BULLE Jean-Marie

Par Michel Aguettaz

Né le 8 septembre 1913 à Pontarlier (Jura), assassiné le 21 août 1944 à proximité de Chambéry (Savoie) ; officier ; résistant des Forces françaises combattantes, réseau action R1, et de l’Armée secrète, homologué officier des Forces françaises de l’Intérieur et interné résistant (DIR).

Collection Gil Emprin
Collection Gil Emprin

Simon Bulle et Justine Laresche, les parents de Jean-Marie Bulle, étaient tous deux fonctionnaires des postes, sa mère accédant même au grade de receveuse des postes avant son mari. Cette famille aux origines rurales connut une ascension sociale par la République et la fonction publique, commencée par son grand-père, devenu instituteur laïc dans les années 1885. Sa mère transmit à son fils une culture catholique et une foi profonde mais dénuée de conformisme dévot. Cette éducation forgea en grande partie la personnalité de Jean-Marie Bulle. Son père, officier de réserve, mobilisé en août 1914 au 60e RI fut fait prisonnier dans l’Aisne et connu une longue captivité. Il ne retrouva sa famille que début 1919. Entre 1921 et 1927, cinq autres enfants naquirent : Marguerite (1920), Paul (1921), Henri (1922), Marie (1924) et Simone (1927).
Jean-Marie fut envoyé au petit séminaire de Vaux (Jura) mais en fut retiré en raison de crises d’asthme et de douleurs digestives, problèmes de santé qui ponctuèrent toute son adolescence. Élève à l’institution Saint-Jean de Besançon, il obtint son baccalauréat en 1930. Excellent élève, il envisageait de faire Mathématiques supérieures et dans ce but entra au Prytanée militaire de La Flèche (Mayenne). De nouveaux déboires de santé l’empêchèrent de mener à bien sa préparation à Polytechnique. Après avoir dû interrompre ses études en 1932, il revint à La Flèche pour préparer Saint-Cyr dont il réussit brillamment le concours en se classant dixième en 1933.
Gil Emprin qui lui a consacré un livre, dresse ce portrait moral du jeune homme à ce tournant de son existence : « Il a vingt et un ans, est sorti de l’adolescence, il entre dans l’armée mais c’est un choix assumé. Au fond, et la suite de sa vie le montrera de façon quasi systématique, son comportement est fait de fidélité réfléchie mais distanciée par rapport aux modèles religieux et militaire hérités . Il reste et restera un individu à part entière au sein de ces structures globalisantes, et notamment celle de l’armée ».
En septembre 1934, il entama sa formation à Saint-Cyr et la termina à l’été 1936. À l’issue de sa formation les appréciations qu’il reçut étaient plus qu’élogieuses « Intelligence très au dessus de la moyenne… Travailleur, méthodique… Haute valeur morale… Instructeur patient, convaincu… Sujet de choix, sait ce qu’il veut et le veut bien… Plein de foi et d’allant, se donnera à la tâche de tout coeur et fera un officier solide aux qualités de premier ordre . »
Il choisit comme affectation le 60e régiment d’infanterie de Besançon. À cette époque il fit au moins deux séjours en Allemagne, qui selon son biographe Jean d’Arbaumont correspondaient à des missions de renseignement.
Après dix-huit mois dans cette unité, il demanda à être affecté au 70e bataillon de forteresse (BAF) et obtint satisfaction. Il rejoignit en mai 1938 Bourg-Saint-Maurice (Haute-Tarentaise, Savoie) où était basé le 70e BAF. Ce fut un tournant dans sa vie d’homme et de soldat. Il y fit en effet la connaissance de Léone Varlet, belle-fille de son capitaine, qu’il épousa en septembre 1939. Affecté comme lieutenant à la 2e Compagnie, à Vulmix, à quelques kilomètres de Bourg, il se découvrit une passion pour la montagne. Pratiquant l’escalade et le ski, il eut rapidement la volonté de commander une section d’éclaireurs skieurs (SES). Conscient de n’avoir pas le niveau requis, il s’entraîna avec ardeur et obstination et effectua deux stages (décembre 1938 et juin-juillet 1939) à l’École de haute montagne de Chamonix qui lui permirent d’être jugé apte à commander une telle unité. Cette gratification intervint au moment même où les tensions avec l’Allemagne hitlérienne aboutissaient à l’entrée en guerre de la France.
En février 1940, il prit la tête de la SES du 80e BAF., unité composée exclusivement de réservistes, qu’il s’attacha avec assiduité à former en vue d’un affrontement de plus en plus probable avec l’armée italienne. En juin, positionné avec ses hommes au col de la Seigne, il multiplia les missions d’observation, réalisant à huit reprises l’ascension de l’aiguille des Glaciers (3850 m.) pour mieux évaluer les forces de l’ennemi.
