Par Rachel Mazuy
Né le 21 mai 1914 au Havre (Seine-Inférieure/Maritime), mort le 5 août 2008 à Montivilliers (Seine-Maritime) ; professeur d’anglais ; militant communiste (1947-1953) puis sympathisant ; président au Havre de l’association France-URSS, de la Fédération des Œuvres laïques ; administrateur de l’Unité Cinéma de la Maison de la Culture du Havre.
Issu d’une famille modeste, alsacienne par sa mère qui était couturière, et dont le père d’origine corse mourut quand il avait 16 ans, Jean Giustiniani fréquenta le lycée de garçons du Havre à partir de la 7e, entre 1924 et 1933.
C’est dans ce lycée plus largement fréquenté par la bourgeoisie havraise que par des enfants d’ouvriers, que Jean-Paul Sartre enseigna entre 1931 et 1936 et laissa sur son élève, Jean Giustiniani, une empreinte d’autant plus durable, qu’il redoubla sa classe de philosophie : « Sartre a fait de moi ce que je suis avec mes qualités. J’ai aussi des défauts, mais ça, c’est de ma faute ! ». Le professeur Sartre était en effet peu conventionnel. N’hésitant pas parfois à boxer avec ses élèves, il leur fit découvrir des auteurs comme Gide, Faulkner ou Céline : « Je verrai toujours le petit père Sartre, pipe à la main et nous disant : "Messieurs, vous pouvez fumer !" On n’avait jamais vu un hurluberlu comme ça. La bourgeoisie a tout de suite senti le danger ! (...) Il nous traitait d’égal à égal. Pas comme des potaches, (...) mais comme des êtres humains : ce n’était pas le prof du haut de sa chaire qui versait sa bouteille de science sur nos cerveaux rétrécis. Mais nous n’avons été que quelques-uns à le suivre. » (Libération, 11 mars 2005).
C’est aussi Sartre qui fit connaître à Jean Giustiniani les cinéastes russes et allemands, déclenchant chez lui une passion pour le septième Art qu’il partagea aussi par la suite avec ses propres élèves. En effet, après la poursuite de ses études supérieures à Paris, il revint au Havre comme professeur d’anglais au lycée devenu le lycée François Ier, où il fit toute sa carrière entre 1943 et 1976 (il enseigna également à l’École de la Marine marchande et à l’École de commerce).
En 1948, en lien avec la vague de cinéphilie de l’après-guerre, il créa au lycée François Ier, un ciné-club. Les projections hebdomadaires utilisaient des copies prêtées par l’Office régional du cinéma des « Œuvres laïques de Caen ». À partir de 1952, le ciné-club s’ouvrit en soirée au personnel du lycée, puis à un public plus large. En mars 1956, il fonda un bulletin, le Ciné-lycée qui disparut en 1963. Les rédacteurs étaient des enseignants, mais aussi des élèves comme Vincent Pinel qui devint conservateur à la cinémathèque de Paris, ou Patrice Gélard (futur sénateur et maire de Sainte-Adresse). Les deux jeunes hommes furent à l’origine de l’association « Jeune Cinéma », puis, en 1960, du « Club des Amis du Film », lié à la Fédération des œuvres laïques, et qui fut animé par Jean Giustiniani. En effet, ce dernier était également président de la FOL. De ce fait, il s’investit aussi dans la création de la Maison des jeunes et de la culture du Havre et fut administrateur de l’Unité Cinéma, fondée en 1965.
Surnommé « Gusti » par ses amis, ses collègues et ses élèves, il fut lui aussi un professeur peu conventionnel (ses cours ressemblaient davantage à des discussions qu’à des cours véritables), initiant très tôt des voyages scolaires avec un lycée de Southampton.
Il ne cachait pas sa sympathie politique pour le Parti communiste (il y milita entre 1947 et 1953) et l’URSS. Ainsi, il adhéra à l’association France-URSS, également en 1947, et prit la présidence du comité local à la fin des années cinquante. L’association havraise comptait alors environ 400 adhérents, majoritairement des socialistes, avec un nombre important d’enseignants. Par ailleurs, son intérêt pour Dostoïevski (et plus largement pour la culture russe), lu en khâgne, se liait logiquement avec son intérêt pour la culture soviétique dont il avait lu les auteurs après la Seconde Guerre mondiale. Les deux étaient classiquement couplés dans l’association philosoviétique, pour mieux mettre en valeur les progrès réalisés depuis la fin du régime tsariste. Il effectua un voyage avec Daniel Colliard avec qui il relata ensuite ses Impressions d’URSS.
Aussi, dans les années soixante, participa-t-il activement au comité de jumelage avec Leningrad, relancé par le retour du communiste René Cance à la mairie (mars 1965), et par l’intérêt pour l’URSS suscité par la visite havraise de Iouri Gagarine. Le 20 juin 1965, c’est Giustiniani qui accueillit le cosmonaute soviétique à la Maison des jeunes et de la Culture du Havre, lui souhaitant la bienvenue par ces mots : « Nous sommes particulièrement fiers que vous ayez accordé votre visite à une Maison des Jeunes, car vous êtes un vivant exemple pour tous les jeunes de ce pays ».
L’équipe municipale comptait sur ses réseaux culturels et la réputation d’ouverture de l’association, pour trouver des relais, permettant de promouvoir les échanges avec la ville soviétique dans la population havraise. Il fut ainsi l’une des chevilles ouvrières du projet qui aboutit en 1967.
Marié à Émilienne, Jean Giustiniani avait un fils, Philippe, devenu psychiatre, né en 1942, décédé en 2019, et un deuxième fils, Alain-François, né en 1945.
Par Rachel Mazuy
SOURCES : Paris-Normandie. Le Havre Presse, 7 août 2008. — Philippe Lançon, "La Nausée au bord des lèvres", Libération, 11 mars 2005. — Jean-Michel Cousin, notice de Jean Giustiniani sur le site de l’Association des Anciens élèves du lycée François Ier, 22 juillet 2022. — Thomas Gomart, Double détente. Les relations soviétiques de 1958 à 1964, "Une relation à la base. Les jumelages", Publications de la Sorbonne, 2005.