ARLÈS-DUFOUR François, Barthélemy

Par Notice revue et complétée par Jacques Canton-Debat

Né le 3 juin 1797 à Cette (Sète) (Hérault), mort le 21 janvier 1872 à Vallauris-Golfe Juan (Alpes-Maritimes). Commissionnaire en soieries. Saint-simonien lyonnais.

« Ayant vécu et souffert avec les ouvriers, je ressens une sympathie qui m’attire vers eux, et je me demande quels seraient les moyens les plus efficaces pour alléger le fardeau qui pèse sur toute leur existence. » C’est ainsi qu’Arlès-Dufour résuma son existence.

Issu d’une mère illettrée et d’un père simple soldat - devenu chef de bataillon sous l’Empire -, il interrompit ses études secondaires pour raisons familiales et débuta à Paris « sa vie de lutte et de travail à 16 ans », d’abord comme saute-ruisseau puis comme contremaître dans une fabrique de châles.

Quelques années plus tard, devenu commis-voyageur, il entra en rapports à Leipzig avec les frères Dufour, descendants d’émigrés protestants, qui devaient par la suite lui offrir un emploi dans leur maison de commerce de soieries. Il épousa plus tard une demoiselle Dufour ; d’où son nom d’Arlès-Dufour régularisé administrativement par décret impérial du 12 novembre 1861. La succursale de Lyon lui fut confiée et devint ultérieurement la maison Arlès-Dufour, ce qui fit de lui, selon son propre mot, un « prolétaire enrichi ».

Converti par son ami Enfantin* au saint-simonisme, dont il rejeta cependant toujours les manifestations excentriques, il s’engagea, souvent en étroite liaison avec lui, dans la plupart des grandes affaires commerciales et industrielles du pays. C’est ainsi qu’il fut, successivement ou simultanément :

— dans les banques : membre fondateur et censeur de la Banque de Lyon, censeur de la succursale de Lyon de la Banque de France, cofondateur avec Henri Germain du Crédit Lyonnais, administrateur fondateur de la Société générale du Crédit Industriel et Commercial.

— dans les chemins de fer : administrateur des sociétés de chemins de fer de Paris à Lyon, de Marseille à Avignon, du PLM.

— à la Compagnie Générale Maritime : cofondateur et administrateur.
Il participa enfin au lancement de la Société d’Études du Canal de Suez, fondée par Enfantin, et qui ouvrit la voie à Lesseps.

Depuis longtemps farouche partisan du libre-échange comme facteur de production, de progrès et de diminution du coût de la vie, il siégea à la Chambre de commerce de Lyon pendant trente-six ans et fut l’un des ardents promoteurs du traité de commerce de 1860 avec l’Angleterre. Ses nombreux déplacements professionnels lui permirent d’établir de solides et amicales relations avec de hautes personnalités économiques et politiques britanniques : entre autres, John Bowring, George Villiers devenu lord Clarendon, Richard Cobden, John Bright.

Dès 1832, il rédigea personnellement une pétition à l’adresse de la Chambre des députés, revêtue de la signature d’un grand nombre d’ouvriers en soie (L’Écho de la Fabrique du 16 décembre 1832), en faveur de la liberté du commerce. Cette conception amena Arlès-Dufour à être foncièrement opposé au « tarif » réclamé par les canuts. Il s’abstint donc de soutenir les révoltes de 1831 et de 1834 qu’il avait pressenties et redoutées.

Arlès-Dufour subventionnait l’Église saint-simonienne qui comprenait des membres éminents dans le génie militaire, la médecine, les sciences et le commerce. Faisant son programme du principe saint-simonien « à chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres », dans une lettre à Holstein du 1er avril 1834, il dénonçait les bourgeois uniquement préoccupés de régner par la force et demandait de supprimer les monopoles et les privilèges commerciaux, ce qui améliorerait l’existence du travailleur : « La misère ne tient pas à l’organisation politique du pays, mais à l’organisation sociale du monde. » Le 21 février, dans une autre lettre, il prévoyait des troubles. Commerçant éminent de Lyon, il entretenait des relations avec la bourgeoisie, « l’élite de l’aristocratie industrielle, commerciale, administrative et militaire de la ville », il facilita les rapports entre le préfet de Gasparin et Terson*, obtint du premier un passeport pour la fille aînée de Caussidière*, menacée d’arrestation, qui lui permit de rejoindre le groupe d’Enfantin en Égypte.