Le 10 juin 1940, l’Italie déclara la guerre à la France. Les cols et les crêtes étaient tenus par des SES, avec mission de contenir l’envahisseur, tandis que l’artillerie, située en retrait dans des ouvrages fortifiés, était chargée de barrer les axes principaux. La supériorité numérique des Italiens était écrasante. Dans le secteur de la Seigne, Jean-Marie Bulle et ses hommes allaient devoir se battre à un contre sept. En face d’eux se trouvait une unité d’élite, les Arditi. À partir du 10 commença une « drôle de guerre des Alpes », l’état-major italien multipliant les atermoiements. La SES du 80e BAF participa à de sérieux accrochages puis reçut l’ordre de se replier sur le col de d’Enclave (ce col, situé en face du col de la Seigne, donne l’accès à la vallée des Contamines en Haute-Savoie), avec mission d’empêcher toute infiltration sur le territoire. Jean-Marie Bulle occupait avec un groupe le sommet de la Tête d’Enclave à 2850 m. d’altitude.
Le 21 juin à l’aube, dans des conditions météo exécrables, les Italiens lançaient enfin leur offensive avec l’objectif ambitieux et optimiste d’atteindre Chambéry le 22, où ils devaient fraterniser avec les hommes de l’armée allemande. Le 21 au soir, l’attaque était un échec patent et le 22, entre neige et brouillard, les combats reprenaient. À cette date, Jean-Marie Bulle réalisa un exploit qui contribua à forger sa légende. Alors que les Alpini progressaient vers les positions de la SES, il descendit en rappel, armé d’un fusil-mitrailleur, le long de l’arête de la Tête d’Enclave. Après avoir installé son arme sur un léger replat il prit par un tir en enfilade la section italienne qui s’approchait, stoppant net son avancée et l’obligeant à se replier avec de lourdes pertes.
Au soir du 22 le commandement ordonna le repli pour éviter aux groupes tenant les crêtes d’être capturées. La Tête d’Enclave était à cet égard une véritable souricière, qui plus est pour des hommes éreintés, sans vivres et qui passèrent la nuit dans le froid et la neige. La personnalité exceptionnelle de Jean-Marie Bulle allait se révéler une nouvelle fois. Le 23, durant 8 heures, fidèle à sa conception du rôle de l’officier, il parvint à faire descendre ses éclaireurs, remontant sept fois au sommet de la Tête d’Enclave pour accompagner chacun des hommes dans les rappels. Un tour de force qui marqua à vie les hommes de sa section dont certains lui voueront une fidélité sans faille quand il se lancera dans l’aventure de la Résistance.
Le 24 au soir, redescendu dans la vallée avec tout son groupe, il apprit la fin de la guerre. La nouvelle était particulièrement amère pour les hommes de l’armée des Alpes qui n’avaient pas cédé devant l’ennemi et tout particulièrement pour le jeune lieutenant Bulle. L’obtention d’une croix de guerre et du grade de Chevalier de la Légion d’Honneur ne furent pour lui qu’une consolation bien dérisoire.
Après la dissolution de son bataillon de réservistes début juillet, il rejoignit à Grenoble le 6e BCA. Une lettre à son père, citée par Gil Emprin, nous donne une image précise de son état d’esprit : «  Ce qui est révoltant c’est de constater que bien peu de gens ont compris à l’heure actuelle, ce dont il s’agissait, pas plus dans le civil que dans l’armée d’active qui compte une proportion effrayante d’officiers de salon, d’arrivistes et de vauriens, je le dis sans embage  » (lettre du 15 juillet 1940, cf. Gil Emprin p. 92). Admirable lucidité que celle de ce jeune homme, accompagnée d’une absence totale de l’esprit de caste si commun aux cadres de l’armée.
Jean-Marie Bulle fit preuve aux cours des combats de juin d’un courage physique exceptionnel et d’un sens du devoir qui lui a fait envisager sans hésitation le sacrifice suprême. Respectueux de ses hommes, il n’a jamais risqué inconsidérément leur vie et s’est consacré jusqu’au bout de ses forces à les préserver. Même vis-à-vis de l’ennemi, il a fait preuve d’un esprit « chevaleresque », permettant aux Italiens d’aller chercher leurs morts sur le champ de bataille.
Combattant intrépide et tenace il n’a jamais renoncé à son humanité ni à ses valeurs chrétiennes. Tout Jean-Marie Bulle est là. Dans cette guerre où les stukas allemands ont mitraillé les foules de l’exode, ses valeurs peuvent apparaître anachroniques et surannées, mais il ne s’en départit jamais.

