de la Tamise où de nombreux navires venaient s’amarrer et devaient ainsi fournir ces hommes, le plus souvent au dernier moment. Ce poste à responsabilité était habituellement réservé aux blancs. Chris Braithwaite rejoignit à cette époque le National Union of Seamen – ou NUS –, syndicat majoritaire pour les marins britanniques, dont les dirigeants cherchaient alors à exclure les marins coloniaux de l’emploi à bord. Les armateurs soutenaient également ce souhait ainsi que le NUS avec ce slogan « Des hommes britanniques pour des navires britanniques ». Chris Braithwaite combattit ce racisme, à la fois dans le NUS et en-dehors.
Chris Braithwaite fonda dans le même temps un foyer avec Edna May Slack (née en 1913), une jeune femme blanche originaire de la ville anglaise de Derby. Ils eurent ensemble six enfants, dont le premier en 1929, et se marièrent en 1936. Ils s’installèrent au 116 Turners Road, dans le quartier de Stepney, à proximité de West India Docks. Cette union permit dès lors à Chris Braithwaite d’améliorer son sort, puisqu’il pouvait désormais demander un salaire plus élevé et de meilleures conditions de travail, à l’exemple des marins britanniques.
Chris Braithwaite se mobilisa durant la Grande Dépression contre les coupes dans les salaires des marins mises en place par les armateurs. Il rejoignit alors le parti communiste de Grande-Bretagne en 1931 – ou CPGB. Sur la base de ses idées est créé le Seamen’s Minority Movement – ou SMM –, une organisation regroupant les marins de base. Chris Braithwaite se renomma alors « Chris Jones » pour éviter toute victimisation et devint un leader des marins et dockers noirs dans l’entre-deux-guerres en Grande-Bretagne : avec un autre marin africain, Harry O’Connell, il mena alors un comité de marins de couleur militants depuis avril 1930 au sein du SMM. Le SMM se mobilisa notamment contre les barrières raciales érigées par le NUS, les armateurs et l’Etat britannique ; ce mouvement eut une véritable politique multi-raciale, venant en aide aux marins de couleur. Cependant seule une minorité de marins coloniaux rejoignit finalement le SMM. En 1931 Chris Braithwaite fonda le mouvement anti-capitaliste et anti-impérialiste Negro Welfare Association avec son compagnon noir et communiste Arnold Ward, pour la défense des Noirs. Chris Braithwaite était alors une figure respectée et reconnue au sein du parti communiste, mais les subsides de Moscou cessèrent alors que Staline se rapprochait de la France et de la Grande-Bretagne, passant sous silence la lutte anti-coloniale des communistes. En réaction il décida alors de quitter le CPGB en 1933.
Chris Braithwaite fonde le Colonial Seamen’s Association – ou CSA – en 1935, suite à son rassemblement avec vingt autres marins de couleurs contre le Tramp Shipping Subsidy Act en 1935 sur East India Dock Road à Londres. Cette dernière mesure visant à réserver les subsides gouvernementaux britanniques aux cargos avec des équipages britanniques menaçait directement le recrutement des marins coloniaux. La CSA regroupa ainsi une diversité d’origines au sein des marins de couleur, ce qui le rendit plus efficace que les mouvements précédents où ces marins étaient divisés selon leurs origines. La CSA fit alors campagne contre le Tramp Shipping Subsidy Act de 1935 mais souhaitait également de vrais droits démocratiques pour les marins coloniaux, avec la liberté syndicale, d’expression et de rassemblement. L’organisation obtint un succès réel sur cette législation, puisqu’elle n’était que très partiellement appliquée. Chris Braithwaite joua pleinement son rôle de leader, de porte-parole contre les injustices touchant les marins de couleur.
Chris Braithwaite fonda ainsi un « réseau maritime anti-colonial de main-d’œuvre subalterne dans la métropole de Londres et en-dehors » comme le souligne Christian Høgsbjerg. Il joua en effet un rôle dans la création et le développement d’organisations pan-africaines comme le International African Friends of Ethiopia et le International African Service Bureau – ou IASB. Ce bureau incluait alors des socialistes noirs de Trinidad comme George Padmore et Cyril Lionel Robert James, mais aussi des nationalistes kenyans avec Jomo Kenyatta et de la Sierra Leone avec Isaac Theophilus Akunna Wallace-Johnson. Il participa ainsi à la formation de la Sierra Leonean Union en 1939, regroupant plus de 1 500 membres, originaires de différentes tribus, et souhaita que ce modèle se diffuse aux régions voisines. En tant que secrétaire coordinateur de l’IASB, il suscita une mobilisation autour des révoltes ouvrières qui secouaient alors la Caraïbe britannique à la fin des années 1930. Braitwhaite rédigea alors un éditorial mensuel « Seamen’s notes » pour le journal de l’IASB, International African Opinion. Il participa aussi à la distribution de cette publication appelant à la révolte en Afrique et dans la Caraïbe coloniale. Il travailla aussi en relation étroite avec l’Independent Labour Party et mobilisa contre l’impérialisme britannique par des discours à des meetings de syndicalistes et de socialistes en Grande-Bretagne.
Pendant la Grande Dépression Chris Braithwaite organisa des collectes dans son quartier londonien pour nourrir les enfants, puis poursuivit pendant la Seconde Guerre mondiale son activité politique en faveur de l’émancipation africaine tout en continuant son emploi d’agent de recrutement pour les compagnies maritimes.
Chris Braithwaite mourut soudainement d’une maladie cardiaque à son domicile de Stepney le 9 septembre 1944. Lors de son enterrement au cimetière proche de Tower Hamlets des marins noirs portaient son cercueil. George Padmore salua sa mémoire comme « une grande perte pour la cause des peuples colonisés, pour l’international socialisme […] il n’a jamais cessé de défendre la cause des opprimés. Beaucoup étaient des combats de la classe ouvrière […] sa mémoire restera pour longtemps comme un symbole des espoirs et des aspirations de sa race. »
Par Justine Cousin
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : HØGSBERG, Christian, “Braithwaite, Christopher Messiah [Chris]”, Oxford Dictionary of National Biography, 10 octobre 2019. [https://doi.org/10.1093/odnb/9780198614128.013.102938]. — HØGSBERG, Christian, “Mariner, Renegade and Castaway : Chris Braithwaite, Seamen’s Organiser and Pan-Africanist”, Race and Class, vol. 53, no. 2, octobre–décembre 2011, pp. 36-57. — TABILI, Laura,“We Ask for British Justice :” Workers and Racial Difference in Late Imperial Britain, Ithaca, Cornell University Press, 1994.