SHE JINGCHENG 佘敬成

Par Alain Roux

Contremaître devenu président du syndicat de la cotonnière Zhongfang n°12.

Ce vétéran communiste fut le 4 avril 1947 le héros malgré lui d’un incident dramatique qui illustre les tensions qui opposaient entre elles les diverses factions plus ou moins mafieuses qui se disputaient le lucratif contrôle du mouvement ouvrier au nom du GMD.
Âgé d’une quarantaine d’années, She Jingcheng était un contremaître devenu président du syndicat de la cotonnière Zhongfang n°12 – Yangtzeepoo Spinning Factory- qui était, avant sa nationalisation en 1945, l’usine japonaise Dakang (Dai Nippon). L’usine comptait 4.309 ouvriers et le syndicat avait été enregistré au BAS le 24 mars 1946. Ce notable ouvrier, qui faisait partie le 2 mai 1946 des quinze membres du bureau d’arbitrage des conflits du travail désignés par le gouvernement municipal GMD et était conseiller suppléant du Sénat municipal était un militant communiste clandestin qui avait milité à Shanghai dans les années 1935-1936 aux côtés du marin Zhu Baoting*. Dès les lendemains de la victoire sur le Japon, profitant du vide laissé par l’effondrement des syndicats liés au gouvernement « fantôche » de Wang Jingwei et avant que Lu Jingshi* n’ait eu le temps d’asseoir le contrôle de la clique CC sur le monde du travail, She Jingcheng avait mis sur pied un syndicat « démocratique ». La tenue dans le hall du dortoir des femmes de l’usine le 8 mars 1946 d’un meeting suivi par 1.500 ouvrières - d’après Emily Honig - où la militante féministe He Ziying* avait présenté l’heureux sort de la femme soviétique et, surtout, la participation du syndicat à la manifestation du 23 juin 1946, avaient éveillé les soupçons d’un chef d’équipe, Liu Jilin, qui était un agent du zhongtong, la police secrète de Chen Lifu et de la clique CC : il avait recruté quelques comparses pour surveiller She Jingcheng et susciter quelques incidents susceptibles de le compromettre. Le 4 avril, jour de paie pour la dernière quinzaine du mois de mars, des aides comptables qui passaient dans les ateliers avec leurs sacoches et avaient pris l’habitude de retenir les cotisations syndicales sur les salaires qu’ils avaient la charge de distribuer, se virent interdire par un groupe d’ouvriers très excités l’accès à l’atelier de tissage. Le ton monta très vite. Liu Jilin était au centre de l’altercation : il déclara à des émissaires du syndicat venus aux nouvelles que les ouvriers refusaient la retenue à la source de cotisations qui allaient dans les poches d’un syndicat de pourris. Approuvé bruyamment par des dizaines d’ouvriers, il accusa She Jingcheng d’avoir organisé un racket en forçant les ouvriers à payer 10.000 yuan des billets de théatre qui n’en valaient que 3 000. De fait, le syndicat avait, la veille de l’incident, placardé des affiches où il dénonçait « certains individus » qui se réclamaient abusivement du syndicat pour extorquer de l’argent aux ouvriers. She Jingcheng, accouru, donnait cette version des faits à des ouvriers qu’il avait réunis dans un atelier contigu, quand Liu et les contestataires les plus déterminés forcérent la porte : dans la confusion qui suivit leur intrusion, un coup de feu partit accidentellement du pistolet que portait She Jingcheng en tant que membre de l’équipe de protection de l’usine (bao’andui )et dont Liu et She se disputaient la possession. La balle tua Liu ainis qu’un employé qui passait. La police alertée parvint à soustraire She du lynchage qui le menaçait, tandis que deux de ses gardes du corps étaient blessés. Le lendemain, deux versions de l’incident firent la une des journaux, l’une dénonçant et déplorant les pratiques mafieuses des syndicats, l’autre limitant l’affaire à un accident malheureux. Le Shenbao insistait sur le courant de solidarité envers les « malheureuses victimes » qui provenait des ouvriers du coton de Yangshupu et sur le rôle qu’y jouait le Fulihui de Lu Jingshi*, tandis que, dès le 7, Wu Kaixian* adressait un rapport au maire C.T.Wu où il faisait porter au contraire l’entière responsabilité du drame sur les agents provocateurs du zhongtong. Notons que She Jingcheng était bien à cette époque en étroit rapport avec le PCC : Zhang Qi nous dit dans ses souvenirs que le 27 mai 1949, il avait personnellement veillé à le faire sortir de la prison de Tilanqiao ( ex Ward Road) où il était détenu depuis l’affaire et le 30 il siégeait à la tribune officielle lors de la cérémonie de la « libération » de Shanghai. Il ne semble pas avoir joué de rôle notoire par la suite, tandis que, dès 1951, l’histoire officielle faisait de cette sombre affaire un épisode glorieux des luttes ouvrières menées par la cellule de la Zhongfang n°12 et présentait les deux morts comme des communistes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article252057, notice SHE JINGCHENG 佘敬成 par Alain Roux, version mise en ligne le 10 novembre 2022, dernière modification le 10 novembre 2022.

Par Alain Roux

SOURCES : Roux, 1991, pp 1604-1607. — Le rapport de Wu Kaixian se trouve dans les archives « sensibles » (jiyaoshi) de la municipalité de Shanghai.

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