Dans la période qui s’ouvrait, les conditions politiques nouvelles et la situation inédite de l’armée d’armistice ne pouvaient que provoquer chez un tel homme un cheminement moral et sans doute politique, bien que l’on ne dispose d’aucun élément précis sur sa pensée en la matière.
Après un bref passage à Grenoble, il repartit dès le début 1941 pour le Beaufortain affecté à l’entretien des installations militaires et aux contacts avec des officiers italiens dans le cadre de la convention d’armistice. Il collabora entre autre au déminage du col de la Seigne. Sa femme étant logée à Grenoble, il revenait souvent dans la capitale dauphinoise. Là il eut l’occasion de fréquenter des officiers, futurs cadres de la résistance iséroise, le commandant De Reyniès, Alain Le Ray ou encore Etienne Poitau (futur capitaine Stéphane). Dans le Beaufortain il renoua également le contact avec des anciens de sa SES.
Durant l’année 1942 il dut faire deux séjours à l’hôpital de la Tronche (Grenoble), suite à la réapparition de sérieux problèmes pulmonaires. Mais cette même année fut embellie en avril par la naissance d’un petit garçon, Jean-Claude.
Novembre 42 vit l’invasion de la zone Non occupée et avec elle la fin de toute illusion quant à une renaissance nationale grâce au régime de Vichy.
En janvier 1943, Jean-Marie Bulle fut promu capitaine. Il faisait alors partie de l’organe liquidateur du bataillon qui fut définitivement dissout en février. Affecté au service social, il contribua à trouver des planques aux soldats les plus exposés par leur retour à la vie civile, Juifs ou Alsaciens-Lorrains menacés d’être enrôlés de force dans la Werhmacht. Lui-même, une fois revenu à la vie civile et devant trouver une raison sociale pour échapper aux réquisitions de main d’oeuvre, fut déclaré ouvrier agricole par un de ses anciens du 80e BAF.
Jean D’Arbaumont évoque diverses activités clandestines à cette époque (cf Jean D’Arbaumont p. 103-107), en particulier des missions de renseignement. À l’évidence Jean-Marie Bulle connut en cette période une évolution profonde qui l’amena au choix d’entrer en résistance. Ses activités grenobloises l’obligèrent rapidement à se mettre au vert. En mai 1943 il demanda à un autre de ses anciens éclaireurs, Ovide Blanc, de l’accueillir lui et sa famille, dans le Beaufortain. Il expliqua qu’il était grillé à Grenoble et qu’il devait entrer dans la clandestinité.
Dès le mois de juin 1943, par l’intermédiaire d’Ovide et Gaspard Blanc il parvint à entrer en contact avec Raymond Bertrand et Joseph Gaudin créateurs du mouvement Libération sur le secteur Albertville-Ugine. Jean-Marie Bulle accepta de prendre en main l’organisation militaire sur le secteur 3 de l’AS qui couvrait Beaufortain et Tarentaise et ce au moment où de nombreux réfractaires au STO affluaient.
Fermement opposé à l’idée des maquis de regroupement, évoquant le danger pour les jeunes de devenir les victimes « d’exercices militaires pour les Allemands avant leur mutation sur le front de l’Est. » il s’employa à créer un réseau de résistants disséminés sur l’ensemble du secteur 3 et rassemblés ponctuellement et par groupes pour recevoir une instruction militaire. Le recrutement pour le chantier du lac de la Girotte, (destiné à fournir de l’eau pour la centrale des aciéries d’Ugine) permit également de fournir une couverture à un grand nombre de réfractaires. Il créa un groupe franc avec lequel il mena un certains nombres d’opérations. La plus spectaculaire fut le sabotage en plein jour, le 3 mai 1944, des aciéries d’Ugine qui permit d’éviter un bombardement par la RAF.

