ALLART Hortense [ALLART Thérèse, Sigismonde, Sophie, Alexandrine, Hortense]

Par Évelyne Lejeune-Resnick

Née le 20 fructidor an X (7 septembre 1801) à Milan, morte le 28 février 1879 à Montlhéry (Seine-et-Oise) ; romancière et historienne ; démocrate et féministe.

Femme écrivain publiée à 20 ans, mère célibataire pour la première fois à 26 ans, mariée à 42 ans, séparée de son mari à 43 ans, Hortense Allart est une figure de femme libre, au même titre que ses contemporaines et amies, George Sand, Marie d’Agoult, Flora Tristan, bien qu’elle ne bénéficie pas de la même notoriété. Elle expliqua les raisons de sa liberté le 14 mars 1832 à celui qui allait devenir son ami et amant, Sainte-Beuve : "... il y a une grande différence entre l’homme et la femme sous tous les rapports, d’intelligence comme de destinée et de délicatesse, mais je ne crois pas ces différences poussées au point où elles sont admises, ainsi je crois qu’une femme peut avoir de l’esprit sans être ridicule et un amant sans rougir." (Nouvelles lettres à Sainte-Beuve, 1832-1864, p. 1). La liste de ses amants est d’ailleurs aussi longue que prestigieuse : Bulwer-Lytton, Chateaubriand, Mazzei, entre autres. Cependant ces amours nombreuses mais tendres ne l’empêchent pas de s’engager dans la lutte pour les femmes et la démocratie.
Par sa mère, Marie-Françoise Gay, Hortense Allart était la cousine de Delphine Gay, future Mme de Girardin. Orpheline de bonne heure (elle perdit son père le 15 juin 1817 et sa mère le 8 janvier 1821), elle séjourna au château de Val chez la comtesse Régnault de Saint-Jean-d’Angély et publia, en décembre, son premier ouvrage, La Conjuration d’Amboise. En 1822, elle devint la gouvernante de la fille du général Bertrand et resta très liée avec les milieux bonapartistes, en dépit de convictions démocrates. En 1824, elle s’installait à Paris et reçut Anthony Sampayo, Béranger, Thiers et Mignet. En 1825, elle publia Lettres sur les ouvrages de Madame de Staël.
Après avoir passé l’été chez la duchesse de Raguse, elle quitta, en novembre, la France pour l’Italie après un passage à Genève où elle fut accueillie par Sismondi et Bonstetten. Elle séjourna ensuite à Milan de fin novembre 1825 à février 1826, puis à Florence où elle donna naissance, le 16 juin 1826, à son premier fils, Marcus-Napoléon Allart dont le père présumé est Anthony Sampayo. À Florence, elle fréquenta Libri et Capponi, fit la connaissance de Stendhal et publia Gertrude chez Ciardetti. Du 27 janvier 1828 à début novembre, elle séjourna à Rome. De retour à Florence, elle y reste jusqu’en avril 1829, date à laquelle elle retourna à Rome et s’installa chez sa sœur. Elle y rencontra Chateaubriand, alors ambassadeur.
Pour suivre son amant, elle retourna à Paris en juillet 1829 où elle publia Jérôme ou le jeune prélat, récit (très) romancé de sa difficile liaison avec Sampayo. De janvier à avril 1830, elle collabora au National.. Pendant cette période, elle rentra en contact avec Enfantin, qui, dans une prédication du 22 juillet 1830 annonça à ses fidèles : « Vous avez une sœur de plus, madame Allard, qui est parfaite ». Puis elle partit en Angleterre. Elle y rencontra Henry Bulwer-Lytton, qui la rejoignit en France en août. En octobre, Hortense et Bulwer-Lytton partirent pour Londres. Leur liaison dura jusqu’en octobre 1835. Pendant ces cinq années, Hortense et Bulwer-Lytton font de nombreux allers et retours entre la France et l’Angleterre. Malgré ces perturbations, elle publia beaucoup et se lia avec de nombreux artistes français, comme George Sand. De plus, elle s’intéressa de près au mouvement saint-simonien dont la position sur la question féminine l’intriguait. Le 5 juillet 1832, de retour d’Angleterre, elle écrivit à Enfantin pour lui demander un entretien et des explications sur la doctrine. Enfantin devait la recevoir en août mais le procès du 27 l’en empêcha. La curiosité d’Hortense envers le mouvement resta toutefois éveillée pour ce qui concerne la femme si bien qu’elle resta en correspondance avec Enfantin en 1832.
Après sa rupture avec Bulwer, Hortense s’intéressa de plus en plus à la question des femmes : elle publia en 1836 La femme et la démocratie de nos temps, collabora à La Gazette des Femmes et, en automne 1836, se lia avec Flora Tristan. Son ouvrage, La femme et la démocratie de nos temps, est publiée dans le tome X des Publications saint-simoniennes dans le cadre des Publications faites par des femmes. Par la suite, elle renoua avec Enfantin en 1857 pour solliciter son appui en faveur de son fils Marcus qui cherchait un emploi... dans les chemins de fer !
