TRAORE Mamadou, dit AUTRA Ray

Par Céline Labrune-Badiane, Elara Bertho et Etienne Smith

Né en 1916 à Mamou (Guinée), mort en 1991 ; ancien élève de l’École Normale William Ponty ; enseignant et journaliste guinéen ; co-fondateur de la section guinéenne du Rassemblement Démocratique Africain, le Parti Démocratique de Guinée ; enfermé au Campo Boiro en 1961 ; ambassadeur de Guinée en Algérie ; chercheur à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire de Dakar depuis 1976 ; il rentre à Conakry en 1984 et il décède en 1991 ; membre du Parti Progressiste de Guinée.

Mamadou Traoré est né le 16 décembre 1916 à Mamou, dans le Fouta Djalon en Guinée. Entré à l’école régionale de sa localité natale en 1925, il obtient le Certificat d’Études primaire en 1931, puis poursuit sa scolarité à l’École Primaire Supérieure de Conakry et enfin, en 1934, à l’École Normale William Ponty à Gorée au Sénégal, dont il sort diplômé en 1937 [1] . Il fréquente l’Ecole Normale au même moment que les Ivoiriens Bernard Dadié et Mathieu Ekra, les Dahoméens Hubert Maga et Emile Zinsou, les Soudanais Madeira Keïta et Modibo Keïta ou encore le Guinéen Nabi Ibrahima Youla, dont certains devinrent ses compagnons de lutte au sein du Rassemblement Démocratique Africain (RDA). A sa sortie de l’École Normale, Mamadou Traoré débute sa longue carrière dans l’enseignement, la recherche [2] et à des postes d’administration, en Guinée, au Sénégal, au Niger, au Dahomey suite à une mutation punitive, puis de nouveau en Guinée, peu de temps avant l’indépendance. Parallèlement à sa carrière d’instituteur, Mamadou Traoré, comme de nombreux instituteurs, s’engage en politique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il suit d’abord les cours du Groupe d’Études Communistes, adhère au Parti Progressiste de Guinée ; c’est d’ailleurs à ce titre qu’il participe au Congrès Constitutif du RDA en 1946 à Bamako. L’année suivante, il co-fonde la section guinéenne du RDA.

Mamadou Traoré est également une plume importante de la presse guinéenne des années 1940 et 1950, dans un contexte de censure coloniale importante. Mamadou Traoré crée et édite plusieurs journaux plus ou moins éphémères dans lesquels il publie abondamment, ainsi que dans d’autres organes de presse : Servir l’Afrique, Le Phare de Guinée, Coup de bambou, Le Réveil ou encore Bingo. Il fonde Servir l’Afrique en 1947, qui ne connaît que trois numéros, et dont la moitié des articles sont de son fait, que ce soit sous son nom civil, Mamadou Traoré, sous son nom de plume qui apparaît pour la première fois, Ray Autra, ou sous d’autres de ses pseudonymes, Citoyen Ray, R.A., Trah Auray. Il y écrit notamment : « Il faut que nous sonnions l’hallali de la horde colonialiste aux abois ». Il tient ensuite une chronique humoristique dans le journal Le Phare de Guinée par le peuple, pour le peuple à partir de 1947. Imprimé à Casablanca, ce journal est affiché comme bimensuel mais paraît en réalité de manière irrégulière. Sa chronique intitulée « Petites annonces déclassées ou les divagations de Ray Autra » dénonce la gestion de la colonie et l’administration coloniale plus généralement, en ciblant précisément des faits divers, que ce soit la lenteur du chemin de fer Conakry-Niger, ou encore les conditions sanitaires de l’hôpital Ballay. Le journal est interdit par les autorités coloniales en 1950. Il est quasiment immédiatement remplacé par Coup de bambou, organe tri-hebdomadaire de la Section Guinéenne du Rassemblement Démocratique Africain, dont le premier numéro est daté du mercredi 5 avril 1950. Le directeur de publication en est Mamadou Madéira Keïta, ancien co-animateur de Servir l’Afrique. Vers la liberté, son recueil de poèmes publié en 1950, est un pamphlet ouvertement anticolonialiste. Surnommé « le pamphlétaire à la plume acérée » par son ami Djibril Tamsir Niane, Mamadou Traoré est condamné à plusieurs reprises pour ses prises de position, à des amendes et à de la prison. Coup de bambou relaie le procès de Ray Autra en avril 1950 qui aboutit à sa mutation pour raisons disciplinaires au Niger puis au Dahomey, pendant quatre ans.

Au moment où la Guinée obtient son indépendance en 1958 après le NON au référendum, Ray Autra rejoint l’appareil idéologique du PDG, le Parti Démocratique de Guinée. Il devient l’une des plumes de Sékou Touré [3] . Il est difficile de retrouver la trace de ses écrits précisément puisqu’il écrivait pour le président lui-même, pour la Radiodiffusion nationale et pour les discours prononcés au nom du parti. Son nom disparaît donc. Par sa correspondance, on retrouve néanmoins des traces dès février 1959 de plaintes concernant ses conditions de travail, où il s’adresse directement à Sékou Touré en dénonçant le rôle excessif de la censure qui distord trop ses propos à la Radiodiffusion nationale [4] . Un petit nombre de hauts cadres et d’intellectuels étaient en effet amenés à produire des notes, des compte-rendus ou bien carrément à co-écrire des textes avec Sékou Touré, dont la production de textes est énorme et qui s’explique par bien des aspects par ce cabinet plus ou moins formalisé de jeunes plumes. Ces notes préparatoires pouvaient servir d’inspiration à Sékou Touré qui les reprenait dans une plus ou moins grande mesure dans ses propres discours. On peut néanmoins suivre les textes qu’il continue de publier en son nom propre, relevant de l’ethnographie, notamment en pays kissi.

Arrêté en novembre 1961 lors du « complot des enseignants », aux côtés de Keïta Koumandian, Djibril Tamsir Niane, Ibrahima Kaba Bah et Seck Bahi pour avoir voulu réformer le statut et demander l’augmentation des salaires des enseignants [5]. Il perd dix-sept dents en prison [6] . Relâché grâce à des pressions diplomatiques au bout de trois ans, il devient ambassadeur de la Guinée en Algérie. Il rentre à Conakry en 1965. Il continue ses activités d’écriture liées au monde de la culture et lors du Premier Festival culturel de mars 1970, il semble être l’un des rédacteurs du catalogue d’exposition Plastique africaine du Musée national. Il rédige par ailleurs des études non publiées sur « l’art baga », « un panorama de la littérature guinéenne », « les Ballets Africains » [7]. Ray Autra entretient des relations d’amitié avec l’historien et dramaturge Djibril Tamsir Niane. Il signe d’ailleurs la préface de Sikasso ou la dernière citadelle, parue en 1971 [8] . Ray Autra parvient à s’exiler à Dakar avec sa famille en 1976, où il est recruté à l’IFAN. Son contrat de travail est reproduit dans le journal officiel du PDG, Horoya qui dénonce le départ de ce « mercenaire de la plume ». Dans un article particulièrement violent qui révèle le climat politique de l’époque à l’encontre des opposants politiques, le journal le dépeint comme « traître », « prêt à se livrer à toute prostitution », « contre son peuple » (Horoya Hebdo, 30 janvier-5 février 1977, n°2259, p. 53).

