CAPUTO Natha [Nathalie BERSTEIN, dite]

Par Gérard Leidet

Née en 1904 à Lyon (Rhône), morte en août 1967 à Paris ; jardinière d’enfants, critique de littérature enfantine à l’École et la nation, traductrice et auteure d’ouvrages de littérature enfance-jeunesse aux éditions La Farandole ; animatrice d’émissions à la radio ; militante du livre.

Le père de Natha Caputo, de nationalité russe, était correspondant de La Pravda à Lyon. Les procès de Moscou - série de procès organisés par Joseph Staline et ses partisans au sein de la direction du PCUS, entre août 1936 et mars 1938, qui préfiguraient les Grandes Purges des années 1937 et 1938 - le firent renoncer à ses convictions communistes. Il devint ensuite journaliste au Progrès de Lyon. Sa mère mourut jeune. Natha Caputo avait deux frères, dont l’un, Michel, fut libraire. Après avoir fréquenté l’école communale, elle poursuivit ses études au lycée sans prolonger son parcours scolaire à l’université. En 1930, passionnée par les théories éducatives de la pédagogue italienne Maria Montessori, elle devint jardinière d’enfant. Il ne semble pas qu’elle se soit intéressée aux autres travaux qui avaient cours au sein du mouvement d’éducation nouvelle auxquels participaient de nombreux éducateurs comme Célestin Freinet, Roger Cousinet, ou Adolphe Ferrière...

Natha Berstein épousa, avant la guerre, Gildo Caputo, réfugié italien, issu d’une famille antifasciste. Engagé volontaire en 1939 dans la légion garibaldienne du colonel Marabini, ce dernier intégra la Légion étrangère, obtint la nationalité française, et participa à la Résistance dans le réseau "Ronsard". Les activités de Résistance de son mari et la loi du 3 octobre 1940 « portant statut des Juifs » - l’acte s’inscrivait dans un ensemble de textes contre les Juifs et les étrangers - l’obligèrent à quitter son travail dès la fin de 1940. À la libération des problèmes de santé l’empêchèrent de reprendre son métier mais elle avait commencé, à la fin des années 1930, des traductions du russe et de l’anglais où elle montrait un remarquable sens de la concision, publiant en 1937 son premier livre (Bagages, éd. Lanterne magique). Elle écrivait déjà des contes pour enfants en s’inspirant des contes russes entendus pendant sa propre enfance.

À la libération le comité de défense de la presse et de la littérature pour la jeunesse (CDPLJ), puis le mouvement national de l’enfance s’efforcèrent d’améliorer l’information sur les publications destinées à l’enfance et la diffusion des livres de qualité. Dans ce contexte, Natha Caputo participa à plusieurs initiatives en compagnie de Raoul Dubois et Germaine Finifter : tables rondes - notamment celles qu’organisait l’Union des femmes françaises (UFF) auxquelles participaient notamment Marie-José Chombart de Lauwe et Raoul Dubois -, expositions-ventes de livres de jeunesse, ou expositions d’illustrations internationales... Dans la même période, elle devint critique de livres pour enfants au Progrès de Lyon.

En 1951, lors de la fondation de L’École et la nation, revue pédagogique du Parti communiste, elle rejoignit son comité de rédaction. La revue, destinée aux enseignants et personnels de l’éducation, traitait des questions relatives à l’enseignement, l’éducation et la formation. L’École et la nation, alors mensuelle, était dirigée par l’ancien instituteur Étienne Fajon, auquel succédèrent en 1956 Maurice Perche - dont le rôle dans le développement de la revue fut essentiel - puis Henri Bouisse. Natha Caputo rejoignait une rédaction dont les collaborateurs étaient principalement des instituteurs et des professeurs d’école normale, souvent membres du Comité central du PCF. Parmi les rédacteurs en chef successifs, elle put croiser ainsi la route de dirigeants de premier plan tels André Pierrard (en fonction en 1951, dès les débuts du projet éditorial), André Rustin (son successeur en 1960), Georges Fournial (à partir de décembre 1961). Dans ce contexte politique et culturel, Natha Caputo ne devint pourtant jamais adhérente du Parti communiste, mais elle demeura toujours fidèle à la revue, rédigeant des articles pour L’École et la nation jusqu’à sa mort. Elle collaborait par ailleurs au magazine Elle, et à Heures claires, le mensuel de l’Union des femmes françaises (L’UFF, créée en 1944, héritière du Comité mondial des femmes contre le fascisme et la guerre (CMF) et de l’Union des jeunes filles de France (UJFF), fondés en 1934 et 1936 par le PCF).

