TOURÉ Sékou [TOURÉ Ahmed, Sékou]

Par Céline Pauthier

Né en 1922 à Faranah (Guinée), mort en 1984 à Cleveland (Etats-Unis) ; commis des PTT puis comptable des trésoreries (1948) ; syndicaliste et homme politique guinéen ; secrétaire général de l’Union des Syndicats Confédérés de Guinée (USCG - 1946) ; président de la Confédération Générale du Travail Autonome (CGTA - 1956) ; Responsable de l’Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire (UGTAN - 1957) ; membre des Groupes d’Etudes Communistes (GEC) de Guinée, Secrétaire général du Parti Démocratique de Guinée (PDG), section Guinéenne du Rassemblement Démocratique Africain (RDA - 1952-1984) ; Conseiller territorial de la Guinée française (1953-1958) ; maire de Conakry (1956) ; député de la Guinée à l’Assemblée nationale française (1956-1958) ; Président de la République de Guinée (1958-1984).

Né à Faranah, en Guinée française, vers 1922, Sékou Touré est le fils d’Alfa Touré, commerçant originaire du Soudan français, et d’Aminata Fadiga, qui serait l’arrière-petite-fille de l’Almamy Samory Touré. Ses deux parents décèdent en 1930 et il est ensuite élevé par la deuxième épouse de son père, la mère de son demi-frère Ismaël Touré. Il entre à l’école à l’âge de huit ans, obtient son certificat d’étude en 1936 et est admis à l’école professionnelle Georges Poiret de Conakry, plutôt qu’à l’école primaire supérieure Camille Guy ouvrant les portes des écoles normales. Après avoir exercé comme commis aux écritures à la Compagnie du Niger français, il entre aux Postes et Télécommunications (1941-1942), puis réussit le concours des cadres du Trésor (1948).

Autodidacte, il se forme à Conakry par la lecture, mais aussi en fréquentant le milieu des fonctionnaires intéressés par la politique : le cercle d’études des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes (JOC) en 1943-1944 puis les Groupes d’Études Communistes (GEC) en 1944-1946. Dès 1945, il co-fonde et dirige le Syndicat Professionnel des Agents et Sous-Agents Indigènes du Service des Transmissions de la Guinée française, puis l’Union des Syndicats Confédérés de Guinée (23 mars 1946) et l’Union des employés du Trésor (1948). Il voyage alors en France à plusieurs reprises (1945-1950) et se construit un réseau international au sein de la CGT, avant de visiter les pays de l’est à l’occasion des Congrès Mondiaux de la Paix (1950-1951). Il apporte son soutien dans Réveil à la grève des cheminots de l’Afrique occidentale française (1947-1948), puis organise plusieurs mouvements de grève en Guinée, qui lui confèrent une popularité grandissante. Au mois de juin 1950, il mène une grève intersyndicale autour du salaire minimum interprofessionnel garanti et est arrêté pendant trois jours pour « grève illégale » avec six autres responsables syndicaux. Les travailleurs guinéens se mobilisent pour faire libérer leurs représentants et Sékou Touré gagne ainsi en prestige et en popularité. Surtout, il dirige avec succès « la grève de 73 jours » pour l’application du Code du Travail outre-mer (septembre – décembre 1953), obtenant une hausse des salaires de 20 % consécutive à la réduction du temps de travail. Le succès de cette grève en Guinée le dote d’une légitimité politique fondamentale.