Dans son Programme saint-simonien du 7 avril 1848, Arlès-Dufour lança un appel « Aux travailleurs, mes frères », les ouvriers de la Croix-Rousse, au nom de l’ » association », un principe qui lui était cher depuis Saint-Simon, d’exprimer leurs exigences vis-à-vis du gouvernement : « Il y a bientôt 20 ans que par mes vœux et mes actes j’appelle l’ère de l’association de tous, du riche et du pauvre, du fabricant et de l’ouvrier par l’organisation du travail, le classement selon la vocation et la rétribution selon les œuvres... En attendant la solution pratique du grand et difficile problème de l’organisation du travail, vous pouvez et devez demander énergiquement au gouvernement l’éducation et l’instruction pour vos enfants, fils et filles et la retraite pour vos vieillards, père et mère. Ces deux actes de justice, il peut et doit les accomplir immédiatement. » (ARS Ms 7688/20). Membre fondateur de la Société d’instruction primaire du Rhône en 1829, chroniqueur du journal des prolétaires, L’Écho de la Fabrique, il ne ménagea pas ses efforts, entre autres problèmes débattus, en faveur de l’école de la Martinière dont il fut plus tard administrateur. Il cofonda l’École centrale lyonnaise, fonda la Société d’enseignement professionnel du Rhône ; douzième adhérent à la Ligue française de l’enseignement, il ouvrit, à ses frais à Oullins, où il créa également une bibliothèque publique, les « Écoles supérieures libres et laïques ».

Dans le même esprit et au cours de la même année 1848, il fit partie de la commission de surveillance de l’association ouvrière de production d’unis, façonnés et velours, la Fabrique d’étoffes de soies unies, animée par Félix Martin et Ennemond Brosse, dont il approuva la dissolution, décidée par la société elle-même le 17 avril 1850. Administrateur de la Caisse des associations coopératives - créée en 1866 -, « connu comme ami des principes de coopération » (lettre de William Pare, secrétaire du congrès, à Arlès-Dufour du 20 avril 1869 Archives familiales), il fut convié au Cooperative Congress de Londres du 31 mai 1869.

Sous le Second Empire, il se rallia au régime qui recueillait, d’ailleurs, dans toute la France, les suffrages de presque tout ce que le saint-simonisme comptait encore d’adeptes actifs. Il fréquenta le Palais-Royal. Il fut un de ces saint-simoniens qui entrèrent dans les affaires et contribuèrent à l’expansion économique de l’époque. Pour sa part, il siégeait à la compagnie du PLM avec Enfantin et à celle du Gaz de Lyon.

Dès 1844, il avait été membre du jury de diverses manifestations nationales et internationales et il occupa le poste de secrétaire général de la Commission impériale de l’Exposition universelle de Paris en 1855, laquelle était présidée par le prince Napoléon. A la suite de cette initiative infructueuse, il suscita vigoureusement (Le Progrès de Lyon du 29 septembre 1861) l’envoi à Londres de délégations ouvrières, afin d’exercer « sur les progrès de l’industrie une influence directe et immédiate » (Le Progrès de Lyon du 8 octobre 1861). Il fut ainsi, en quelque sorte, un des parrains involontaires de la Première Internationale. Lors de l’Exposition universelle de Londres (1862), ce fut lui qui conseilla au gouvernement de faciliter l’envoi d’une délégation ouvrière française au congrès industriel qui se préparait en Angleterre. Il fut nommé membre de la Commission française du jury international, aux côtés du cousin de l’Empereur, de Rouher, Le Play, etc. En 1864, il fut le légataire universel (5/8e) du Père Enfantin qui venait de mourir à Lyon. La même année, il créa, dans cette ville, une « Société d’enseignement professionnel » pour contribuer à l’éducation populaire des enfants d’une région industrielle. « On connaîtra assez dans quel esprit sera conçu cet enseignement quand nous aurons dit [...] que c’est le fondateur du Crédit Lyonnais, Henri Germain, qui en sera le président et que les notoires conférenciers à qui on demandera de venir y parler [...] des besoins du travail seront les Batbie, les Frédéric Passy, les Jules Simon, les Audiganne, etc., tous économistes classiques et défenseurs des formules de concurrence universelle » (J. Gaumont, ouvr. cité, p. 598-599).