En 1954, Natha Caputo publia chez Nathan, un recueil très remarqué, Les Contes des 4 vents, qui fut très rapidement (et unanimement) salué par la critique comme une œuvre de référence : "Sa langue immédiate et musicale, sa connaissance approfondie et de la psychologie enfantine et des contes traditionnels se conjuguent à la chaleur de son propos" (Nic Diament, voir "sources") ; sans oublier plusieurs autres volumes de contes chez Nathan, illustrés notamment par Daniel Maja.
L’année suivante, en juillet 1955, elle publia le premier livre des Éditions La Farandole, en traduisant des contes de Maxime Gorki (en même temps que celui de Pierre Gamarra, La rose des karpathes illustré par Mireille Mialhe). La création cette année-là des Éditions La Farandole "correspondait à un besoin d’élargir le secteur éditorial du Parti communiste, pour à la fois, desservir la ceinture rouge des municipalités communistes, mais aussi toucher un public plus large" (Régine Lilensten), au-delà des premiers cercles politiques du PCF. D’où une structure, dès le départ, organiquement moins partisane que les autres, suivant ainsi une inflexion politique pour laquelle Jean Jérôme [FEINTUCH Michel dit] joua un rôle aussi discret que déterminant - ce dernier agit de même pour la création du Cercle d’art (l’édition de livres d’art s’imposait grâce à la proximité de nombreux artistes avec le PCF, et par les liens avec les musées d’art soviétiques). Ce qui convenait très bien au statut de Natha Caputo qui travaillait dans une maison d’édition communiste et pour une revue communiste (pédagogique) sans être membre du Parti. Cette absence d’adhésion est-elle à mettre en rapport avec la condamnation par son père du stalinisme ?

Dans le même temps, elle fit la connaissance d’Isabelle Jan, (future) auteure jeunesse et éditrice, fille de Jean Cassou et d’Ida Jankélévitch (sœur du philosophe Vladimir Jankélévitch). Avec elle, elle participa, à partir de 1955, à une émission radiophonique sur la littérature enfantine, "la ronde des livres". Les deux militantes du livre pour l’enfance et la jeunesse allaient co-produire l’émission tout au long des années 1960. Elle devint aussi par la suite, animatrice d’émissions littéraires à l’ORTF.

En 1956, elle publia, avec Pierre Belvès et Françoise Guérard, trois articles dans la revue Enfance : " Les images et l’illustration photographique" ; "Initiation à la lecture" ; et "Le point de vue des illustrateurs". Natha Caputo était, par ailleurs, membre des jurys des prix Jeunesse et Jean Macé. Et si entre 1953 et 1967, elle traduisit et publia de nombreux textes d’auteurs étrangers (Vitaly Bianki, Maxime Gorki, Vladimir G. Korolenlo, Alexis Tolstoï, Rachel Field ou Joël Chandler dont L’oncle Rémus raconte lui valut un diplôme Loisirs-jeunes en 1966), elle écrivit des "histoires" devenues des classiques de la littérature enfance-jeunesse, constamment réédités (Roule galette ou Les animaux qui cherchaient l’été).

