Par Céline Pauthier
Née en 1925 à Macenta (Guinée), exécutée le 25 janvier 1971 à Conakry (Guinée) ; sage-femme ; militante du Parti Démocratique de Guinée (PDG), section guinéenne du Rassemblement Démocratique Africain (1947-1971) ; membre du bureau politique national du PDG ; Secrétaire d’État aux affaires sociales dans le gouvernement de Guinée (jusqu’en 1969).
Une sage-femme diplômée et militante syndicale et politique (1941-1958)
Loffo Camara est issue d’une famille urbaine et instruite de Macenta, en Guinée. Son père, Balla Camara, est médecin africain et son oncle, infirmier militaire. Elle-même est diplômée de l’école africaine de médecine de Dakar, section sage-femme, en 1941. C’est alors un parcours scolaire exceptionnel pour une fille au sein de sa génération. Elle est mariée à un instituteur formé à l’École Normale William Ponty de Dakar. Loffo Camara est d’abord envoyée à N’Guimi au Niger (1941-1943), puis dans un poste inconnu en 1943, avant de rentrer à Conakry en 1947. Affectée à N’Zérékoré en 1947, elle assume assez tôt des responsabilités administratives dans les structures hospitalières où elle exerce, comme à Guéckédou. En réalité, on connaît mal ses diverses affectations à cette période : il est probable que son exécution en 1971 ait contribué à entretenir le silence autour de son parcours.
Dès la fin des années 1940, elle milite au sein du Parti Démocratique de Guinée, section du Rassemblement Démocratique Africain (PDG-RDA), dans cette région du sud-est de la Guinée, en zone forestière, puis dans ses autres postes que ce soit à Conakry ou à Dinguiraye. Elle est aussi active dans les syndicats : celui de l’hôpital Ballay à Conakry, dont le secrétaire général est alors le docteur Ignace Deen, puis à l’intérieur du pays, notamment à Dinguiraye en 1956-1957. En novembre 1956, elle est élue conseillère municipale de la ville de Conakry. En mai 1958, après plus de dix ans de militantisme, elle fait partie des instances dirigeantes du PDG, comme déléguée des organisations féminines au sein du bureau politique national.
L’engagement panafricain au tournant des indépendances (1959-1962)
Engagée dans le panafricanisme féminin, elle représente la Guinée à l’Union des Femmes de l’Ouest Africain (UFOA) dont le congrès constitutif se tient en juillet 1959 à Bamako : elle y prononce un discours où elle appelle à l’indépendance totale de l’Afrique et à l’unité africaine. De retour à Conakry, la délégation guinéenne est cependant confrontée à une double reprise en main par le parti et par les militantes de base des organisations féminines : la dénonciation, par l’UFOA, des mutilations génitales, de la polygamie et des mariages précoces suscite l’opposition des comités de base à Conakry et conduit Loffo Camara et ses camarades à temporiser.
En avril 1960, la conférence de la solidarité afro-asiatique se tient à Conakry : Loffo Camara accueille à cette occasion la féministe pacifiste belge Isabelle Blume, déléguée de la Fédération Démocratique Internationale des Femmes (FDIF) venue en observation. Elles discutent alors de la conférence afro-asiatique des femmes prévue en septembre 1960 au Caire. Dans le journal Femmes du monde entier, Isabelle Blume publie un article sur les Guinéennes (N° 11, 1960). Elle insiste sur la bonne entente entre femmes de la base et déléguées plus instruites, ce qui reflète sans doute le souhait, observé en Guinée, de maintenir l’unité des mouvements féminins.
Loffo Camara participe également à la conférence des femmes de l’ouest africain à Conakry en juillet 1961 pour la création d’un Conseil des femmes de l’Union des États Africains. Elle y prononce le discours d’ouverture, reproduit dans le journal guinéen Horoya où elle déclare : « il ne saurait y avoir de paix, de justice et de liberté sur terre sans la fin inconditionnelle du colonialisme, de l’impérialisme et de l’oppression de la femme ». Ce Conseil tient sa première réunion en août 1961, toujours à Conakry.
En janvier 1962, c’est Loffo Camara qui rédige le rapport sur le rôle de la femme africaine dans la construction nationale auprès du bureau exécutif de la FDIF réuni à Bamako. En juillet 1962, elle participe aux préparatifs de la Conférence Panafricaine des Femmes prévue à Dar es Salam, en voyageant au Togo, Niger et Dahomey mais elle n’est cependant pas présente à cette conférence.
Du secrétariat aux affaires sociales au camp Boiro
Peu après l’indépendance, Loffo Camara, déjà secrétaire de l’organisation féminine au sein du parti aux côtés de Mafory Bangoura qui en est la présidente, se voit affectée au secrétariat d’État aux affaires sociales. Ce poste communément confié à des femmes est cohérent avec sa formation de sage-femme. Elle est reconduite dans ses fonctions en 1963 : elle est alors la seule femme apparaissant sur la photo officielle du gouvernement de la Guinée. Mais en avril 1969, elle est remplacée par Mafory Bangoura.
Loffo Camara semble avoir été progressivement rétrogradée à partir de 1962 : tout d’abord, elle cesse son activité diplomatique à l’étranger au profit du secrétariat aux affaires sociales. Mais surtout, son éviction des affaires sociales en 1969 semble être la conséquence du séminaire de Foulaya, tenu fin 1962 près de Kindia. Ce séminaire du PDG, qui devait préparer le VIe Congrès du parti, dévoila en effet de profondes dissensions au sein du parti. Loffo Camara se serait, avec d’autres militants de longue date du parti, opposée au cumul des fonctions et à l’entrée dans le bureau politique de cadres n’ayant pas gravi tous les échelons du parti. Lors de ce séminaire tenu à huis clos, Sékou Touré est mis en minorité et sa position de secrétaire général du parti contestée.
C’est l’explication qui est en général avancée pour rendre compte de son arrestation, en décembre 1970, après l’opération Mar Verde du 22 novembre : des navires portugais débarquent à Conakry pour libérer des prisonniers portugais du PAIGC, retenus à Conakry, avec à leur bord des Guinéens exilés désireux de renverser le régime de Sékou Touré. Cette « agression guinéo-portugaise » marque le début d’une année de répression politique contre les supposés complices intérieurs de cette opération : nombreuses arrestations, pendaisons publiques et exécutions secrètes jalonnent ainsi l’année 1971. Loffo Camara est fusillée en secret à la fin du mois de janvier.
Par Céline Pauthier
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Pascale Barthélémy, Sororité et colonialisme, Françaises et Africaines au temps de la guerre froide (1944-1962), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2022. — Jeanne Martin Cissé, La fille du Milo, Paris, Présence Africaine, 2009. — Safiatou Diallo, « L’école de médecine de Dakar et la formation des professionnels de santé guinéens », Revue sénégalaise d’histoire, N°11, décembre 2021, pp. 273-304. — Céline Pauthier, « ‟La femme au pouvoir, ce n’est pas le monde à l’enversˮ, Le militantisme au féminin en Guinée (1945-1984) », in Gomez-Perez Muriel (dir), Femmes, génération et agency en Afrique subsaharienne : vers de nouveaux défis, Paris, Karthala, 2018, pp. 73-113.