Depuis 1946, Sékou Touré milite dans divers organes politiques liés au RDA et devient secrétaire général du Parti Démocratique de Guinée, section locale du RDA en 1952, suite à la mutation hors du territoire de Madeïra Keïta, son prédécesseur. Il s’agit toutefois d’une période difficile pour le PDG, qui subit la répression administrative depuis 1948 et se divise sur le désapparentment du RDA à l’égard du Parti Communiste Français (PCF). L’attitude de Sékou Touré à ce sujet est ambiguë, car même s’il se déclare favorable au désapparentement au sein du comité directeur du PDG en 1951, il dirige par ailleurs le mouvement syndical affilié à la CGT, à laquelle il reste fidèle jusqu’en 1955. Si Sékou Touré se présente sans succès aux élections législatives de juin 1951, il reçoit le soutien de Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire et bénéficie de la bienveillance du haut-commissaire de l’AOF, Bernard Cornut-Gentille. Il réussit ainsi à se faire élire conseiller territorial de Beyla en août 1953 puis se présente en juin 1954 aux élections législatives. C’est à cette époque que le travail de mobilisation des militants du PDG porte ses fruits : ils parviennent à consolider les bases du parti, en nouant des alliances avec les travailleurs urbains et les femmes de Conakry à l’occasion de la grève de 1953, puis dans les campagnes en menant la lutte contre la chefferie administrative (1954-1957). La défaite de Sékou Touré face à Barry Diawadou , leader du Bloc Africain de Guinée regroupant les notables guinéens, lui sert de tremplin : il fait en effet campagne tout au long de l’année 1954 autour de la « victoire volée » en accusant l’administration de fraude. A partir de 1956, son parti vole de succès en succès. Il est élu député à l’Assemblée nationale en janvier 1956 aux côtés de Saïfoulaye Diallo , puis maire de Conakry (novembre 1956) et enfin député territorial en mars 1957. Il dirige alors le gouvernement semi-autonome de la Guinée française. Il fait abolir la chefferie administrative en décembre 1957 et consolide les bases locales de son parti, qui gagne les élections locales (conseils de circonscription) au mois de mai 1958.

Parallèlement, à partir de juillet 1955, il œuvre, face à Abdoulaye Diallo « syndicaliste » , pour l’autonomisation des centrales syndicales africaines. Il devient président de la Confédération Générale des Travailleurs Autonome début 1956 puis participe à la fondation de l’Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire (UGTAN), à Cotonou en janvier 1957, dont le premier congrès se tient en janvier 1959 à Conakry. A partir de son arrivée au pouvoir dans le gouvernement semi-autonome de la Guinée (mars 1957), il infléchit le sens de l’action syndicale, en subordonnant la lutte sociale à la libération nationale. Au niveau politique, il s’est imposé également au sein du comité interterritorial du RDA en faisant valoir ses vues fédéralistes au IIIe Congrès de septembre 1957 à Bamako.

Considéré comme le « héros de l’indépendance » de la Guinée, il prononce, le 25 août 1958, un discours resté célèbre face au Général de Gaulle, en tournée africaine pour le référendum sur la Communauté française. Anticolonialiste convaincu, il a cependant, au cours de l’année 1958, tenu des positions contradictoires quant à la question de l’indépendance immédiate. Il cherche surtout à obtenir une redéfinition des termes de la communauté franco-africaine proposée au référendum. N’ayant pas obtenu que le droit à l’indépendance sans condition soit inscrit dans le texte de la Constitution, et poussé par l’aile gauche du parti, il donne le mot d’ordre du NON à l’issue de la conférence du PDG du 14 septembre 1958, alors que le RDA interterritorial appelle à voter OUI. Ce geste, concrétisé par un vote à plus de 90% de NON, lui confère une aura particulière sur la scène internationale dans les années 1960-1970.

De 1958 à 1984, rapidement en rupture avec la France, il dirige la Guinée en optant pour la voie socialiste de développement, tout en jouant des ambitions rivales des deux blocs à travers la politique de « neutralisme positif ». Sur le plan diplomatique, il se pose en chantre de l’anticolonialisme et du panafricanisme. Il mène une active politique étrangère de 1958 à 1966 pour faire reconnaître son pays à l’ONU (1958), puis nouer des liens avec les pays africains : Union Ghana-Guinée-Mali de 1958 à 1961 ; Groupe de Casablanca (1961) ; participation à la fondation de l’Organisation de l’Unité Africaine en 1963. Il soutient également les mouvements de lutte anticoloniale dans les pays encore colonisés. Il accueille ainsi des militants du Parti Africain de l’Indépendance de Guinée et du Cap Vert (PAIGC) à Conakry.
Dans son pays, il promeut la révolution guinéenne, qui doit faire naître un homme nouveau, totalement décolonisé. Le régime de parti-unique organise la mobilisation de la population (jeunesse, femmes, travailleurs) à tous les échelons territoriaux, au sein des comités de quartier, de section, de fédération. Il met en œuvre un intense nationalisme d’État qui se traduit par l’écriture d’une histoire officielle et la mise en scène de la nation à travers les politiques culturelles et sportives. Il cumule les mandats, impose le principe de parti et de syndicat unique et étouffe successivement les contestations de l’aile gauche du parti (1957-1962), des associations de jeunesse (1959-1961), des syndicats (1961), des représentants religieux (1959-1962) et des commerçants (1964-1965). Il met en place le monopole des médias et lance, en 1968, la « révolution culturelle » sur le modèle chinois. D’inspiration socialiste, sa politique économique conduit à la nationalisation de divers secteurs d’activités et au contrôle du commerce.

