Par André Balent
Né le 8 février 1885 à Trassanel (Aude), exécuté le 22 avril 1944 à Fournes-Cabardès (Aude) par des soldats allemands ; maréchal-ferrant, forgeron ; maire de Trassanel, élu en 1929 ; proche du Parti socialiste SFIO ; résistant de l’Armée secrète (AS), a contribué à la mise en place du premier maquis (AS) de Trassanel (Aude), dans le Minervois et le Cabardès ; homologué capitaine des FFI
Edmond Agnel naquit à Trassanel, un petit village du Cabardès, sur le flanc méridional de la Montagne Noire. Trassanel avait une population de 92 habitants en 1906 et de 46 en 1936. Il était le fils d’Alexis Agnel, né en 1852, maréchal-ferrant à Trassanel et de Thérèse Vergnes née en 1866. Le prénom de sa mère, tel qu’il figure sur sa fiche matricule de recrutement militaire, est « Trasilles », un diminutif occitan de « Teresa » avec une orthographe francisée.
Edmond avait un frère, Paul, né en 1887. En 1906, les parents et les deux fils furent recensés (2 avril 1906) comme formant un ménage unique. Les trois hommes exerçaient ensemble la profession de « maréchal-ferrant ». Toutefois, lorsqu’il passa le conseil de révision, la fiche du registre matricule mentionne qu’il résidait à Peyriac-Minervois (Aude), à la limite de l’Hérault, mais relativement proche de son village natal. Ce document indique qu’il y exerçait aussi la profession de maréchal-ferrant. Edmond Agnel dépendait du bureau de recrutement de Narbonne. Il fut incorporé le 7 octobre 1906 au 13e régiment de Chasseurs à cheval, en garnison à Béziers (Hérault). Il fut rendu à la vie civile le 25 septembre 1908. Le 19 avril 1910, il se maria à Trassanel avec Marie-Louise Bouisset (Mazamet, Tarn, 24 décembre 1887 – Trassanel, 15 mai 1981) fille de Jacques (1850-1911) et de Rose Joulia (1850-1911). Il s’établit ensuite définitivement à Trassanel où il apparait comme exerçant les professions de maréchal-ferrant et de forgeron.
Edmond Agnel fut mobilisé le 2 août 1914 et affecté au 1er régiment de Hussards. « Aux armées », dès le 4, il participa pendant l’été 1914 à la campagne en Lorraine, guerre de mouvement pendant laquelle la cavalerie fut très sollicitée. Par la suite, comme la plupart des cavaliers du front occidental, il combattit le plus souvent à pied, dans les tranchées (guerre de position), sauf dans la dernière phase de la guerre en 1918. À partir du 24 février 1917, il fut affecté au 2e régiment de Dragons. Il fut démobilisé le 1er mars 1919. Il reçut la médaille de la victoire (20 juillet 1922).
Il vécut ensuite paisiblement dans son petit village, où, forgeron, il fut élu maire en 1929 et réélu en 1935. Il fut maintenu en fonctions par Vichy. Laurent Durand, un des cadres du secteur du Minervois et du Cabardès de l’AS, chargé de la mise en place de maquis, en particulier du premier maquis de Trassanel, connaissait Edmond Agnel de longue date expliqua, après la guerre que ce dernier « (…) était un homme bon et généreux, animé de sentiments socialistes de longue date, toujours prêt à rendre service, très fort de caractère (…) » (témoignage de Laurent Durand in Lucien Maury, op. cit., p. 115).
À partir de 1943, la Montagne Noire devint un lieu d’implantation de maquis (Trassanel et Les Ilhes-Cabardès (Aude), 8 août 1944) relevant pour la plupart de l’Armée secrète (AS) : Corps franc de la Montagne Noire (théoriquement AS, mais relevant de fait du Service operations executive britannique) ; « premier maquis » (AS), dit de Trassanel, localité où il fut cantonné en second lieu, créé en juin 1943 dans la plaine du Minervois par Louis Raynaud alias « Rollet » et son adjoint Laurent Durand qui, du fait de l’augmentation de ses effectifs, se replia dans le Cabardès, dans la Montagne Noire ; maquis « Armagnac » (AS) implanté lui aussi plus tard près de Trassanel (« deuxième maquis » de Trassanel), créé au début de 1944 à l’initiative de Jean Bringer, chef départemental de l’AS et commandé par Antoine Armagnac qui lui donna son nom. Agnel avait intégré le secteur du Minervois et du Cabardès de l’AS. Ce fut à ce titre qu’il fut impliqué dans l’aide à un maquis en cours de constitution.