Natha Caputo souhaita toujours élargir son travail (un peu solitaire) de traductrice, de critique littéraire et d’auteure, partager aussi son expérience, sa passion de la littérature jeunesse, et les connaissances qu’elle avait acquises dans ce domaine. Elle réfléchissait alors beaucoup aux rapports entre l’enfant et la lecture : "Il faut aider l’enfant à lire : celui qui semble savoir lire ne doit pas être abandonné trop tôt au tête à tête avec ses livres ; celui qui hésite un peu doit être secouru, encouragé..." A ce titre, elle fut une des fondatrices du CRILJ (centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse), association qui, dès sa création regroupa écrivains, illustrateurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignants, animateurs et parents soucieux d’une meilleure connaissance et d’une promotion élargie des livres destinés aux enfants et aux jeunes. Le premier CRILJ fut créé lors d’une réunion qui se tint chez elle en 1963.

Pour rendre hommage à son travail, L’École et la Nation décida dès 1966, de publier l’essentiel de ses chroniques sous forme d’un "guide de lectures" (le premier du genre) et avait chargé Bernard Epin d’assister Natha Caputo dans la préparation de l’ouvrage. Elle préparait l’édition de ce Guide de lectures, aboutissement de ses 12 ans de collaboration à L’École et la Nation quand une crise cardiaque la terrassa en pleine rue. Au début d’août 1967, une dernière lettre de Natha Caputo à Bernard Epin la montrait de plus en plus préoccupée par son état de santé et la hantise de ne pouvoir terminer son livre. L’ouvrage se distingua d’emblée des autres livres du même genre parus depuis la guerre par la pertinence de ses choix et par ses commentaires à la fois concis et précis. Ce Guide de lectures, publié à titre posthume au printemps 1968 par L’École et la Nation, fit l’objet d’une présentation publique à la bibliothèque de Saint-Ouen - décidée en juin 1967 avec Natha Caputo, elle fut conduite par celui-là même qui finalement devait lui succéder au sein de la revue, Bernard Epin. Ce dernier avait travaillé sur les fiches des deux derniers chapitres afin d’en assurer la mise en forme définitive, tout en essayant de maintenir l’unité de l’ouvrage "qu’elle n’eut pas le bonheur de voir achevé". Il rappela au public présent (enseignants, parents, militants) l’enthousiasme communicatif de Natha Caputo "capable de se manifester avec la même force pour le plus petit album ou le nouveau roman d’aventures, sa fraîcheur d’esprit toujours à l’affût des innovations, son intransigeance aussi à l’égard de ceux qui cultivent la vulgarité et qui abaissent l’enfant par des récits dégradants...".

La famille de Natha Caputo légua son fonds de livres et fiches de lectures, accumulés tout au long de ses années d’activité critique, à l’association "La Joie par les livres" créée en 1963 dans le but de créer une bibliothèque moderne pour enfants dans un quartier populaire. Elle laissait ainsi derrière elle une œuvre de pionnière en matière de critique littéraire pour la jeunesse. Nombreux furent (et demeurent) les chercheurs en littérature jeunesse, les professeurs d’École normale d’institutrices et d’instituteurs (et plus tard les formateurs dans les Instituts universitaires de formation des maîtres) à transmettre les contenus de son œuvre et à faire connaître le parcours singulier de cette militante du livre pour l’enfance. Ainsi, des extraits de ses contes figurent toujours dans les albums et les manuels scolaires pour l’école primaire (maternelle et élémentaire). Ils perpétuent une certaine tradition pédagogique, incarnée par celle qui témoignait, avec modestie et humanité, lors d’un retour réflexif sur son parcours d’auteure et de critique littéraire : " Il est désagréable de parler soi-même de son œuvre. J’ai tâché, guidée par mon expérience de jardinière, en m’appuyant sur des thèmes folkloriques, de recréer des récits qui tous aient une raison d’être, qui tous aient une valeur humaine accessible aux petits et leur laisse cette satisfaction profonde que provoque le conte complet. J’ai usé de répétitions, d’assonances, de dialogues, pour créer une langue directe..." (De quatre à quinze ans, guide de lectures - à propos des "Contes des 4 vents").