Après avoir publié le premier tome de son Histoire de la République de Florence, elle repartit pour Florence en mai 1837. Elle y fit connaissance de Marie d’Agoult et Franz Liszt et y accoucha, le 21 mars 1839, de son second fils, Henri-Marcus-Diodati Allart, fils présumé, selon les uns de Pietro Capei, selon les autres, de Mazzei lui-même. Elle revint en France en mai 1840 avec ses deux fils. En août 1841, elle planta « le clou d’or » de l’amitié avec Sainte-Beuve, selon sa jolie expression mais leur liaison semble de très courte durée. Ils restent toutefois amis en correspondant jusqu’en 1864.
Après son bref mariage, le 30 mars 1843, avec Napoléon Louis Frédéric de Méritens de Malvezie, Hortense mena une vie assez difficile financièrement : elle vécut dans de petits villages de Seine-et-Oise de ses modestes revenus d’auteur et d’une pension littéraire. Elle entretint une vaste correspondance avec tous ses ami(e)s et anciens amants : Marie d’Agoult, Sainte-Beuve, Bulwer Lytton, George Sand, Louise Ackermann, entre autres. Elle continua à publier des ouvrages politiques (Essai sur l’histoire politique et Histoire de la République d’Athènes) et religieux (Novum Organum et Nouvelle Concorde des quatre évangélistes abrégée).
A partir de 1870, âgée et pauvre, elle eut la malencontreuse idée de publier les souvenirs de sa jeunesse, en particulier ses souvenirs amoureux, sous le titre des Enchantements de Mme Prudence de Saman l’Esbatx, suivis des Nouveaux Enchantements et des Derniers Enchantements. Les ouvrages rencontrèrent un vif succès en raison de la personnalité des « enchanteurs » d’Hortense, sauf auprès de Barbey d’Aurevilly, grand fustigeur de Bas-bleus devant l’Éternel ! Le 12 mai 1873, Le Constitutionnel publia un article indigné de Barbey d’Aurevilly sur le livre d’Hortense, l’accusant de traîner dans la boue la mémoire d’un grand écrivain catholique et monarchiste, Chateaubriand. Le 22 mai, Marcus Allart fit irruption dans les bureaux du journal et provoqua un scandale dans les bureaux en frappant un rédacteur. Il affirma par la suite n’avoir frappé cet homme qu’après lui avoir demandé poliment de publier que Barbey d’Aurevilly avait refusé toute réparation par les armes de l’insulte à Mme de Saman. Le 25 mai, Barbey publia une lettre dans le Figaro où il feignait lâchement d’ignorer les liens existants entre Marcus Allart et Prudence de Saman : « Je ne sais pas au nom de quel droit ou de quel sentiment M. Allart intervient pour le compte d’un livre de Mme de Saman ; mais s’il veut une réparation, qu’il la demande à Mme de Saman elle-même, car ce n’est pas moi, mais elle, qui dans son livre, s’est insultée. »
Au-delà de l’anecdote, quelle est donc la signification de la réaction violente d’Hortense Allart à l’article de Barbey car Marcus a certainement agi à l’instigation de sa mère ? Hortense a, toute sa vie, combattu pour ce que l’on appelle de nos jours la « liberté sexuelle » des femmes, donnant l’exemple par deux maternités illégitimes et accordant son amitié de même que son admiration à la comtesse d’Agoult, mère de trois enfants adultérins nés de sa liaison avec Liszt. L’attaque de Barbey contre « les faiblesses et les désordres » de sa vie remettait subitement en question le sens même de son existence en même temps qu’elle déplaçait, aux yeux d’Hortense, l’objet constitutif de la critique littéraire : la valeur artistique et intellectuelle de son œuvre, au nom d’une morale qu’elle ne reconnaît pas comme sienne. La critique et la femme écrivain ne s’abordent pas sur le même terrain : combattante de la liberté des femmes, indépendante de toute considération éthique, Hortense Allart se considérait donc comme lâchement insultée par un homme qui, de son côté, essayait de réduire les débordements scandaleux des femmes dont les écrits pouvaient être funestes à la société et à la religion.
Les dernières années de sa vie furent assombries par la mort de son plus jeune fils, Henri, le 19 juillet 1862, mais éclairée par le mariage de Marcus le 22 août 1863 avec Berthe Vernier. Quand elle mourut, elle resta dans l’esprit de ses contemporains et de la postérité comme l’ » enchanteresse » de Chateaubriand pendant trop longtemps. Il est temps de relire La femme et la démocratie de nos temps et les Enchantements à la lumière du féminisme et du socialisme.

