HAÏT-HIN Judith, Brana, épouse Winter. Catherine Varlin dans la résistance

Par Claude Collin

Née le 15 février 1925 à Paris (XIXe arr.), morte en décembre 2004  ; résistante  ; journaliste à l’Humanité  ; communiste jusqu’à la fin des années 1950 ; écrivaine, scénariste et productrice.

Ses parents, nés à la fin du 19e siècle, étaient issus de familles juives de la petite bourgeoisie de Bessarabie, alors partie intégrante de l’Empire russe. Ils avaient quitté en 1919 ou 1920 leur région d’origine, devenue roumaine après la Première Guerre mondiale, pour venir s’installer, après être passés par Berlin, à Paris en 1921 ou 1922. Les diplômes du père n’étant pas reconnus en France, il travailla comme assistant de divers chirurgiens-dentistes jusqu’à sa naturalisation en 1948, date à laquelle il repassera de façon accélérée les examens de la faculté de Paris et pourra alors exercer de plein droit.

Judith HaÏt-Hin fréquenta l’école primaire, puis le lycée à Paris, où elle obtint de très bons résultats scolaires. En 1939-1940, elle était en classe de troisième et militait chez les Éclaireuses israélites. Lors de l’attaque allemande de mai-juin 1940, elle quitta la capitale avec sa famille et se retrouva à Toulouse. Le zélé préfet Léopold Chenaux de Leyritz, se retranchant derrière la loi du 4 octobre 1940, envoya la famille Haït-Hin à Luchon, à l’époque une minuscule bourgade pyrénéenne. Soucieux de la poursuite de la scolarité de ses filles – Judith avait une sœur, Gisèle –, le père fit des pieds et des mains pour quitter cette ville et parvint à s’établir avec les siens, au début de l’hiver 1940-1941, à Montpellier, ville, à l’époque, relativement accueillante aux réfugiés de toutes origines. Judith scolarisée au lycée de la ville, passa la deuxième partie du baccalauréat en juin 1942.

Judith HaÏt-Hin renoua avec la Fédération française des éclaireuses (FFE), mouvement de scoutisme qui a créé, en son sein, des sections « neutres », « unionistes » (c’est-à-dire protestantes), mais aussi « juives ». C’est là qu’elle rencontra une jeune protestante avec laquelle elle se lia d’amitié, Marcelle Valette, dont la famille participait à la solidarité avec les divers réfugiés, espagnols en particulier, qui s’étaient regroupés dans cette ville. Tout en continuant à militer à la section juive de la FFE, elle s’intégra progressivement à un petit groupe de jeunes communistes étrangers, pour la plupart d’origine juive. Elle fut progressivement gagnée, notamment sous l’influence de Wiktor Bardach, à cette idéologie et se convainquit de la nécessité de se lancer dans le combat contre Vichy et bien évidemment contre l’occupation allemande et de passer à l’action. On était alors à l’été 1942. Dès lors, avec ce petit groupe, plus ou moins lié à la MOI, elle participa à des réunions de formation, d’éducation, mais aussi à diverses petites actions (collages de papillons, lancers de pavés dans les vitrines d’organisations collaborationnistes…).

Lorsque, le 11 novembre 1942, l’armée allemande franchit la ligne de démarcation qui séparait la France occupée de la France dite « libre », c’en fut fini de la relative protection qu’offrait jusque là la zone sud et particulièrement Montpellier. Se sentant directement menacée par l’occupant nazi, une partie des réfugiés, notamment ceux d’origine juive, se réfugièrent dans le sud-est du territoire national qui, avec la Corse, avait été confié par les autorités allemandes à leur allié italien, considéré, à juste titre, comme nettement moins dangereux. C’est ainsi que Judith HaÏt-Hin et sa famille – comme une partie importante de ceux avec qui elle avait commencé à militer – se retrouvèrent à Grenoble.

Les liens avec ses amis venus comme elle de Montpellier se renouèrent très vite et le travail politique de recrutement, d’organisation, de formation, d’agitation reprit de plus belle. Inscrite à l’université en première année de biologie, elle avait accès à une ronéo sur laquelle elle tirait notamment Le traminot, journal du syndicat clandestin des tramways de la ville. Avec l’aide de Wiktor Bardach, qui, lui, s’était installé à Toulouse où il allait remplacer Mendel Langer à la tête de la 35e Brigade FTP-MOI, mais venait fréquemment à Grenoble, rendre visite à Judith qui était devenue sa petite amie, un groupe désireux de passer à la lutte armée se constitua à Grenoble. Judith fut l’une des premières à rejoignit cet embryon de détachement. Elle participa à la récupération d’armes, notamment auprès des soldats italiens qui, fort mal nourris, en vinrent parfois à échanger du matériel contre des tickets d’alimentation. La première action du groupe qui devait devenir l’unité FTP-MOI « Liberté » fut un sabotage ferroviaire réussi réalisé le 1er mai 1943 sur la voie ferrée Grenoble-Chambéry. Une seconde action fut planifiée contre la biscuiterie Brun dont la propriétaire était madame Darré-Touche, amie proche du maréchal Pétain, qui collaborait avec l’ennemi en fournissant les Allemands en biscuits et autres gâteaux secs. L’opération, à la préparation de laquelle Judith participa mais où elle n’était pas présente, fut certes réussie, mais coûta la vie au responsable du groupe Leoch Gaist, venu lui aussi de Montpellier dans l’hiver 1942-1943.

