CORTÈS Gustave, Napoléon, dit GAILLARD fils, dit CORTÈS-GAILLARD

Par Jean-Louis Robert

Né le 1er juin 1847 à Nîmes (Gard), mort en 1906 ; artiste peintre et dessinateur, poète et homme de lettres, communard puis socialiste-révolutionnaire.

Fils naturel de Maria Cortès, 23 ans, couturière, Gustave Cortès ne fut pas reconnu par son père Napoléon Gaillard qui avait cependant déclaré sa naissance à l’état-civil de Nîmes. Napoléon Gaillard s’occupa toutefois de son fils et Gustave Cortès vint sans doute avec lui lorsque son père s’installa à Paris dans les années 1860.
À compter de 1868, Gustave Cortès se fit connaître sous le nom de Gaillard fils (parfois prénommé Auguste) qu’il conserva plus d’un quart de siècle. Le père et le fils devinrent des orateurs connus des clubs du XXe arrondissement. La grande proximité du père et du fils est aussi bien notée dans le dossier contumace de Gaillard fils qui « passe pour partager les opinions de son père (…) communiste », que dans Le Charivari ou Le Figaro qui les rapprochent physiquement et intellectuellement (le fils cependant étant donné meilleur en français et en dessin que son père), tous les deux portant un béret rouge.
Gaillard fils se fit connaître par un discours qui retint l’attention lors d’une réunion au Vaux-Hall, le 24 août 1868. Devant plusieurs milliers de personnes, il évoqua ses idées sur la condition féminine. Tout en se prononçant pour la totale « liberté intellectuelle et physique de la femme », il reprit la thèse proudhonienne sur la place de la femme mariée au ménage, ce qui nécessitait que l’ouvrier gagne un salaire élevé pour nourrir sa famille.
Le 2 novembre 1868, Gaillard fils participa à la manifestation de quelques centaines de personnes devant la tombe d’Eugène Baudin au cimetière Montmartre. Il y déclama une poésie qui se terminait par : « Mais le règne insolent d’un pouvoir tyrannique jusqu’à la fin des temps non ne saurait durer. » Pour ces faits, le 14 novembre 1868, Gaillard fils fut condamné par le tribunal correctionnel de la Seine à un mois de prison et 150 f d’amende pour « manœuvres à l’intérieur dans le but de troubler la paix publique ou d’exciter à la haine et au mépris du gouvernement de l’Empire. » Pendant son emprisonnement, il écrivit un article dans le  Journal de Sainte-Pélagie qu’avait lancé Jules Vallès.
Pour vivre, Gaillard fils exploitait ses talents artistiques en travaillant comme peintre sur porcelaine. En 1869 Gaillard père et fils fondèrent un journal, Les Orateurs des clubs, qui connut quatre numéros où Gaillard fils livra des caricatures de Gustave Lefrançais, Louis Briosne, Paule Minck et Frédéric Ducasse (pas connu du Maitron). Il est possible qu’il ait adhéré à l’AIT, « cela paraît probable » indiquait son dossier contumax.
Comme beaucoup, Gaillard fils se rallia après le 4 septembre à la défense nationale. Dans un article du 20 septembre 1870, il rappela son opposition aux guerres qui exterminaient les peuples, mais il y avait maintenant le devoir de vaincre les barbares. Les soldats allemands n’étaient plus de hommes, écrivit-il, et il dénonçait les républicains prussiens qui soutenaient la barbarie. Gaillard fils demandait aussi vigilance et armement du peuple. Il fut d’ailleurs membre du comité de vigilance du 20e arrondissement. En novembre 1870, dans une réunion, il assura qu’en refusant de libérer les captifs, le gouvernement déclarait « la guerre à Belleville. » Il créa aussi un éphémère Œil de Marat, journal bellevillois de la Ligue républicaine. Pendant le siège, Gaillard fils réalisa aussi de nombreux dessins sur la défense de Paris et les batailles en province.
Pendant la Commune, Gaillard fils continua à dessiner en s’orientant vers la caricature anti-versaillaise. Il réalisa une série L‘Actualité de sept dessins. Un journal versaillais écrivit que son père fit pression sur l’éditeur pour qu’il accepte ces dessins. C’est aussi Gaillard père qui nomma son fils capitaine adjudant-major du « bataillon des barricadiers. » Selon les sources, Gaillard fils habitait 56 rue de Ménilmontant ou 74 rue Julien Lacroix (chez son père) (XXe arrondissement).
Bien que la presse ait répandu la nouvelle de son arrestation, Gaillard fils put s’enfuir de Paris après la Commune. Par contumace, le 16e conseil de guerre le condamna, le 18 octobre 1872, à la déportation dans une enceinte fortifiée. Il s’installa à Genève avec son père et y vécut la vie des exilés. Il décora de ses dessins et tableaux la célèbre « buvette de la Commune » à Carouge que tenait son père, et qui devint un vrai lieu mémoriel de la révolution. Pendant cette période il écrivit nombre de souvenirs et de poésies. Gaillard fils, exclu de l’amnistie partielle, signa les protestations des exilés en Suisse des 28 mars 1879 et du 8 janvier 1880.
