Par Jacques Girault, Jean-Marie Guillon
Né le 17 juin 1898 à Paris (XVIe arr.), mort le 17 février 1955 à Paris (XVIIe arr.) ; professeur puis inspecteur général ; résistant.
Sa famille juive, originaire d’Alsace, de religion protestante, avait choisi de s’installer en France en 1871. Fils d’Adrien Abraham, polytechnicien, ingénieur du génie maritime à Rochefort (Charente-Inférieure) puis à Saint-Nazaire (Loire-Inférieure/Atlantique), et d’Emma Nerson, son épouse, née en 1869, Marcel Abraham était le dernier d’une fratrie de cinq enfants (trois sœurs et un frère). Après sa scolarité primaire à Saint-Nazaire, il fut élève au lycée du Havre (Seine-Inférieure/Maritime). Bachelier lettres-philosophie en 1915, il entra en classe de khâgne au lycée Louis le Grand à Paris. Admissible à l’ENS, classe 1918, il fut mobilisé dans l’artillerie en avril 1917 et resta sous les drapeaux jusqu’en novembre 1919. Après son diplôme d’études supérieures (1920), reçu à l’agrégation des lettres en 1923, il fut nommé professeur au lycée de Charleville (Ardennes), puis en 1925 à celui d’Orléans (Loiret) où il devint rédacteur en chef de la revue Le Mail « Revue de littérature, d’art et de critique paraissant dix fois par an », de 1927 à 1930, qui prenait la suite des Cahiers Orléanais. Lors du décès de son père en 1928, la famille habitait à Paris dans le XVIIe arrondissement.
Marcel Abraham entra le 1er octobre 1929 dans le cadre parisien comme professeur au lycée Carnot où il obtint une chaire de seconde le 1er octobre 1932 puis de première a à la rentrée 1936.
En réalité, il enseigna peu à partir de 1932 et poursuivit sa carrière dans la haute administration du ministère de l’Éducation nationale, comme chef adjoint du cabinet du ministre Anatole de Monzie (1932-1934), puis directeur de celui de Jean Zay (1936-1939), tout en étant inspecteur d’académie à Paris à compter de la rentrée 1936.
Homme de gauche, ardent partisan du Front populaire, ses archives déposées aux Archives nationales illustrent sa très étroite collaboration avec le ministre Jean Zay pour la mise en œuvre de ses réformes. Elles contiennent aussi un grand nombre de documents sur la vie artistique, la recherche scientifique, l’enseignement français à l’étranger. Ces domaines furent en effet au cœur de ses préoccupations.
Ainsi dirigea-t-il les cinq premiers tomes, puis le tome 10 de L’Encyclopédie française dont il était membre du conseil d’administration. Délégué à plusieurs reprises pour assurer le service des examens du baccalauréat en Égypte, il fut nommé inspecteur général de l’enseignement à l’étranger pour une durée de trois ans, en décembre 1937 ; il était commandeur de l’ordre du Nil et grand officier du Phénix de la Grèce.
Antimunichois, il s’engagea volontaire en octobre 1939, puis fut chargé de mission d’inspection générale à titre provisoire dans les académies de Lille et Strasbourg le 1er janvier 1940. Il fut relevé de ses fonctions d’inspecteur d’académie le 20 novembre 1940 par le gouvernement de Vichy et mis à la retraite à dater du 20 décembre 1940, en application de la législation anti-juive.
Il était membre des « Amis d’Alain-Fournier », groupe où se trouvaient aussi ses amis Jean Cassou et Claude Aveline, avec qui il avait travaillé dans ses fonctions auprès de Jean Zay. Ce groupe était composé d’écrivains et de personnalités qui s’étaient engagées au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et dans les comités de soutien à l’Espagne républicaine.
Il fut l’une des composantes parisiennes de ce que l’on allait appeler le réseau de Résistance du Musée de l’Homme. Dès l’été 1940, le groupe, dont Jean Cassou et Agnès Humbert étaient les éléments de base, se réunit régulièrement pour partager les informations et rédiger les premiers tracts. Dans ce cadre, Marcel Abraham collabora au journal clandestin Résistance, Bulletin officiel du comité national de Salut public, fondé par Boris Vildé. En mars 1941, après la dislocation du réseau du Musée de l’Homme par les arrestations, il décida de se réfugier en zone non occupée, à Toulouse (Haute-Garonne), avec son ami Cassou.