Le 6 juin 1944 vit un afflux considérable de volontaires dans le Beaufortain. Mille cinq cent hommes avaient rejoint le massif alors que les parachutages reçus ne permettaient que d’en armer 250. Dès le 9 juin, Jean-Marie Bulle obsédé par l’expérience tragique des Glières, malgré de nombreuses oppositions, donna l’ordre du retour dans les foyers. Il anticipait d’un jour les consignes d’Alger.
Après une période où les Allemands investirent le Beaufortain (voir notice événement Beaufort) Jean-Marie Bulle, persuadé que ce massif était l’endroit idéal pour un parachutage, parvint à convaincre du bien fondé de son idée les hommes de la mission interalliée Union. C’est le plateau des Saisies qui fut choisi pour la réception d’un parachutage d’une ampleur qui dépassait largement les attentes des résistants puisque les alliés proposèrent un parachutage de jour par 72 avions. Le défi à relever était considérable. Jean-Marie Bulle fut chargé de l’organisation de la réception, de la protection et de l’évacuation des armes. Il s’attela à cette tâche qui mobilisa AS et FTP sur le Beaufortain, Albertville, Ugine, la Tarentaise et même la Maurienne. 450 hommes furent rassemblés pour la seule récupération du matériel. Le 2 août 1944 le plus grand parachutage diurne en France se déroula quasi parfaitement. Cette réussite était largement due à l’investissement et aux talents d’organisateur du jeune capitaine.
Cette arrivée d’armes incita les FFI de Tarentaise à entrer en action dès le 7 août. Les combats engagés aboutirent à la libération de la vallée de Feisson-sur-Isère à Bourg-Saint-Maurice. Mais la Wehrmacht lança une contre attaque le 10 août que les forces de la Résistance, privées de mitrailleuses et de mortiers, ne pouvaient contenir (voir notices Pussy et Montgirod).
Le 14 août Jean-Marie Bulle à la tête des hommes du Beaufortain, se porta au niveau de Montgirod pour soutenir les FFI de Tarentaise qui tenaient le barrage du Siaix en amont de Moûtiers. Pris sous un intense feu d’artillerie son groupe fut dispersé et entama un difficile repli sur les crêtes, tandis que le village brûlait derrière eux.
Après une nuit de traque dans les montagnes Jean-Marie Bulle parvint à rejoindre Beaufort. Il était à ce moment là physiquement à bout de forces. La dernière épreuve vécue s’ajoutait à l’épuisement provoqué par son engagement total dans l’organisation du secteur 3 depuis des semaines.
Ce même jour le débarquement de Provence changea la donne stratégique et redonna espoir aux forces FFI. Le 18 août les combats se déroulaient aux portes même d’Albertville où se trouvaient encore 600 allemands. La libération était proche.