Consigne fut alors donnée aux principaux membres de l’unité de quitter la ville. C’est ainsi que Judith, qui avait pris le pseudo de « Catherine Varlin », se retrouva à Toulouse, dans les rangs de la « 35e Brigade ». Elle allait gravir progressivement les échelons de l’organisation à la tête de laquelle se trouvait Wiktor Bardach, devenu « commandant Jean ». Elle fut d’abord utilisée pour différentes missions. C’est elle qui fut en contact avec les avocats chargés de la défense des résistants de la « 35e Brigade » arrêtés et sur le point d’être jugés. Elle participa aussi au service de renseignement dont elle devint la responsable. C’est grâce à son travail de repérage que fut rendue possible l’exécution par un groupe de FTP-MOI du procureur Lespinasse qui, non seulement s’était acharné à obtenir la peine de mort pour Mendel Langer, mais avait fait des démarches auprès de Vichy pour que la grâce lui soit refusée.

À la fin de l’année 1943, « Catherine » fut promue Commissaire aux effectifs de région (CER) pour le département de la Haute-Garonne, chargée des affaires politiques, de la propagande, du moral, de la formation et de l’information des combattants, ainsi que des relations avec la population, fonctions où elle réussit particulièrement bien. En mars 1944, Wiktor Bardach, devenu « Jan Gerhard », fut déplacé de Toulouse à Lille, peu de temps après un attentat raté contre le cinéma Les Variétés de Toulouse qui s’apprêtait à projeter le film antisémite Le juif Süss. « Catherine » qui vivait avec lui « au mépris de toutes les règles de sécurité » quitta aussi Toulouse.

Jan Gerhard rejoignit Lille. « Catherine » resta à Paris et servit pendant quelque temps de courrier entre Ljubomir Ilic, devenu responsable national des FTP-MOI, et « Jan Gerhard ». En avril ou mai 1944, Catherine fut envoyée dans la Meuse où les FTPF s’étaient installés très tardivement, au début de l’année 1944. Catherine fut alors chargée des FTP-MOI du département. Elle a été désignée pour cette « région » dans la mesure où elle était russophone – dans sa famille, on ne parlait que russe – et que les forêts meusiennes accueillaient un nombre important de prisonniers soviétiques évadés des mines et des industries du Bassin lorrain.

En tant que CER des FTP-MOI, elle fut très rapidement intégrée à l’état-major départemental des FTP aux côtés de Charles Duquesnoy (« commandant Frédé »), Commissaire aux opérations, et de Marcel Petit (« capitaine Marcel »), Commissaire technique. Là encore, Catherine allait se distinguer par son intrépidité et son esprit d’initiative. Elle fut notamment la principale organisatrice, début août 1944, de l’évasion, qu’elle pilota personnellement, d’une centaine de Soviétiques, dont trente-sept femmes, du camp d’Errouville (Meurthe-et-Moselle) où ils étaient cantonnés. Elle reçut en février des mains du colonel Grandval, alors commandant de la 20e région militaire, la Croix-de-guerre avec étoile de bronze, accompagnée de la citation suivante :

« A pendant plusieurs mois conduit son détachement à l’action avec un courage exemplaire et une abnégation totale. Grâce à son ascendant sur ses hommes et à son énergie, a su maintenir toujours très haut l’esprit de lutte de ses détachements de maquisards qui ont ainsi réalisé des faits d’armes vraiment remarquables. »

Le 27 août 1944, « Frédé », à quelques jours de la Libération – Verdun libérée le 31 août –, tomba avec un de ses subordonnés, le « lieutenant Jean » (André Jannot), dans un guet-apens tendu par des Allemands et de faux maquisards  ; il fut tué. « Catherine », bien que très affectée – elle s’était liée de façon très étroite à Frédé – prendra alors, avec Marcel Petit, la direction des opérations qui mèneront, avec l’arrivée des Alliés, à la libération du département.

Dans les jours qui suivirent, « Catherine » retrouva Wiktor Bardach, envoyé dans le département pour prendre la tête du « Bataillon de la Meuse » constitué des FTP du département désireux de poursuivre le combat contre l’occupant. Cette unité rejoignit la Colonne Fabien, puis fut intégrée à la 1ère Armée du général de Lattre de Tassigny. « Catherine » qui avait épousé Wiktor Bardach en novembre 1944 – mais leur union fut éphémère –suivit le « Bataillon de la Meuse » pendant quelque temps, mais le quitta au début de l’année 1945.