La Sipo-SD de Carcassonne, dans sa traque des maquis en cours de constitution et de renforcement, soupçonna Edmond Agnel de complicité avec le maquis fondé par Raynaud et Durand dont elle avait eu connaissance de ses prospections dans le Cabardès, près de Trassanel, dans cette commune et dans des villages voisins. En effet, Laurent Durand, de Villeneuve-Minervois, chef adjoint du « premier maquis » de Trassanel avait pris contact avec Edmond Agnel avec qui il entretenait de longue date des liens d’amitié. Agnel accepta de collaborer dans une tache de relocalisation du maquis dans la montagne rendue nécessaire par l’afflux croissant de réfractaires du STO. Edmond Agnel proposa une grotte de sa commune, éloignée du village. Dès l’hiver 1944, les maquisards, au nombre de 22, vinrent y cantonner. Avec d’autres résistants (parmi lesquels Louis Fourcade qui rejoignit ensuite le Corps franc de la Montagne Noire), parfois repliés à Trassanel, Agnel assurait la logistique du maquis et son ravitaillement. Il participa, avec Laurent Durand et Louis Chiffre de Fournes-Cabardès, à la décision d’aménager un autre refuge pour le maquis dans la commune de Fournes-Cabardès, dans la ferme abandonnée de Montredon, près du hameau de Sériès. Il fallait en effet parer à toute éventualité. Par mesure de sécurité, le maquis quitta la grotte de Trassanel et s’installa dans la ferme de Montredon. Le vol d’un agneau à un berger par deux des maquisards provoqua l’intervention allemande qui provoqua la mort tragique d’Edmond Agnel. Bien que les responsables du maquis payèrent l’agneau au père du berger, ce fâcheux incident s’ébruita et la Sipo-SD de Carcassonne fut au courant. Le NAP (Noyautage des administrations publiques) PTT de l’Aude, informé prévint Laurent Durand. Le maquis quitta la ferme de Montredon, puis, dissous en tant que tel, intégra le maquis (AS) de Citou (Aude), commune du Minervois, sur le flanc de la Montagne Noire, à la limite de l’Hérault. Ce maquis avait été fondé par l’instituteur du village, René Piquemal. Mais la police allemande put avoir accès à une conversation téléphonique entre Edmond Agnel et un habitant de Fournes-Minervois. Sans doute, d’après Laurent Durand, on a là l’origine de la trahison qui fut fatale à Edmond Agnel. Le 22 avril, vers 5 heures du matin, des policiers allemands de Carcassonne accompagnés par des soldats et leur interprète et agent, l’Alsacien René Bach, arrêtèrent d’abord Laurent Durand avant de se rendre à Trassanel afin d’arrêter Edmond Agnel après avoir perquisitionné sa maison. À Fournes-Cabardès, ils arrêtèrent ensuite Théophile Rieussec à son domicile du hameau de Seriès, puis René Busqué et Louis Combrié, le maire de la commune.
Rieussec fut torturé. Il eut le temps de dire à Durand, en occitan, qu’il n’avait pas parlé et qu’ils ne connaissaient pas la planque du maquis dans le hameau, entre temps évacuée. Pendant ce temps-là, Agnel, amené de l’autre côté de la maison de Rieussec était à son tour sauvagement torturé. Bach, l’interprète alsacien (et tortionnaire, à l’occasion), interrogea Durand et l’accusa d’avoir acheté l’agneau pour le maquis. Mais le père du berger, âgé de 75 ans nia et apporta des précisions qui le convainquirent. Comme ni Rieussec, ni Agnel n’avaient parlé sous la torture, Durand fut mis hors de cause. Rieussec et Durand furent conduits derrière la maison du premier, là où se trouvait Agnel, « la figure ensanglantée, mais le regard lucide, gardé par deux soldats » (témoignage de Durand, in Maury, op.cit, p. 118). Ils avaient décidé de l’exécuter par pendaison en le faisant gravir un mur de soutènement, accroché à la branche d’un noyer. Ils obligèrent Agnel à déplacer une des pierres du mur de pierres sèches sur lequel il était juché. La pierre bascula, la branche cassa et Agnel put dire à ses bourreaux qu’il n’était pas mort. Ils renoncèrent après avoir essayé de trouver une autre corde. Julien Allaux donne une version différente de celle rapportée par le témoin interrogé par Lucien Maury. Après lui avoir mis la corde au cou, ils ils ordonnèrent à Rieussec, qui refusa, de le pousser dans le vide. René Bach fit une autre tentative, mais la corde cassa. En définitive, Agnel fut alors exécuté dans le jardin par deux des soldats qui accompagnaient les policiers et leur interprète. Ils se mirent en position couchée afin de l’abattre. René Bach, arrêté après la Libération raconta que Agnel, torturé, dit à ses bourreaux, juste avant son exécution : " je sais que de toute façon,je dois mourir. Que ce soit maintenant, à 59 ans, ou plus tard, ça m’est égal. (...) Vous pouvez toujours le [le maquis] le chercher. vous ne le trouverez pas" (Allaux, op.cit., p. 119). Les Allemands avaient trouvé chez Théophile Rieussec un fusil déposé par un ami. Tous deux furent déportés.