Revenu à Paris après l’amnistie totale, Gaillard fils connut, avec son père, les difficultés du retour d’exil. Un article, « La Ballade de Gaillard père », montrait leur souffrance devant le très faible nombre de voix obtenus par les candidats anciens communards aux élections municipales parisiennes du 9 janvier 1881.
Pendant une quinzaine d’années, Gaillard fils continua le combat social. Il écrivit de très nombreux articles, poésies ou chansons révolutionnaires comme Le Triomphe de la Commune ! (en 1883), ou Pour les mineurs ! (en 1886), Il n’est qu’une patrie !, Le Chant des exploités (en 1896). Il collaborait pour ces écrits avec le pittoresque écrivain populaire Charles More. Gaillard fils continuait aussi à réaliser des dessins ou tableaux politiques. Il participait souvent aux commémorations de la Commune en lisant ses poésies.
Gaillard fils militait aussi au Parti ouvrier et en 1890, il choisit de se rallier au POSR (Parti ouvrier socialiste révolutionnaire). Habitant 79 rue Blomet, il fut secrétaire adjoint du groupe central du XVe arrondissement de son parti. Il participait encore aux activités de ce groupe en 1897. En 1896, il fut un des membres fondateurs de l’école de propagande du POSR. Il donnait des conférences dans les sections parisiennes. Dans l’une d’entre elle, il défendit le communisme « égalitaire » contre le communisme « libertaire » trop outré, alors que le premier tenait à la notion de « devoir. » Il donna une de ses œuvres d’art, Le 18 mars, au profit des grévistes verriers en 1896.
Autour de 50 ans, entre 1895 et 1897, Gustave Cortès changea plusieurs aspects de sa vie personnelle. Tout d’abord, il abandonna progressivement le nom de Gaillard fils pour prendre le nom de Cortès-Gaillard avec lequel il signa désormais ses œuvres. Ce retour au premier plan du nom de sa mère et l’abandon de cette image de « fils de » Napoléon Gaillard indiquaient sans doute une démarche psychologique.
Par ailleurs, après 1897, Gustave Cortès n’apparut plus dans les réunions du Parti socialiste. En resta-t-il membre à la base ? Nous n’avons pas la réponse.
Enfin, Cortès-Gaillard s’engagea sur de nouveaux chemins professionnels. En décembre 1895, avec des amis de son XVe arrondissement, il fonda une société en commandite, « La Prévoyante », visant à réaliser tous travaux de peinture. Les statuts de la société prévoyaient cependant que les ouvriers seraient payés au tarif syndical et qu’elle se transformerait dès que possible en coopérative de production.
Cortès-Gaillard devint aussi un important critique d’art. Sous ce nom, il avait commencé à signer des articles dans La Plume dès le début des années 1890. Puis il écrivit dans les grandes revues comme Le Journal des artistes, La Revue bleue, Le Mercure de France, La Revue d’art, La Revue littéraire de Paris. Ses articles s’intéressaient à l’esthétique moderne et aux rapports entre l’évolution de la société et de l’art. Dans l’un d’entre eux, il s’interrogea sur l’issue de « l’époque révolutionnaire et novatrice » dont sa génération avait été imprégnée dans les années 1860/70 et conclut sur l’art comme seul porteur du changement en cette fin du XIXe siècle. Cortès-Gaillard était aussi membre de la société populaire des Beaux-Arts et il participa, peu avant sa mort, au début de 1906, à la création d’une Maison du Peuple, « association républicaine d’intellectuels » où il côtoyait d’anciens communards comme Louis Xavier de Ricard et Fernand Clerget (pas connu du Maitron).
Cortès-Gaillard changea aussi ses façons artistiques. Il abandonna les dessins et tableaux révolutionnaires pour se consacrer à des commandes plus diverses. Sous son nom de Cortès-Gaillard (ou d’un nouveau pseudonyme, Argus), il signa ainsi des commandes de copies pour l’État et la direction des Beaux-Arts. Un de ses tableaux- une copie de très grande taille de La Liberté guidant le Peuple de Delacroix- peut ainsi être vu, depuis le début de 2022, dans le hall du lycée Jean Lurçat de Saint-Céré.
Les sources de la direction des Beaux-Arts indiquent que Gustave Cortès, dit Gaillard fils, dit Cortès-Gaillard, mourut en 1906.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article252144, notice CORTÈS Gustave, Napoléon, dit GAILLARD fils, dit CORTÈS-GAILLARD par Jean-Louis Robert, version mise en ligne le 8 novembre 2022, dernière modification le 8 novembre 2022.