Puis il se replia à Toulon (Var) où résidaient son frère et ses trois sœurs. Grâce aux très nombreuses connaissances qu’il avait dans les milieux littéraires engagés à gauche, se rendant fréquemment à Lyon où étaient repliés nombre de ses amis (Yves Farge, les Martin-Chauffier, etc.), à Marseille où se trouvaient Les Cahiers du Sud auxquels il collaborait, à Aix-en-Provence où il rencontra René Char, à Toulouse où Cassou s’était établi, Marcel Abraham joua un rôle important dans la diffusion des mouvements clandestins. Il fut à Toulon un relais important entre 1941 et 1942. Il participait avec son frère, ingénieur du génie maritime, mobilisé à l’Arsenal maritime, à la formation de l’un des premiers noyaux de Résistance lié au mouvement Franc-Tireur, animé localement par John Mentha. Il assistait aussi aux réunions des socialistes toulonnais (Joseph Risterucci, Henri Michel) et collecta de l’argent qu’il remit à Daniel Mayer, réfugié à Marseille, pour le procès de Riom. Par l’intermédiaire de son frère, futur déporté, il entra en contact avec le réseau de renseignements Interallié (F2), notamment avec le capitaine de vaisseau Trolley de Prévaux qui allait devenir le responsable de sa branche Marine.
Par ses contacts, il favorisa le rapprochement des mouvements clandestins fin 1942. Alors que Toulon restait la seule ville de France non occupée entre le 11 et le 27 novembre 1942 et que chacun s’interrogeait sur le sort de la flotte, il aida Yves Farge, venu à Toulon pour enquêter sur la situation, et le fit héberger par le syndicaliste du SNI, Louis Dumas, à Ollioules. Farge réalisa finalement un reportage sur le sabordage de la flotte pour la presse clandestine. Il restait en relations régulières avec Jean Zay emprisonné.
Menacé d’arrestation après l’arrivée des Allemands, il quitta précipitamment Toulon en janvier 1943 pour se réfugier dans l’Aude, près de Montferrand, après être passé à Marseille aux Cahiers du Sud, chez Jean Ballard. Il écrivit à ce dernier, le 12 mars 1943 : « Après la nuit que vous savez et qui, malgré les excès de Plutarque, n’a pas laissé d’être émouvante, nous avons considéré que le climat de la ville étant pour nous peu indiqué, il convenait de faire retraite. Un ami excellent (absent malheureusement) nous ouvrant sa maison dans un vaste domaine languedocien, nous nous y sommes installés ». Marcel Abraham, resté actif dans la clandestinité, collabora, sous les pseudonymes Jacques Marcel ou Jean Villefranche, à des publications clandestines constitutives de la Résistance (Les Etoiles, Cahiers de la Libération, Quarante quatre).
Il devint à la Libération chef du cabinet de Jean Cassou, commissaire régional de la République à Toulouse. Renommé inspecteur d’académie à Paris à la Libération, puis inspecteur général de l’Instruction publique chargé de l’enseignement du français à l’étranger, il représenta la France à l’UNESCO à Paris, Mexico, Beyrouth, Florence… puis devint le directeur du cabinet de Pierre-Olivier Lapie, ministre de l’Éducation nationale en 1950-1951.
Directeur des Affaires culturelles au ministère de l’Éducation nationale, puis directeur du Service universitaire des relations avec l’étranger et l’Outre-Mer, il présida le Bureau international d’éducation à partir de 1948. Il fut chargé de nombreuses missions à l’étranger comme inspecteur, membre de la Commission d’étude pour l’application de divers accords culturels ; il s’intéressa tout particulièrement à l’enseignement au Moyen-Orient.
Marcel Abraham, auteur d’articles dans les revues pédagogiques en langue française, écrivit des recueils poétiques comme Routes (1932) ou des essais comme Paysages (1933), collabora à la Nouvelle Revue Française et à la Nef. Il joua un rôle important dans la création en 1946 de l’association des amis de Jean Zay devenue « les amis de Jean Zay et de Marcel Abraham » qu’il présida. Il adhérait aussi à l’Alliance israélite universelle.
Resté célibataire, il était commandeur de la Légion d’honneur depuis 1952, et titulaire de la rosette de la Résistance.
Par Jacques Girault, Jean-Marie Guillon
SOURCES : Arch. Nat., 312AP/1-312AP/16. — Arch. Nat. Base Léonore, dossier personnel de la Légion d’honneur. — Arch. Dép. (Seine-et-Oise/Yvelines), 166J ms1 1929. — Arch. Dép. Var, série M, Cabinet. — Guy Caplat, Note biographique, Publications de l’Institut national de recherche pédagogique, 1997/13, p. 143-144. — In memoriam Marcel Abraham, 17 juin 1898-17 février 1955, série de témoignages, imp. Chantenay, 1957. — Claude Aveline, Le Temps mort, Mercure de France, 1962. — Julien Blanc, Au commencement de la Résistance. Du côté du Musée de l’Homme (1940-1941), Éditions du Seuil, 2010. —Jean Cassou, Une vie pour la liberté, R. Laffont, 1981. — Jean-Michel Guiraud, La vie intellectuelle et artistique à Marseille à l’époque de Vichy et sous l’occupation 1940-1944, Marseille, rééd. Jeanne Lafitte. — Agnès Humbert, Notre guerre. Souvenirs de Résistance, 1946, rééd. Tallandier 2004. — Simone Martin-Chauffier, A bientôt quand même, Calmann-Lévy, 1976. — Notes d’Alain Dalançon.