En 1866, Arlès-Dufour fut élu conseiller général d’un canton de Lyon. En 1869, avec Louis Blanc, alors en exil, Paul Hubert-Valleroux, E. Feuiller, il représenta les Français au premier congrès international des coopératives tenu à Londres.

Il était devenu l’un des familiers du Palais-Royal, voire de l’Empereur lui-même, « sans rien craindre ni attendre du pouvoir quel qu’il soit » (lettre du 2 avril 1869 à Napoléon III, archives familiales). « Toujours nourri du profond sentiment du bien public » (lettre du 2 avril 1869 à Napoléon III, archives familiales), on le retrouve encore administrateur de la Caisse de prêt des chefs d’ateliers de soieries, membre fondateur de la Société de secours mutuels des ouvriers en soie (1850), président fondateur, toujours sur ses deniers, du dispensaire homéopathique de Lyon (1868) « destiné à secourir les malades nécessiteux ». La liste de ses initiatives bienfaitrices, collectives et individuelles, est sans fin.

Il consacra également son inépuisable énergie à sa ville d’adoption. Adjoint au maire en 1830, conseiller municipal de la Guillotière, conseiller municipal de Lyon, conseiller général du 7e canton de Lyon ; il refusa la députation sous Louis-Philippe et Napoléon III.

Il fut élevé à la dignité de Commandeur de l’Ordre impérial de la Légion d’honneur en 1860.

Trois mille personnes assistèrent à ses obsèques — « sans prêtres ni soldats », selon son vœu — à Oullins (Rhône) : un tiers appartenait à la classe ouvrière...

Voir les propagandistes saint-simoniens à Lyon, qu’ils soient Lyonnais et fixés à Lyon ou qu’ils aient seulement prêché la doctrine, venant de Paris (« Mission des Prolétaires » et « Armée saint-simonienne » de 1832-1833) : Barrault Émile*, Barré*, Bertrand*, Biard*, Bisson*, Boy*, Bruneau*, Bry A.*, Cayol*, Cognat*, David Félicien*, Michel Derrion*, Desloges*, Desessart*, Dumolard*, Eudron*, Flichy*, Gabert*, Gilbert*, Guillobets L.*, Heil*, Henry*, Hoart*, Janin*, Jaspierre*, Casimir Judas*, Paul Justus*, Lamy*, Laurent Paul*, Lentz*, Machereau*, Maillard*, Massol A.*, Maugin*, Michon*, Pérelle*, Reboul*, Jean-Joseph Rémond*, Ribes*, Rigaud*, Rousseau*, Tajan-Rogé*, Terson*, Toché*, Tourneux*, Paul Wendel*, Yans*.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article25263, notice ARLÈS-DUFOUR François, Barthélemy par Notice revue et complétée par Jacques Canton-Debat, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 6 août 2021.

Par Notice revue et complétée par Jacques Canton-Debat

SOURCES : Arch. Bibl. de l’Arsenal. — Arch. familiales. — L’Écho de la Fabrique. — Le Progrès de Lyon. — C.L., Arlès-Dufour, Paris, Guillaumin, 1874. — I. Tchernoff, Le parti républicain au coup d’État et sous le Second Empire, Paris, Pedone, 1901. — Jean Gaumont, Histoire générale de la Coopération en France, (T. 1), Paris, Fédération Nationale des coopératives de consommation, 1924. — J. Balteau, M. Barroux, M. Prévost, R. d’Aman, T. de Morembert, Dictionnaire de Biographie française, Paris, Letouzey, 1933 sq. — Marcel Emerit, « La révolte des Canuts (1834) vue par Terson, informateur d’Eugène Sue », Actes du quatre-vingt-neuvième congrès national des Société savantes, Lyon, 1964, section d’Histoire moderne et contemporaine, tome II (volume I), Paris, Imprimerie nationale 1965. — Notes collectives de Georges Lubin adressées à Jean Maitron. — Notes de J. Risacher.

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