Par Jean-Louis Robert

ŒUVRES
Nous retenons :
Caricatures, dessins, tableaux
Pendant la Commune : Série « L’actualité » : Thiers 1er, roi des capitulards - Mars 1871. Les Messieurs de la Paix : M. Thiers - Thiers le dompteur (trois variantes) - Mars 1871. Ce qui les attend - Avril 1871. Ils sont là !!! ; La République universelle, chant socialiste des travailleurs.
Postérieurs à la Commune – Série « Souvenirs historiques et révolutionnaires » : Le 18 mars - Les derniers jours de la Commun .
L’estaminet français, « la buvette de la Commune » à Carouge, vers 1872
Delacroix, La Liberté guidant le peupl (copie), 1897
Écrits
Mes pensées, Le goût du jour. Morte perdue, Nîmes, 1868, in-8°, 8 p., Bibl. Nat., Ye 43.430. — « Plus de Fils », Journal de sainte-pélagie, décembre 1868, - Les orateurs des clubs, quatre numéros en 1869 - « Aux tirailleurs de Belleville », L’œil de Marat, 30 novembre 1870 – Le pape à six sous, par un hérétique, 1874 – Poésies de l’exil. Le Peuple, la Commune, Versailles, Genève, 1872, in-8°. Seconde édition modifiée en 1875 – « Némésis révolutionnaire. Caméléons politiques », La question sociale, Gambetta en janvier 1885, Jules Ferry en février 1885, Félix Pyat en mars 1885 – « La fin du siècle et l’art », La Revue de l’art, 5 septembre 1896 - En collaboration : Les Proscrits français et leurs calomniateurs..., Genève, 1880, 38 p ; I F H S.

SOURCES : État-civil de Nîmes ; AN BB 24/855, n° 1864 et F/21/4191 ; SHD 8J386 ; Inv. FNAC 1104 Centre national des arts plastiques ; Le Français, 27 août et 12 novembre 1868, 21 novembre 1876 ; Le Droit, 14 et 15 novembre 1868 ; La Démocratie, 21 février 1869 ; Le Charivari, 28 février 1869 ; La Patrie en danger, 20 septembre et 6 novembre 1870 ; Le Tribun du Peuple, 6 novembre 1870 ; Le Figaro, 30 octobre 1869 ; Le Journal des débats, 11 novembre 1870 : La Liberté, 23 juin 1871 ; Le Monde illustré, 27 avril 1872 ; La Gironde, 25 juin 1872 ; « La chronique de Bernardille – la ballade de Gaillard père », La Gazette nationale, 12 janvier 1881 ; Le Parti ouvrier ; Le Cri du Peuple ; Le Matin 30 décembre 1895 ; Bulletin Municipal Officiel de la Ville de Paris, 12 décembre 1895 ; La Dépêche, 26 décembre 1896 ; Le Journal des artistes, 21 juin 1896 et 11 avril 1897 ; La Revue bleue, 25 juillet 1896 ; La Plume ; Le Mercure de France, 1899 ; Revue littéraire de Paris, 1er janvier 1906 ; L. Descaves, Philémon..., op. cit., pp. 196-197. — La Comune di Parigi (G. Del Bo), op. cit. — M. Dommanget, Blanqui et l’opposition révolutionnaire..., op. cit. ; Jean Berleux, La caricature politique en France pendant la guerre, le siège de Paris et la Commune, Paris, Labitte, 1890.

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