Au conseil municipal du 5 février 1987, en hommage à Louis Solbès - maire d’Aulnay-sous-Bois (Seine-et-Oise devenue Seine-Saint-Denis) de 1965 à 1971 - le maire, Jean-Claude Abrioux (RPR), proposa de donner le nom de Louis Solbès à la bibliothèque Natha Caputo. Le groupe communiste s’y opposa et proposa le collège du Parc, ce que la majorité estimait impossible, car il dépendait du conseil général. Finalement, le nom de Louis Solbès fut donné à une école maternelle construite en 1987, et la Micro Crèche Multi-Accueil d’ Aulnay-sous-Bois (93600) porte son nom.
Un prix « Enfance du monde » décerné chaque année à un album ou documentaire pour enfants porte aussi le nom de Natha Caputo.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article250237, notice CAPUTO Natha [Nathalie BERSTEIN, dite] par Gérard Leidet, version mise en ligne le 8 août 2022, dernière modification le 11 août 2022.

Par Gérard Leidet

Portrait de Natha Caputo par Roger Chapelain-Midy, 1927
Edition de 1954 des "Contes des quatre vents"
Edition de 1954 des "Contes des quatre vents"

Œuvre : Bagages, Lanterne magique, 1937. — Roule galette, illustrations Pierre Belvès, Flammarion, collection "Albums du Père Castor", 1950 ; rééd. 1977. — Jeannot le sot et le brochet, ill. Lucien Bailly, Fernand Nathan, 1953 ou 1954. — Contes des 4 vents : des 4 coins du monde de belles histoires pour les petits enfants, Nathan,1954. — Papa souris, Éditions La Farandole, coll. "Mille images", 1958. — Les animaux qui cherchaient l’été, ill. Gerda, Flammarion, coll. "Albums du père Castor", 1960. — Où habites-tu ? ill. Olga Siémaszko, La Farandole, coll. " Mille couleurs", 1964. — L’oncle Rémus raconte... Album illustré de Joël Chandler Harris, traduit de l’américain, ill. d’Ota Janecek, Éditions La Farandole, 1965. — Jeannou le bêtassou, La Farandole, coll. "Mille couleurs" ; adaptation du texte polonais de Véra Badalska, 1967. . — De quatre à quinze ans : guide de lectures, "L’École et la nation", 1968. — La BNF a recensé dans ses œuvres 55 ressources (dans data.bnf.fr : voir toutes ces ressources).

SOURCES : Notes manuscrites d’un cours sur la "littérature enfantine" de M. Fernand Jassaud*, professeur de lettres à L’École normale d’instituteurs d’Aix-en- Provence, novembre 1974. — Bernard Epin, "Traces de Natha Caputo", La revue des livres pour enfants n°224 — Témoignage de Bernard Epin (Septèmes-les-Vallons, juin 1997) . — Notes de Micheline Abours*. — Dictionnaire des écrivains pour la jeunesse : auteurs de langue française, Dictionnaire Seghers, 1969 — Marc Soriano, Guide de littérature pour la jeunesse : Courants, problèmes, choix d’auteurs, Flammarion 1975, [rééd. Delagrave, 2002] . — Nic Diament, Dictionnaire des écrivains français pour la jeunesse, L’École des Loisirs, 1993 — Marie-Cécile Bouju, Lire en communiste, Les maisons d’édition du Parti communiste français 1920-1968, Presses universitaires de Rennes, collection "Histoire", 2010 ; notamment le chapitre XIII " Le PCF et ses éditions : succès et crises de croissance" (Deux niches éditoriales : Cercle d’Art et La Farandole p. 305- 309) . — Julien Hage, "Une petite maison jeune, novatrice et dynamique", entretien avec Régine Lilensten, directrice de littérature de jeunesse des Éditions La Farandole (1971-1978) dans Jean-Numa Ducange, Julien Hage, Jean-Yves Mollier (dir.), Le Parti communiste français et le livre : écrire et diffuser le politique en France au XXe siècle (1920-1992), Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2014. — Notice "Solbes Louis, Lucien " par Nadia Ténine Michel, DBMOMS. — Site de Babelio, https://www.babelio.com › auteur › Natha-Caputo.

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