Le coup d’Etat contre Nkrumah au Ghana (1966), puis contre Modibo Keïta au Mali (1968), conduisent le président guinéen au repli et à la radicalisation. De 1966 à 1977, il voyage très peu et maintient son pays dans l’isolement diplomatique : rupture des relations diplomatiques avec la France de 1965 à 1975 et rapports houleux avec ses voisins sénégalais et ivoiriens. Dans un contexte de pénurie, la Guinée s’enfonce dans les difficultés économiques et dans la dictature, au rythme des « complots » régulièrement dénoncés, et qui justifient les purges au sein de l’armée (« complot des officiers félons et des politiciens véreux » en 1969) et de l’administration (« agression guinéo-portugaise » du 22 novembre 1970 et purges contre la « Cinquième Colonne » puis dénonciation du « complot du racisme peul » en 1976). Le camp Boiro, situé en plein cœur de Conakry, symbolise la violence de son régime, même si l’expression renvoie plus largement à l’ensemble des lieux de détention, d’exécution et d’enfouissement de tous ceux qui furent accusés d’être « contre-révolutionnaires ».

Au milieu des années 1970, il reprend son activité diplomatique. Il renoue d’abord les relations avec la France en 1975 : Valéry Giscard d’Estaing est accueilli en Guinée en 1978 tandis que Sékou Touré se rend en France en 1982. Il se rapproche également du Sénégal et de la Côte d’Ivoire en 1978, et redevient actif au sein de l’OUA (1979-1984). Il se rapproche enfin des pays arabes et prend une part active au sein de l’Organisation de la Conférence Islamique. Alors qu’il devait accueillir le sommet de l’OUA en 1984, il meurt dans un hôpital américain le 26 mars au cours d’une opération cardiaque.

Son héritage est controversé et profondément ambivalent, oscillant entre la figure de héros de l’indépendance - père de la nation - et celle de tyran.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article252901, notice TOURÉ Sékou [TOURÉ Ahmed, Sékou] par Céline Pauthier, version mise en ligne le 27 novembre 2023, dernière modification le 27 novembre 2023.

Par Céline Pauthier

ŒUVRE : Sékou Touré fut un auteur prolixe : ses discours, rapports et essais, souvent rédigés par des plumes, ont été publiés dans la revue du Parti Démocratique de Guinée, Révolution Démocratique Africaine, N° 1 à 193 (1965-1979) ainsi que dans les « tomes » édités par l’imprimerie officielle Patrice Lumumba ou par le bureau de presse de la présidence de la République en 18 volumes : Touré, Sékou, Œuvres, Conakry, Bureau de presse de la présidence de la République, tomes 1 à 18, 1959-1984. De nombreux discours sont aussi reproduits dans la presse officielle (journal Horoya et magazine Horoya Hedbo).

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Lewin, André, Ahmed Sékou Touré (1922-1984), président de la Guinée, Paris, L’Harmattan, 2009-2010, tomes 1 à 8. — Kaké, Ibrahima Baba, Sékou Touré, le héros et le tyran, Paris, Jeune Afrique Livres, 1987. — Pauthier, Céline, L’indépendance ambiguë : construction nationale, anticolonialisme et pluralisme culturel en Guinée (1945-2010), Thèse, Université Paris Diderot, 2014, 782 p.

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