Le 19 août Les FFI de Haute-Savoie contrôlaient la totalité de leur département, tandis que la Savoie restait sous la botte allemande. Les états-majors étaient en contact pour coordonner les actions des forces FFI, placées sous le commandement du colonel De Galbert (Mathieu).
Le 20 août Jean-Marie Bulle était à Beaufort où se trouvait le PC du 3e sous-secteur FFI. Vers 8 heures, il partit pour Ugine pour y rencontrer « Mathieu ». Encouragé par l’exemple de la garnison d’Annecy qui s’était rendue aux FFI, les reconnaissant de facto comme armée régulière, De Galbert espérait obtenir la reddition d’Albertville ou tout au moins que les FFI soient considérés comme des soldats et non pas des francs tireurs. À Beaufort on savait par le service de renseignement qu’une grande partie de la garnison albertvilloise était prête à se rendre. L’affaire semblait donc bien engagée.
Un officier supérieur allemand, capturé à Annecy, devait transmettre au commandant de la garnison d’Albertville les conditions du commandement FFI. De Galbert proposa à Jean-Marie Bulle la mission de l’accompagner jusqu’à l’entrée de la ville et d’attendre la réponse allemande. Celui-ci accepta sans hésiter cette offre qui correspondait à ce qu’il avait déjà envisagé lui même.
À l’issue de cet entretien, le capitaine, très confiant se rendit à Sallanche (Haute-Savoie) pour y passer un court moment avec ses parents. Rentré à Beaufort, il en repartit vers 17 h afin de réceptionner le plénipotentiaire allemand, le majors Eggers, officier de la Lutwaffe.
Celui-ci était convoyé par « Beauregard » (Louis Pivier), commandant FTP du secteur. Tous trois descendirent jusqu’au barrage allemand contrôlant le pont des Adoubes, aux portes d’Albertville, et vers 19 h. le major les quitta, rendez-vous étant donné à 22 h pour rapporter la réponse.
À l’heure prévue, les deux commandants français n’ayant aucune nouvelle décidèrent de prolonger l’attente. À minuit ils redescendirent au barrage mais ne trouvèrent là que les sentinelles allemandes. Après avoir engagé une conversation avec les gardes, Bulle informa « Beauregard » qu’il allait franchir le barrage pour aller chercher le major allemand. Ce dernier tenta de l’en dissuader mais en vain. Jean-Marie Bulle passa le barrage, portant sur son blouson américain sa légion d’honneur et ses galons de capitaine comme seule protection. Louis Pivier l’attendit jusqu’au petit matin puis remonta jusqu’à Venthon informer de la disparition de Jean-Marie Bulle.
L’EM allemand s’était installé une semaine auparavant à l’hôtel de l’étoile. C’est grâce à la déposition de son propriétaire que l’on possède les dernières informations précises sur ce qu’il advint du capitaine Bulle.
Le lundi 21 août à 8 h du matin celui-ci se trouvait dans cet hôtel. Il eut une discussion avec les officiers de la Wehrmacht puis fut conduit dans une chambre. Dans le même temps, l’EM FFI du 3e sous secteur échafaudait un plan pour le libérer mais vers 10 h 30, Jean-Marie Bulle montait à bord d’une traction accompagné de deux soldats et d’un officier allemand pour être conduit à Aix les Bains. C’est la dernière fois qu’il fut vu vivant.

L’épilogue de ce parcours se déroula à 50 km de là, à Chambéry-le-Vieux (commune aujourd’hui intégrée à Chambéry). Aux alentours de 17 h, un camion allemand venant d’Aix abandonna un corps enroulé dans une bâche au lieu-dit Le Goléron. Rapidement, le maire et des habitants étaient sur place. Selon leurs témoignages le corps portait deux traces de blessures, une au coeur et une sous l’oreille, dont du sang s’écoulait encore. La victime, un officier, portait un bâillon. Le corps fut transporté à la chapelle du village et toiletté en vue de son inhumation. Des photos furent même prises afin de permettre l’identification du mort.
Mais dès le lendemain le commissaire de police de Chambéry, prévenu de cette découverte, se rendit sur place et fit transporter la dépouille à Chambéry. Le 26 août les cadres de la Résistance d’Albertville apprenaient que le corps d’un officier FFI avait été retrouvé au chef lieu du département. Il portait une chevalière aux initiales J.B. . Raymond Bertrand et Louis Bellet qui avaient été en étroite relation avec le capitaine Bulle dans la clandestinité, se rendirent sur place et ne purent que constater que c’était bien leur compagnon de lutte qui avait été assassiné.
Selon les témoignages du majors Eggers et d’un soldat polonais passé au FFI, le Capitaine Bulle aurait été assassiné à environ 10 km d’Albertville, à hauteur du village de Saint-Vital ou de Montailleur. Son corps fut ensuite placé sur un camion à destination d’Aix-les-Bains, important centre médical disposant d’un four crématoire. Cette ville se trouvant alors sous le contrôle des FFI, le véhicule ne parvint jamais à sa destination et le corps de Jean-Marie Bulle fut abandonné dans la campagne chambérienne. Ce récit achoppe avec les témoignages de ceux qui trouvèrent le corps, qui précisent que les blessures de la victime coulaient encore, ce qui indique une exécution beaucoup plus tardive.
On ne connaîtra jamais avec exactitude le déroulement de l’assassinat de Jean-Marie Bulle, mais cela importe peu. Il fut le fait, de la décision à l’exécution même, d’officiers fanatisés et jusqu’au-boutistes pour qui il était inconcevable de négocier avec les « bandits » de la Résistance. Le colonel Schwehr, commandant les troupes de la haute vallée de l’Isère, vers lequel s’étaient tournés les officiers d’Albertville suite à la démarche de Jean-Marie Bulle, décida de son exécution dès qu’il eut connaissance de sa présence à l’E.M. albertvillois.
Un abîme séparait l’officier français pétri de valeurs chrétiennes, soucieux de la vie de ses hommes et des civils, pour qui honneur et parole donnée n’étaient pas de vains mots et le colonel de la Wehrmacht qui quelques semaines auparavant avait été à la tête d’une des trois colonnes d’attaques du Vercors.