Elle regagna alors Paris où elle fut appelée par le Parti communiste à des responsabilités dans la mise en place de l’Union de la jeunesse républicaine de France (UJRF), tentative d’élargir la base des Jeunesses communistes. Elle écrivit pour diverses publications liées au PCF. Elle collabora notamment, pendant toute une période, à Action, « l’hebdomadaire de l’indépendance française » pour lequel elle fut envoyée en 1948 en Palestine pour rendre compte de la création de l’état d’Israël. À la fin des années 1940, elle intégra la rédaction de L’Humanité et fit de nombreux reportages dans les pays de l’Est.

En 1951, divorcée de Wiktor Bardach, elle épousa Claude Winter qui, de toute évidence, sous l’influence de Catherine, s’engagera, lui aussi au Parti communiste. Il participera aux activités de la Section économique du parti et au comité de rédaction de la revue Économie et politique.

En 1953, Catherine, rédactrice à L’Humanité, était la principale animatrice du Comité français pour la défense des époux Rosenberg. Dans son journal, elle imposa pendant des semaines, voire des mois une pleine page à cette affaire. En 1955, elle fut envoyée, avec son ami Dominique Desanti, en URSS pour rendre compte du « dégel » qui suivait la mort de Staline. Elles en ramenènent un reportage fleuve qui fut publié sur sept numéros de L’Humanité.

Déjà très ébranlée par les révélations du 20e Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (1956), elle fut particulièrement atteinte par les événements de Budapest, l’invasion de la Hongrie par les troupes soviétiques et la répression qui s’en suivit (1958). Progressivement, elle s’éloigna du parti auquel elle avait adhéré dans la Résistance en 1943 et le quitta définitivement à la fin des années 1950.

Elle se consacra alors de façon intensive à l’écriture, produisant plusieurs romans qui ne furent pas publiés et des nouvelles qui trouvèrent place dans des revues littéraires. En 1965 sortit un recueil de poèmes, Palimpseste, illustré par Édouard Pignon, qui reçut un accueil assez enthousiaste d’une partie au moins de la presse littéraire, notamment des [Lettres françaises], dont Aragon était le directeur.

Contactée en 1957 par un producteur catalan issu de la Résistance, Joan-Baptista Bellsolell, elle participa à une série d’entretiens filmés avec de grands interprètes de musique classique qui fournirent la base d’un film documentaire, Archives 78-33. En 1959, elle créa avec sa sœur Gisèle sa propre maison de production la Société franco-africaine de cinéma (SOFRACIMA) et produisit onze films de 28 minutes en noir et blanc, réalisés par Robert Valley et Jean-Pierre Marchand, sur les indépendances africaines qui seront suivis de nombreux films documentaires ‘militants’ (Le joli mai, réalisé par Chris Marker en 1962 ; Loin du Vietnam, film manifeste contre la guerre du Vietnam réalisé en 1966 par un collectif de réalisateurs dont faisait partie Jean-Luc Godard), mais aussi de fictions ‘politiques’ (La guerre est fini, interprété par Yves Montand et réalisé par Alain Resnais en 1966 ; Dupont la joie, réalisé par Yves Boisset en 1974). Par la suite, Catherine Varlin produira, selon son fils Frédéric, notamment pour des raisons économiques, « de nombreux films aux notoriétés, aux succès et aux destins très variables ».

Si Catherine Varlin avait quitté le PCF à la fin des années 1950, elle ne se retira pas pour autant de la politique. Les textes qu’elle écrivait, les films qu’elle produisait poursuivaient bien évidemment le combat entrepris dans la Résistance. Elle milita activement pour l’indépendance algérienne. Elle suivit avec intérêt la participation de ses propres enfants aux événements de mai 1968. En 1971, elle fut co-signataire du « manifeste des 343 salopes » qui réclamaient le droit à l’avortement.
Même si avec l’âge et surtout en raison de ses activités professionnelles – de plus en plus envahissantes et de moins en moins engagées – elle réduisit considérablement ses activités militantes, elle resta fidèle jusqu’à la fin de ses jours aux idéaux de sa jeunesse. En 1995, elle fut décorée d’une Légion d’honneur particulièrement tardive. Elle mourut d’un cancer en décembre 2004.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article249586, notice HAÏT-HIN Judith, Brana, épouse Winter. Catherine Varlin dans la résistance par Claude Collin, version mise en ligne le 15 juillet 2022, dernière modification le 26 juillet 2022.

Par Claude Collin

SOURCES : Archives de la famille Winter. — Archives de la Commission centrale de contrôle politique du PCF. — Service historique de la Défense (Vincennes). — Claude Collin, L’été des partisans, PUG, 1992. — Claude Collin, « Catherine », résistante, militante, journaliste, Les Indes savantes, 2022.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable