Par Pascale Barthélémy et Ophélie Rillon
Née en 1920 à Kati (Soudan français), morte vers 1967 à Bamako (Mali) ; militante syndicale ; fondatrice et Secrétaire-générale du Comité des femmes travailleuses ; vice-présidente du Mouvement soudanais de la Paix.
Aïssata Coulibaly nait à Kati au Soudan Français (actuel Mali) le 1er mars 1920. Elle est la fille de Naéré Traore, ménagère, et de Molo Coulibaly, instituteur diplômé de l’École normale William Ponty en 1914. Ce dernier a été affecté au cours de la Première Guerre mondiale à l’école primaire de la ville de Kati où était scolarisé le futur romancier Amadou Hampaté Ba et où naitra sa fille Aïssata. En 1932, elle est envoyée au foyer des métisses de Bamako, l’une des rares écoles de filles de la région, où elle passe son certificat d’études et réussit en 1939 le concours d’entrée à l’École Normale de jeunes filles de Rufisque qui a ouvert ses portes un an plus tôt.
A 19 ans, elle prend ainsi la route du Sénégal pour être formée dans l’une des deux « grandes écoles » de fille de l’Afrique occidentale française (AOF). L’École normale est alors dirigée par Germaine Le Goff qui impose une discipline stricte avec pour projet de former des femmes dites « évoluées » mais non déracinées. Signe des tensions existantes entre le modèle éducatif attendu par les familles et celui promu par Germaine Le Goff, Aïssata lui écrit alors qu’elle est en vacances scolaires à Kati : « [Ma mère] ne voulait pas que je travaille dans la cuisine. Malgré ses refus je l’aide. Nos voisins s’étonnent en me voyant travailler comme une jeune fille non évoluée ». En raison de problèmes de santé qui entraînent son hospitalisation pendant une année, Aïssata Coulibaly obtient son diplôme en 1945, soit cinq ans après son intégration au lieu de quatre habituellement. Elle est la huitième institutrice diplômée de son pays. Entre 1941 et 1957, 32 jeunes filles originaires du Soudan français obtiennent leur diplôme de l’École normale de jeunes filles sur 990 diplômées d’AOF et d’AEF.
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, elle est d’abord affectée à Ouahigouya, ville alors rattachée au Soudan français jusqu’à la reconstitution de la Haute-Volta en 1947. Ce redécoupage administratif est peut-être la raison de sa mutation, à une date inconnue, à l’École des filles de la Poudrière de Bamako dont elle devient directrice.
Ses premiers pas de militante sont difficiles à documenter. Elle émerge comme une figure syndicale importante à compter du milieu des années 1950 sous le nom de Aïssata Sow Coulibaly, après avoir épousé un syndicaliste et militant de l’Union soudanaise Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA) de premier plan : Lamine Sow.
Militante syndicale, elle est déléguée du Soudan français à la première Conférence mondiale des travailleuses organisée par la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) à Budapest en juin 1956. Aïssatou Coulibaly a reçu des autorités coloniales une autorisation de se rendre en Suisse pour y recevoir des soins médicaux et en profite pour aller jusqu’à Budapest (17G627 (152) . Lors de son transit à Paris, avec deux de ses camarades, Fatou Diarra du Sénégal et Paulette Ebah de Côte d’Ivoire, elle est accueillie au siège de la CGT rue Lafayette comme la plupart des militants africains étroitement liés à la centrale française. Des extraits du discours qu’elle prononça à Budapest sont publiés dans le Bulletin de la Conférence mondiale des travailleuses (juin 1956) (FSM 2C8 27) : elle parle des « travailleuses », qui sont pour elle des employées (sages-femmes, infirmières, dactylographes et téléphonistes) et des ouvrières. Elle dénonce le fait que l’éducation des femmes est très négligée et que les maternités sont mal dirigées ce qui a pour conséquence que les femmes préfèrent accoucher chez elles. Elle explique, par exemple, qu’une téléphoniste européenne gagne 32 000 francs par mois, tandis « qu’une Africaine gagne seulement de 15 à 18 000 francs ». Mais elle critique aussi la marginalisation des femmes par les syndicats, au regard du rôle qu’elles jouent depuis des années lors des grèves et des mouvements sociaux : « Beaucoup d’ouvrières africaines sont syndiquées et prennent une part active dans les mouvements de grève, mais elles n’assistent pas régulièrement aux réunions et il n’y a pas de femmes parmi les dirigeants des syndicats ».
À son retour de Budapest, Aïssata Sow Coulibaly lance « un appel aux travailleuses du Soudan » et suscite la création d’un Comité des femmes travailleuses dont l’Assemblée générale constitutive se tient le 11 novembre 1956 à la Bourse du travail de Bamako. Le bureau du comité est composé de femmes salariées souvent anciennes élèves des écoles fédérales de filles : des sages-femmes comme Aoua Keita (présidente) et Rokiatou Sow (trésorière générale) ; des institutrices comme Mariam Keita, l’épouse de Modibo Keita (vice-présidente), Aminata Diop (secrétaire adjointe) et Fanta Diallo Thiam (commissaire au compte), ainsi que de petites employées de l’administration. Aïssata Sow Coulibaly en devient la secrétaire générale. Si le comité est ouvert à toutes les travailleuses du Soudan, il met principalement l’accent sur les problèmes des salariées et des mères. Dans leur première motion adressée au Gouverneur du Soudan français, les militantes réclament « la création de nouvelles classes pour filles et garçons » et « la création d’une classe maternelle dans chaque quartier » (Barakéla, 1956).
Aïssata Sow Coulibaly s’engage également dans le Mouvement soudanais de la Paix créé en 1957 à Bamako et affilié au Mouvement mondial des partisans de la paix. Elle est la seule femme à intégrer son bureau en novembre 1957 et y occupe l’un des huit postes de la vice-présidence aux côtés d’Amadou Seydou Traoré.
Elle prend une part active à la campagne référendaire sur l’intégration dans la Communauté française en 1958 au cours de laquelle elle milite pour le « Non ». Seule femme à prendre la parole au meeting de l’Union Territoriale des Travailleurs du Soudan (UTTS) du 18 septembre 1958, en tant que représentante du Comité des femmes travailleuses, son intervention en faveur du « Non » est vivement applaudie : « l’histoire ne dira jamais que j’ai choisi l’esclavage pour moi-même, mon mari et mes enfants. En conséquence, je voterai Non en tant que travailleuse, Non en tant que femme et Non en tant que mère » (Barakéla, 1958). Elle suit ainsi le mot d’ordre lancé par le leader guinéen Sékou Touré et l’UGTAN en faveur de l’indépendance immédiate et s’oppose à la ligne défendue par Modibo Keita et l’US-RDA, parti alors majoritaire au Soudan-français, qui appellent à voter « Oui ».
Après l’indépendance du Mali en septembre 1960, on ne trouve plus guère sa trace dans les archives alors que son mari occupe de hautes responsabilités dans l’UNTM et devient ministre en 1966. L’historienne Adam Ba Konaré indique qu’elle était membre de la Commission sociale des femmes de l’US-RDA entre 1962 et 1968 mais les archives de l’organisation féminine du parti ne consignent pas son nom. On la retrouve néanmoins comme membre de la délégation malienne à la Conférence des femmes d’Afrique en juillet 1962 à Dar-es-Salaam. Ce reflux de ses activités militantes est-il lié à des problèmes de santé comme le laisse supposer le fait qu’en 1965, pour raison de santé, elle se retire de son poste de directrice et d’enseignante à l’école de la Poudrière de Bamako. Les sources divergent sur la date de son décès. Adam Bâ Konaré mentionne 1971 ; Pierre Campmas, militant français à l’US-RDA et historien écrit : « Aïssata Coulibaly décéda en 1967, Lamine Sow en 1971. Sékou Touré a pris en charge leurs deux fils ainés » parmi les sept enfants qu’ils avaient eus. En 1971, le régime militaire de Moussa Traoré la décore à titre posthume de l’étoile d’argent du Mérite National avec abeille pour son action comme directrice d’école, passant sous silence ses engagements syndicaux et pour les droits des femmes.
Par Pascale Barthélémy et Ophélie Rillon
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Archives Nationales d’Outre-Mer, Soudan Français. Direction des services de police, Microfilm 200MI/2552, Renseignements confidentiels, « Le mouvement Soudanais de la Paix, élargissement du bureau », Bamako, 15/11/57. — Archives nationales du Sénégal, Lettre de Aissata Coulibaly à Germaine Le Goff, Kati [Soudan], 29 juillet 1940, Cote O515 (31) ; Bulletin d’information du mois de juin 1956, 17G627 (152). — Archives de la Fédération Syndicale Mondiale, Bulletin de la Conférence mondiale des travailleuses, juin 1956, 2 C8 27. —I>Barakéla n°229, du 26 novembre au 2 décembre 1956. — Barakela, n°39, 17-24 septembre 1958. — Barthélémy Pascale, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), Rennes, PUR, 2010. — Barthélémy Pascale, Sororité et colonialisme. Françaises et africaines au temps de la guerre froide (1944-1962), Paris, Editions de la Sorbonne, 2022. — Campmas Pierre, L’Union Soudanaise (section du RDA) 1946-1968, Thèse d’histoire de 3ème cycle, Université de Toulouse Le Mirail, 1978, p. 190. — Journal officiel de la République du Mali, n° 362, 15 octobre 1971. — Keita Aoua, Femme d’Afrique. La vie d’Aoua Keita racontée par elle-même, Paris, Présence africaine, 1975, pp. 339-342. — Konaré Adam Ba, Dictionnaire des femmes célèbres du Mali, Bamako, Jamana, 1993, p. 360-361. — Rillon Ophélie, Le genre de la lutte. Une autre histoire du Mali contemporain, Lyon, ENS, 2022.