FABRE de LAGRANGE Charles, Jean

Par Sylvain Neveu

Né le 18 avril 1827 sur l’île de Jersey, mort en 1883 en Turquie ; inventeur, physicien et ingénieur ; nommé directeur du phare de Montmartre et chargé de la formation des équipes d’électriciens durant la Commune de Paris.

Le nom de Charles de Lagrange apparaît de façon discrète dans le Journal Officiel de la Commune qui promulgua un avis daté du 16 mai 1871 : « La Délégation scientifique, 78 rue de Varenne, forme des équipes d’électriciens chargés du service des feux électriques. […] Le citoyen Lagrange, chargé de cette formation, prendra le commandement des équipes. » Il est signé de Parisel, membre de la Commune et chef de la Délégation scientifique.

Charles, Jean Fabre de Lagrange était le fils de Clément Fabre de Lagrange (1807-1873), chef du 1er Bureau de la Préfecture de police durant le Second Empire. La famille était originaire de Pouzauges en Vendée.
Il se signala en 1851 par le dépôt d’un brevet portant sur les piles électriques et en 1852, par un autre concernant une lampe électrique. En février 1855, il reprit une entreprise de fabrication de matériel scientifique et s’installa au 41 boulevard de Strasbourg à Paris. Il s’associa alors avec un Alsacien nommé Eugène Kunemann ; c’est lui qui fut le collaborateur de Paschal Grousset, délégué à la commission des Relations extérieures de la Commune. Ils remportèrent une médaille à l’exposition universelle de 1855, mais se séparèrent en décembre 1856. Parallèlement à ses activités scientifiques, il s’impliqua dans la « Société du mesmérisme de Paris ». Adhérent dès 1847, il réalisa en 1853 une importante contribution où il défendait une approche positiviste du magnétisme animal.
Il se maria en 1851 avec Laure, Henriette Daussy (1827-1917) ; ils eurent cinq enfants aux prénoms évocateurs : Alpha Marie, Numa, Thales, Libère ; le dernier s’appelait Georges.
En 1858, il fit imprimer chez Gros et Donnaud deux livres de physique.
Trois ans après sa séparation d’avec Kunemann, il déposa le bilan de la société. On le retrouva « physicien-constructeur » en 1862, 4 place Saint-Sulpice et opticien au 28 rue Madame. C’est autour de ces années-là qu’il dut réaliser des objets mathématiques en volumes pour des écoles supérieures. Ces maquettes tridimensionnelles décrivaient des surfaces et des volumes mathématiques ; certaines existent toujours et des artistes plasticiens contemporains continuent de s’en inspirer. En 1871, au moment de son arrestation, il était professeur de sciences physiques et déclaré comme ingénieur au moment de son procès.
S’il ne semble pas avoir eu d’activité politique marquante, on sait qu’en 1868 il appartenait à la Franc-Maçonnerie. Il était inscrit à la loge de « La Persévérante Amitié » du Grand Orient.
Fabre de Lagrange a toujours habité sur le territoire de l’actuel XVe arrondissement. En juin 1871, il habitait au 121 rue Cambronne.

À partir de la mi-avril 1871, la Commune commença à s’intéresser à une installation qui avait eu son heure de gloire durant le Siège de Paris : le phare de Montmartre. Ce phare avait servi à éclairer les manœuvres nocturnes des Prussiens et était situé dans un local adossé au Moulin de la Galette. Il existait aussi des phares, plus petits, au niveau des fortifications. Ce sont tous ces systèmes d’éclairage que l’on appelait « feux électriques ». Fabre de Lagrange fut nommé directeur du phare de Montmartre au début du mois de mai par Parisel. Lorsqu’il prit en charge la réparation du phare, celui-ci avait été volontairement mis en panne. Il réussit à le réparer mais on en déroba la lampe ; il fut donc contraint d’en faire construire une seconde : cela se passait au soir du lundi 22 mai 1871. Les troupes versaillaises menaçaient déjà Montmartre et la lampe ne fut jamais retirée de chez son fabricant.
On ignore son positionnement en tant que Franc-Maçon et le type de relations qu’il pouvait encore entretenir avec son ancien associé Eugène Kunemann. À son procès, il déclara que c’est poussé par la misère qu’il accepta de collaborer avec la Commune.
Fabre de Lagrange avait souhaité s’entourer d’un personnel formé et qui pourrait l’épauler pour la maintenance et la conduite des feux électriques. Le contenu de l’avis du 16 mai est particulièrement explicite, mais les équipes d’électriciens de la Commune ne virent jamais le jour.

Le 17 juin 1871, à son domicile, se produisit un drame : sa fille Libère, âgée de quinze ans mourut. Le 18, il déclara son décès à la mairie du XVe arrondissement. Le 20 il fut arrêté, le jour même de l’inhumation de sa fille. Emprisonné à la salle n° 1 de l’Orangerie à Versailles, il subit un interrogatoire en octobre 1871 et fut jugé le 23 janvier 1872 par le 4e Conseil de guerre. Il fut accusé « d’avoir participé par complicité à un attentat dont le but était de porter la dévastation et le massacre […] et sciemment et volontairement fourni des instruments de crime à des bandes rebelles armées […] ». Son père Clément Fabre de Lagrange était encore vivant en 1871. Son avocat était Alfred Metlinent, secrétaire du baron Roger de Larcy, ministre des Travaux Publics. Fabre de Lagrange, malgré les lourdes charges qui pesaient sur lui, fut acquitté à la minorité de faveur.
Avec sa famille, il quitta la France et partit en Turquie comme ingénieur. D’après les données généalogiques, il mourut en 1883 à Magara et son épouse Laure, Henriette décéda à Istanbul en 1917.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article251673, notice FABRE de LAGRANGE Charles, Jean par Sylvain Neveu, version mise en ligne le 15 octobre 2022, dernière modification le 15 octobre 2022.

Par Sylvain Neveu

SOURCES : J.O. Commune, 17 mai 1871. — « Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration 1859 », p. 226. — Données généalogiques Généanet. — « Bulletin des lois de l’Empire Français – XIe série », premier semestre 1854, brevets n° 194 et 540 (p. 328 et 360). — Le Droit, 11 mars 1855, 20 décembre 1856 et 2 mars 1859. — Exposition universelle de 1855 : Rapports du jury mixte international, Volume 1, p.429.« Société du mesmérisme de Paris », année 1852, p. 16. — Journal du magnétisme Tome IV, p. 315. — Journal général de l’imprimerie et de la librairie, Volume 2, Numéro 1, réf. 14405. — « A catalogue of a collection of models of ruled surfaces », Fabre de Lagrange by C.W. Merrifield, printed by George E. Eyre and William Spottiswoode, London et 1872. — Christine Borland, « Common Groin, after Fabre de Lagrange », 2018. — Le Temps, 4 novembre 1870. — Le Figaro, 3 juin 1871. — Le Constitutionnel, 27 janvier 1872. — Notice individuelle base Farcy. — L’Union Libérale, 25 janvier 1872. — Le XIXe Siècle, 27 janvier 1872. — État civil.

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