ZEWDIE Gennet

Par Pierre Guidi

Militante, universitaire et femme politique éthiopienne née en 1948 ; membre du mouvement étudiant éthiopien puis de l’Ethiopian People Revolutionary Party (années 1960-70) ; emprisonnée de 1979 à 1986 ; membre de l’Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF) et ministre de l’Éducation de la République fédérale démocratique d’Éthiopie (1991-2006) ; ambassadrice d’Éthiopie en Inde (2006-2014).

Ethiopian women activist, academic and politician born in 1948 ; member of the Ethiopian student movement and then of the Ethiopian People’s Revolutionary Party (1960s-70s) ; imprisoned from 1979 to 1986 ; member of the Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF) and Minister of Education of the Federal Democratic Republic of Ethiopia (1991-2006) ; Ethiopian Ambassador to India (2006-2014)

Gennet Zewdie naît le 5 mai 1948 à Dessie, dans la région éthiopienne du Wello. Elle est élevée, avec sa sœur et ses cinq frères, par sa mère et son beau-père. Son beau-père est commerçant. Sa mère a été scolarisée dans les années 1940 à l’école Impératrice Menen à Addis-Abeba, établissement destiné à former les élites féminines de la nation. Gennet Zewdie débute sa scolarité à Dessie (grades 1-3), avant d’aller à Addis-Abeba pour intégrer à son tour l’école Impératrice Menen (grades 4-6), puis l’école Prince Mekonnen jusqu’au grade 8, qui marque la fin des études primaires. En 1963, elle entre à l’école Teferi Mekonnen pour des études secondaires en section Commerciale. Élève en grade 10, elle est très marquée par les thèses de Lénine sur la "Question des femmes", présentées en classe par l’une de ses camarades dans un cours dirigé par un enseignant du Peace Corps qui encourage les élèves à lire et présenter des œuvres politiques. C’est alors qu’elle commence à militer au sein du mouvement étudiant éthiopien, dont l’obédience marxiste se renforce au cours des années 1960. A la fin de ses études secondaires, elle milite avec plusieurs camarades auprès du ministère de l’Éducation pour que les femmes ne soient plus cantonnées dans les filières professionnelles "féminines" et aient accès à l’université. Elle participe en même temps aux activités du mouvement étudiant, tout en regrettant le fait les femmes soient cantonnées à des rôles subalternes. Ainsi, en tant qu’élèves en section commerciale, elle et ses camarades sont sollicitées pour taper les revues étudiantes à la machine mais jamais pour commenter ou proposer des articles.

Après ses études secondaires, elle obtient un diplôme en Business Education à la Commercial School de l’université d’Addis-Abeba. En 1970, elle est reçue à l’université de New Hampshire au États-Unis où elle obtient en 1973 un Bachelor of Arts en Business Education. Aux États-Unis, elle continue ses activités militantes en participant aux mouvements pour les droits civils, contre la guerre du Vietnam et pour les droits des femmes.

De retour en Éthiopie fin 1974, peu après la destitution de l’empereur Haile Selassié, elle enseigne à l’université d’Addis-Abeba et devient membre de l’Ethiopian People Revolutionary Party (EPRP). Fondé clandestinement en avril 1972 sous le nom de Ethiopian People Liberation Organization, ce dernier déclare officiellement son existence à la faveur de la révolution et s’oppose rapidement au Derg, le comité militaire qui s’est emparé du pouvoir. Elle participe à l’Ethiopian Women’s Coordinating Committee, mis en place pour mobiliser les femmes en faveur de la révolution. Issu d’un premier séminaire tenu en février 1975, ce comité se composait de 18 militantes et était supervisé par un membre du comité politique du Derg, le lieutenant Alemayehu Haile. Parmi les membres du comité appartenant à l’EPRP figuraient notamment Daro Negash, présidente du syndicat des travailleurs de l’imprimerie Berhanena Selam, et Negist Tefera, infatigable militante de l’organisation des femmes. Le comité comptait également des membres du Meison - l’autre parti marxiste qui défendait lui la position d’une "collaboration critique" avec le Derg - dont Atnaf Yimam et Engudai Bekele. Les mandats du comité étaient de diffuser de la documentation et d’établir des groupes de discussions dans les quartiers et lieux de travail, afin de créer une association de femmes à l’échelle nationale. Un second séminaire, tenu en avril 1975, a réuni plus de 300 femmes de diverses institutions publiques et privées ainsi que du secteur informel, comme des femmes au foyers, des travailleuses domestiques et des travailleuses du sexe. Mais le travail conséquent réalisé a été vite miné par les conflits entre membres de l’EPRP et du Meison. L’EPRP ayant gagné la faveur des participantes, le Derg a commencé par réprimer le comité avant de l’abolir. Gennet Zewdie et ses camarades entrent alors dans la clandestinité.