Depuis Dakar, Ray Autra continue de publier abondamment des études sur la culture guinéenne, publiées dans Notes africaines, dont plusieurs portent sur la culture pastorale et les sociétés agraires, plus occasionnellement dans Bingo. Il publie une monographie L’interprétation des rêves dans la tradition africaine, en 1983. Il ne milite pas frontalement contre la politique de Sékou Touré, en restant relativement discret dans ses prises de paroles politiques. Il ne rentre en Guinée qu’après la mort de Sékou Touré, en 1984. Il décède en 1991.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article252911, notice TRAORE Mamadou, dit AUTRA Ray par Céline Labrune-Badiane, Elara Bertho et Etienne Smith, version mise en ligne le 27 novembre 2023, dernière modification le 27 novembre 2023.

Par Céline Labrune-Badiane, Elara Bertho et Etienne Smith

ŒUVRE : « Jeux et jouets des enfants foula », BIFAN, Tome 2, n°1-2, 1940, p.237-247. — « Savez-vous comment les Noirs de Guinée appellent le mois de février ? », Notes africaines, n°14, avril 1942, p.6. — Vers la liberté, 1950 (manuscrit), publié en 1961 à Pékin, Librairie du Nouveau Monde, 64p. — Guide de l’instituteur africain, Comité de coordination des syndicats d’instituteurs africains par l’action syndicaliste universitaire, 1952, 96p. — « Historique de l’enseignement en AOF », Présence Africaine, n°6, Fév.- Mars 1956, p.68 – 86. — « La république de Guinée », Etudes Guinéennes, 1959, p.7-18. — Autra Ray et Sampil Mamadou, « Notes ethnographiques recueillies en pays kissien », Recherches africaines, n°3, juil.- sept. 1960, p.8-67. — « “Afrique Noire, géographie, Civilisations, Histoire”, un livre de Jean Suret-Canale », note de lecture de Mamadou Traore Ray Autra, Recherches africaines, n° 3, juillet-septembre 1960, 3 p. — « L’institut de recherche et de documentation (1944-1964) », Recherches africaines, janvier-décembre 1964, p.5-35. — « Des repas cérémoniels en Guinée », Notes africaines, n° 155, 1977, p.74-81. — « Quelques aspects de la vie communautaire au sein des collectivités guinéennes », Notes africaines, n° 156, 1977, p.94-96. — « Cuisine et culture africaine », Présence africaine, n°101-102, 1977, p.38-56. — « Canons de charme et de beauté chez les femmes guinéennes », Notes africaines, n° 158, 1978, p.43-44. — « L’Afrique nécrologique au XIXème siècle », Notes africaines, n° 161, 1979, p.3-7. —« Comment les Soussous du Sénégal appellent les ressortissants de la Guinée Bissau et des îles du Cap-vert », Notes africaines, n° 162, 1979, p.42-43. — « Les unités de mesure dans l’ancienne société mandingue en Guinée », Notes africaines, n° 163, 1979, p.63-65. — « A propos des nids d’hirondelle avec une mise au point ornithologique par Babacar Ndao », Notes africaines, n°164, 1979, p.108-109. — « De l’utilisation insolite de certains articles, objets et produits d’importation », Notes africaines, n° 167, 1980, p.71-76. — « Société de tradition agraire et société de tradition pastorale en Guinée », BIFAN, Tome 42, n°2, avril 1980, p.400-433. — Sociétés de tradition agraire et société de tradition pastorale en Guinée, 1980, 432p. — « Quelques pratiques commerciales d’autrefois en Afrique noire », Notes africaines, n° 169, 1981, p.18-24. — « A propos de l’indépendance de la Guinée », Bingo, n°358, décembre 1982. — « La signification de la circoncision et de l’excision » Bingo, n°360, janvier 1983, p.13-15. — L’Interprétation des rêves dans la tradition africaine, Paris, Africa media international, 1983.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Labrune-Badiane, Céline, Smith, Etienne, Les Hussards noirs de la colonie : instituteurs africains et petites patries en AOF (1913-1960), Paris, Karthala, 2018 . — Entretien avec Ray Autra Alpha Oumar Traoré, Conakry, mars 2021. — Archives privées de Djibril Tamsir Niane. — Archives privées de Ray Autra.

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