Les principales féministes dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?mot192

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article25044, notice ALLART Hortense [ALLART Thérèse, Sigismonde, Sophie, Alexandrine, Hortense] par Évelyne Lejeune-Resnick, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 8 mars 2020.

Par Évelyne Lejeune-Resnick

ŒUVRE : Conjuration d’Amboise, Paris, A. Mare, 1822. — Lettre sur les ouvrages de Mme de Staël, Bossange père, 1824. — Settimia, Paris, A. Bertrand, 1836, 2 vol. — La femme et la démocratie de nos temps, Paris, Delaunay, 1836. — Histoire de la République de Florence, Paris, Delloye (2 parties en 1 vol.), 1843. — Novum Organum ou Sainteté philosophique, Paris, Garnier, 1857. — Premier-Troisième petit Livre, Études diverses, Paris, Renault, 1850-1851, 3 vol. — Essai sur l’histoire politique, depuis l’invasion des Barbares jusqu’en 1848, Paris, J. Rouvier, 1857, 2 vol. — Lettre à M. J. Molini, à l’occasion de l’ouverture de son établissement de librairie et de ses salons littéraires à Paris, Sceaux, impr. E. Depée, 1861. — Nouvelle Concorde des quatre évangélistes abrégée, Paris, chez tous les libraires, 1862. — Essai sur la religion intérieure, Paris, chez tous les libraires, 1864. — Clémence, Sceaux, impr. Dépée, 1865. — Histoire de la république d’Athènes, Paris, s.é., 1866. — Lettres de Mme Prudence de Saman et de lord Walter North, Sceaux, impr. Dépée, 1869. — Derniers enchantements. Gertrude. Harold. Le jeune comte Henri. Lettres de Béranger, par Mme Prudence de Saman, Paris, Michel Lévy, 1874. — Timide essai sur la correspondance sublime de Cicéron, Sceaux, impr. Charaire, 1876.

SOURCES : Bibl. de l’Arsenal, Fonds Enfantin, ms. 7 676/33. — Hortense Allart, Lettres inédites à Sainte-Beuve (1841-1848), publiées par Léon Séché, Mercure de France, 1908. — Hortense Allart, Nouvelles lettres à Sainte-Beuve (1832-1864), publiées par Lorin A. Uffenbeck, Genève, librairie Droz, 1965. — Sainte-Beuve, Correspondance générale, publiée par Jean et A. Bonnerot, 16 vol., Paris, 1935 sq. — George Sand, Correspondance générale, publiée par Georges Lubin, Paris, Garnier, 1964 sq. — Paul Bonneton, « Hortense Allart et les saint-simoniens », L’amateur d’autographes, XLI, 1908. — Léon Séché, Hortense Allart de Méritens, Paris, Paris, Mercure de France, 1908. — C. Perroud, Hortense Allart, Revue des Pyrénées, 2e trimestre 1905, pp. 245-270. — le même, Hortense Allart. Post-scriptum, Revue des Pyrénées, 4e trimestre 1905, pp. 451-457. – André Billy, Hortense et ses amants, Paris, Flammarion, 1961. — Notes de Ph. Régnier et J. Risacher.

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