En 1976-1978, pendant les deux années de Terreur Rouge orchestrées par le Derg, Gennet Zewdie travaille à l’organisation clandestine de l’EPRP, visant à renverser les militaires pour mettre en place un gouvernement civil. Elle participe notamment à la branche féminine du parti, l’Ethiopian Women Organization for Struggle. A la même période, elle se marie et donne naissance à deux filles, une née fin 1976, l’autre début 1978. En juillet 1979, elle est arrêtée et emprisonnée, ainsi que son mari, dans un Keftegna, unité administrative servant aussi de centre de détention et de torture. Elle est plus tard transférée à la prison centrale de Kerchele, où sont emprisonné·es les militant·es qui n’ont pas été sommairement exécuté·es dans leur précédents lieux d’emprisonnement. Pendant ses quatre ans et demi de détention, les deux filles de Gennet Zewdie sont confiées à sa mère. Au Keftegna, elle cotise avec d’autres militantes forcées de soudoyer les gardiens afin de pouvoir voir leurs enfants. A la prison de Kerchele, elle participe aux comités de prisonniers politiques pour lutter contre les mauvais traitements et organiser la vie en prison. Un magasin communautaire est établi, de nouveaux bâtiments et un four sont notamment construits. Par ailleurs, les prisonniers politiques mettent en place un système scolaire primaire et secondaire complet, des enseignements de niveau supérieur, ainsi que des cours d’alphabétisation. Gennet Zewdie y enseigne l’histoire. La détention en commun avec des personnes de classes sociales et de groupes culturels très variés lui font découvrir des facettes de l’Éthiopie pour elle inconnues jusqu’alors. Elle est notamment très marquée par les témoignages de prostituées qui lui racontent les violences sexuelles qu’elles ont subies.

Libérée en novembre 1983, elle réintègre l’université d’Addis-Abeba comme enseignante et chercheuse. En 1986, elle obtient une bourse de la Fondation Ford pour un MA en Business Education à l’université de Suffolk à Boston, Massachusetts, dont elle sort diplômée en juin 1986. Elle retourne ensuite à l’université d’Addis-Abeba où elle occupe notamment le poste doyenne du programme de Business Education. En 1987, elle se sépare de son mari parti enseigner au Royaume-Uni, ne souhaitant pas "devenir un lave-vaisselle" en Europe.
En 1991, elle rejoint l’Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF), la coalition dominée par le Tigray People’s Liberation Front qui a renversé le Derg et pris le pouvoir à Addis-Abeba. Fin 1991, elle est nommée vice-ministre de l’Éducation puis, huit mois plus tard, ministre de l’Éducation. Elle occupe ce poste pendant 13 ans, jusqu’en 2006, année pendant lesquelles elle œuvre à la réforme scolaire qui, conformément à la politique fédérale de l’EPRDF, instaure l’éducation primaire en langues régionales. En 1992, elle cofonde le Forum for African Women Educationalists (FAWE) dont elle préside la section éthiopienne. De 1993 à 2000, elle représente l’Afrique de l’Est au Conseil exécutif de l’Unesco. Elle fait partie des 60 femmes qui ont contribué aux 60 ans de l’Unesco, présentées dans un ouvrage publié en 2007 par cette organisation.

Entre 2006 et 2014, elle est ambassadrice d’Éthiopie en Inde. Tout en travaillant à renforcer les relations entre l’Éthiopie et l’Inde, notamment dans les domaines du commerce, de l’investissement et du crédit, elle passe une thèse de doctorat à la School for International Studies de l’université Jawaharlal Nehru de New Delhi. En 2014, elle publie l’ouvrage Resistance, Freedom and Empowerment : The Ethiopian Women’s Struggle. En 2016, elle fonde le Women Strategic Development Center, situé dans les prémisses de l’Ethiopian Civil Service University. En 2018, elle publie l’ouvrage No One Left Behind : Redesigning the Ethiopian Education System. Elle vit actuellement à Addis-Abeba.

English version

Gennet Zewdie was born on 5 May 1948 in Dessie, in the Ethiopian region of Wello. She was raised, together with her sister and five brothers, by her mother and stepfather. Her stepfather was a trader. Her mother was educated in the 1940s at the Empress Menen School in Addis Ababa, an institution designed to train the nation’s women elite. Gennet Zewdie began her schooling in Dessie (grades 1-3), before moving to Addis Ababa to attend Empress Menen School (grades 4-6), and then Prince Mekonnen School until grade 8, the end of primary education. In 1963, she entered Teferi Mekonnen School for secondary studies in the Commercial section. As a student in grade 10, she was deeply influenced by Lenin’s theses on the "Women’s Question", presented in class by one of her classmates in a course led by a Peace Corps teacher who encouraged students to read and present political works. She gradually became active in the Ethiopian student movement, which became increasingly Marxist during the 1960s. When she finished secondary school, she and several other students lobbied the Ministry of Education to ensure that women were no longer confined to "female" vocational courses and were given access to university. At the same time, she participated in the activities of the student movement, while regretting the fact that women were confined to subordinate roles. For example, as a student in the commercial section, she and her classmates were asked to type up student journals but never to comment or propose articles.