L’annonce de sa mort plongea dans la consternation tous ceux qui avaient combattu à ses côtés et le bataillon du 3e sous-secteur prit immédiatement le nom de bataillon Bulle.
En octobre 1944, Jean-Marie Bulle fut inhumé dans le cimetière de Labergement-du-Navois (commune actuelle Levier) dans le Doubs. Le grade de commandant lui fut attribué à titre posthume.
Comme l’a très bien formulé Gil Emprin, Jean-Marie Bulle resta toujours « fidèle à ses valeurs, sans jamais être prisonnier des institutions censées les porter ».
Ses convictions, profondément ancrées, le déterminèrent à prendre le risque, insensé aux yeux de ses compagnons d’armes, d’aller jusqu’au bout de sa mission de négociateur. Un risque qu’il assuma pleinement pour éviter que le sang ne coulât inutilement.
Après guerre, le brillant officier envisageait d’abandonner la carrière militaire pour devenir formateur de jeunes par le sport et la montagne (Cf Gil Emprun p. 185). Ce projet inattendu nous dévoile la complexité de cet homme définitivement rebelle à toute voie balisée par d’autres.
Cette personnalité si riche ne pouvait que profondément marquer les esprits de tous ceux aux côtés desquels il s’était trouvé engagé et il reste sans doute la figure la plus marquante de la Résistance en Savoie.
Il obtint la mention « Mort pour la France » et fut homologué résistant des Forces françaises combattantes, réseau action R1, et officier des Forces françaises de l’Intérieur, interné résistant (DIR).

Son nom figure sur de multiples monuments : à Chambéry une stèle fut érigée sur les lieux mêmes où l’on retrouva son corps et la voie où elle se trouve fut nommée rue du commandant Bulle. Il faut encore citer le monument à la Résistance d’Albertville où son nom est inscrit en tête de la liste des victimes, la plaque commémorative de l’ancien quartier de 7e BCA à Bourg Saint-Maurice, le monument commémoratif des officiers du 6e BCA à Varces-Allières-et-Risset (Isère), ainsi qu’une plaque commémorative au col des Saisies et la plaque commémorative du Prytanée militaire de La Flèche (Sarthe). On trouve une place Jean-Marie Bulle à Albertville et de nombreuses villes ont baptisé des rues ou avenues de son nom : La Bathie, Beaufort, Ugine, Grenoble, Pontarlier.
Dans le Doubs on retrouve son nom sur les monuments aux morts de Pontarlier, Besançon et Levier.
La 197e promotion de l’école de Saint-Cyr (2010-2013) a choisi pour nom « Chef de bataillon Bulle ».
Deux ouvrages ont été consacrés à la vie de Jean-Marie Bulle, preuve de la prégnance de sa personnalité. En 1974, Jean d’Arbaumont, camarade de promotion de J.-M. Bulle à Saint-Cyr, lui consacra une biographie très richement documentée mais nettement marquée par un esprit de corps. En 2001, Gil Emprin a écrit une biographie auquel cet article doit beaucoup. L’auteur s’est employé à mettre au centre de son récit la personnalité de Jean-Marie Bulle et d’en faire ressortir la droiture mais aussi la singularité attachante.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article251032, notice BULLE Jean-Marie par Michel Aguettaz, version mise en ligne le 16 septembre 2022, dernière modification le 28 octobre 2022.

Par Michel Aguettaz

Collection Gil Emprin
Collection Gil Emprin

SOURCES : AVCC, Caen AC 21 P 35781 (nc) et AC 21 P 719529 (nc). — SHD, Vincennes, GR 16 P 97032 (nc). — Arch. dép du Rhône 3808 W 1186‌. — Jean d’ Arbaumont, Entre Glières et Vercors : Vie et mort du capitaine Bulle (1913-1944), Annecy, Gardet, 1974. — Gil Emprin, Les carnets du Capitaine Bulle, La Fontaine de Siloë, 2002. —
Memorialgenweb (consulté le 02/08/2022).

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