Edmond Agnel fut inhumé au cimetière de Fournes-Cabardès. Une stèle fut érigée sur le lieu de son exécution. Son nom figure sur le monument aux morts de Fournes-Cabardès et sur le monument de Trassanel érigé sur un des bords de la route départementale n° 712, entre Trassanel et Villeneuve-Minervois (Aude), à 1 km au sud du premier village. Y furent gravés : les noms d’Edmond Agnel et d’Henri André, de Salsigne (Aude) ; ceux de quarante-sept victimes des combats du « deuxième » maquis de Trassanel (le maquis « Armagnac »), le 8 août 1944, à la grotte de Trassanel et près de la bergerie du Picarot aux Ilhes-Cabardès (Aude) ; ceux de trois des quatre membres de ce maquis exécutés à Roullens (Aude) le 19 août 1944. Edmond Agnel a donné son nom à une rue de deux communes, Trassanel et à Rieux-Minervois. Chaque année, une cérémonie honore sa mémoire, au mois d’août et, parfois, au mois d’avril, à Trassanel ou à Fournes-Cabardès.
Un décret du 28 décembre 1945, avec effet rétroactif à compter du 1er avril 1944 lui attribua le grade de capitaine à titre posthume. Un autre décret du 3 janvier 1946 lui attribua, toujours à titre posthume, la médaille de la Résistance. Il fut déclaré « interné-résistant » et homologué combattant des FFI (sans mention de grade).
Il y a deux dossiers à son nom, non consultés au Service historique de la Défense (SHD) : avec les cote GR 16 P 3832 (Vincennes) et AC 21 P 733335 (Caen).
Par André Balent
SOURCES : Arch. Dép. Aude, RW 552_01, f° 109, registre matricule, bureau de Narbonne, fiche d’Edmond Agnel. Une fiche dactylographiée y a été adjointe, rappelant la validation, 12 janvier 1950, de ses services armés dans la Résistance (1 jour de campagne !) et envoyée à son épouse le 9 mars 1964 ; 6 M 1354/12, recensement de la population, 1906, Trassanel. — Résistances et clandestinité dans l’Aude, Carcassonne, Conseil général de l’Aude, Archives départementales de l’Aude, catalogue de l’exposition des AD, 2010, 22 p. [p. 12]. — Julien Allaux, La 2e guerre mondiale dans l’Aude, Épinal, Éditions du Sapin d’or, 1986, 254 p. [p. 119]. — Yannis Beautrait, Jean Blanc, Sylvie Caucanas, Françoise Fassina, Geneviève Rauzy, Résistances et clandestinité dans l’Aude. exposition réalisée par les Archives départementales de l’Aude, présentée à Carcassonne du 11 octobre 2010 au 7 janvier 2011, Carcassonne, Département de l’Aude, Archives départementales de l’Aude, 2010, 71 p. [p. 59]. — Lucien Maury (dir.), La Résistance audoise (1940-1944), tome II, Carcassonne, Comité de l’histoire de la Résistance audoise, Carcassonne, 1980, 441 p. [p. 115-120, p. 393]. — Journal officiel de la République française, 13 janvier 1946, p. 339 ; 12 février 1946, p. 1240. — La Dépêche, 22 avril 2022. — Sites MemorialGenWeb, Mémoire des Hommes, Geneanet consultés le 16 novembre 2022.