After high school, she obtained a degree in Business Education from the Commercial School of Addis Ababa University. In 1970, she was accepted to the University of New Hampshire in the United States where she obtained a Bachelor of Arts in Business Education in 1973. In the United States, she continued her activism by participating in the civil rights movement, anti-Vietnam War and women’s rights movements.
Returning to Ethiopia in late 1974, shortly after the removal of Emperor Haile Selassie, she taught at Addis Ababa University and became a member of the Ethiopian People Revolutionary Party (EPRP). Founded clandestinely in April 1972 under the name Ethiopian People Liberation Organization, the EPRP officially declared its existence during the revolution and quickly opposed the Derg, the military committee that had seized power. She joined the Ethiopian Women’s Coordinating Committee, which was set up to mobilise women for the revolution. The committee, which grew out of a first seminar held in February 1975, consisted of 18 women activists and was supervised by a member of the Derg political committee, Lieutenant Alemayehu Haile. The EPRP members of the committee included Daro Negash, chairperson of the Berhanena Selam Printing Workers’ Union, and Negist Tefera, a tireless campaigner to organise women. The committee also included members of Meison - the other Marxist party that advocated the position of "critical collaboration" with the Derg -, as Atnaf Yimam and Engudai Bekele. The committee’s roles were to disseminate literature and establish discussion groups in neighbourhoods and workplaces, with a view to creating a national women’s association. A second seminar, held in April 1975, brought together over 300 women from various public and private institutions as well as from the informal sector, such as housewives, domestic workers and sex workers. But the substantial work done was soon undermined by conflicts between members of the EPRP and Meison. As the EPRP gained favour with the participants, the Derg initially repressed and eventually abolished the committee. Gennet Zewdie and her comrades went underground.

In 1976-1978, during the two years of Red Terror orchestrated by the Derg, Gennet Zewdie worked in the clandestine organisation of the EPRP, aiming at overthrowing the military to set up a civilian government. She was also involved in the women’s wing of the party, the Ethiopian Women Organization for Struggle. At the same time, she got married and gave birth to two daughters, one born at the end of 1976, the other in early 1978. In July 1979, she was arrested and imprisoned, as was her husband, in a Keftegna, an administrative unit that also served as a detention and torture centre. She was later transferred to Kerchele Central Prison, where activists who were not summarily executed in their previous places of imprisonment were held. During her four and a half years in detention, Gennet Zewdie’s two daughters were placed in the care of her mother. In the Keftegna, she shared money with other women activists who were forced to bribe the guards in order to see their children. In Kerchele prison, she participates in political prisoners’ committees to struggle against ill-treatment and organise life in prison. A community shop was established, new buildings and an oven were built. In addition, the political prisoners set up a comprehensive primary and secondary school system, higher education and literacy classes. Gennet Zewdie taught history. Living together with people from different social classes and cultural groups made her discover aspects of Ethiopia that were unknown to her until then. She was particularly struck by the testimonies of prostitutes who told her about the sexual violence they had suffered.

Released in November 1983, she returned to Addis Ababa University as a teacher and researcher. In 1986, she was awarded a Ford Foundation scholarship for an MA in Business Education at Suffolk University in Boston, Massachusetts, from which she graduated in June 1986. She then returned to Addis Ababa University where she served as Dean of the Business Education programme. In 1987, she separated from her husband who had gone to teach in the UK, not wishing to "become a dishwasher" in Europe.

In 1991, she joined the Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF), the coalition of parties dominated by the Tigray People’s Liberation Front that overthrew the Derg and took power in Addis Ababa. At the end of 1991, she was appointed Deputy Minister of Education and then, eight months later, Minister of Education. She held this position for 13 years, until 2006, when she worked on the school reform which, in line with the federal policy of the EPRDF, introduced primary education in regional languages. In 1992, she co-founded the Forum for African Women Educationalists (FAWE) and chaired its Ethiopian chapter. From 1993 to 2000, she represented East Africa on the Executive Board of UNESCO. She is one of the 60 women who contributed to the 60 years of UNESCO, presented in a book published in 2007 by this organisation.

Between 2006 and 2014, she served as Ethiopia’s ambassador to India. While working to strengthen Ethiopia-India relations, particularly in the areas of trade, investment and credit, she completed her PhD at the School for International Studies, Jawaharlal Nehru University, New Delhi. In 2014, she published Resistance, Freedom and Empowerment : The Ethiopian Women’s Struggle. In 2016, she founded the Women Strategic Development Center, located in the premises of the Ethiopian Civil Service University. In 2018, she published No One Left Behind : Redesigning the Ethiopian Education System. She currently lives in Addis Ababa.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article252289, notice ZEWDIE Gennet par Pierre Guidi, version mise en ligne le 14 novembre 2022, dernière modification le 14 novembre 2022.

Par Pierre Guidi

Sources :
- Entretien de Gennet Zewdie avec Marie-Jane Wagle, septembre 2014.
- Entretien de Gennet Zewdie avec Pierre Guidi, 6 avril 2022.
- Kiflu Tadesse, The Generation : the History of the Ethiopian People’s Revolutionary Party. Part 1, Lanham, University Press of America : Lanham, 1993.
- Simeneh Ayalew Asfaw, 2004, A History of Kerchele (1974-1991), MA thesis, Addis Ababa University School of Graduate Studies.

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