Par Pascale Barthélémy et Anna Nasser
Née le 7 mai 1929 à Antananarivo, décédée le 27 juin 2011 Antananarivo ; journaliste, sténo-dactylographe ; militante syndicale et femme politique ; membre du Mouvement Démocratique pour la Rénovation Malgache ; fondatrice du Comité de solidarité de Madagascar ; secrétaire de l’Union du Peuple Malgache (UPM) ; conseillère municipale de la ville d’Antananarivo élue en 1956 ; secrétaire-générale du Antokon’ny Kongresin’ny Fahaleovantenan’i Madagasikara (AKFM) ; députée ; ministre de la Culture et de l’Art révolutionnaire de 1977 à 1991 ; vice-présidente du Sénat en 2001.
Née le 7 mai 1929 à Antananarivo, Gisèle Rabesahala est la cinquième fille d’une famille de notables. Elle passe son enfance entre la France, la Tunisie et le Mali et elle est d’abord scolarisée dans une école primaire catholique en Tunisie, où son père a été affecté comme sergent au sein de l’armée coloniale. Ce dernier, dont elle était très proche, meurt prématurément d’une maladie pulmonaire en 1940 à Tunis. De retour à Madagascar deux ans plus tard, en 1942, elle poursuit ses études à l’École primaire supérieure, obtient son brevet élémentaire puis se forme à la sténo-dactylographie au sein d’une école privée. Devenue citoyenne française grâce à la naturalisation de son grand-père en 1943, elle n’a que 17 ans lorsqu’elle s’engage en politique en 1946, dans le sillage de son beau-frère, au sein du Mouvement Démocratique pour la Rénovation Malgache (MDRM), parti nationaliste récemment fondé. Au fil des ans, elle devient une combattante active de la lutte pour l’indépendance, mais aussi une militante syndicale et féministe présente sur tous les fronts, nationaux et internationaux.
Après les arrestations qui suivent les élections de novembre 1946 et janvier 1947, elle devient secrétaire des avocats communistes venus défendre les membres du MDRM, parmi lesquels l’avocat anticolonialiste Henri Douzon. C’est cette expérience qui l’amène à prendre part aux premières manifestations de solidarité pour l’amnistie des détenus politiques après l’insurrection de 1947 et à réclamer l’indépendance. Elle s’engage aussi sur le plan syndical : en 1948, elle aide à créer une section locale de la CGT et commence à militer dans le Syndicat des Employés de Commerce (SEMPIBA). Cette position lui donne la possibilité de participer à des congrès de la Fédération des syndicats des Travailleurs de Madagascar (FISEMA), syndicat indépendant de la CGT, dont elle devient la secrétaire. Selon l’administration coloniale, elle était présente au Congrès Panafricain organisé par la CGT à Bamako en octobre 1951.
Un an plus tôt, en mai 1950, elle a fondé le Comité de Solidarité de Madagascar – FIFANAMPIANA MALAGASY, dont elle devient secrétaire générale. Taxée par l’administration coloniale d’être une organisation crypto-communiste, le Comité se réunit souvent au domicile de sa mère, où elle rencontre aussi des personnalités politiques étrangères de passage. Lors du premier congrès du Comité, en mai 1953, une délégation de l’Union des Femmes de la Réunion est présente. Ce sont les prémices d’une relation de longue durée avec les militants de l’île voisine dont l’avocat communiste Paul Vergès.
Dans le cadre de ses responsabilités militantes, Gisèle Rabesahala voyage beaucoup : à l’invitation de Pierre Boiteau, fondateur de l’Union CGT des syndicats de Madagascar elle participe à Pékin en décembre 1949 à la Conférence des femmes d’Afrique et d’Asie organisée par la Fédération Démocratique Internationale des Femmes (FDIF). Elle rencontre en Chine des membres du PCF et de la CGT : Jeannette Vermeersch , Marie-Claude Vaillant Couturier et Célestine Ouezzin Coulibaly, avec qui elle partage le voyage vers Pékin. En 1955, elle participe à la création du journal Imongo Vaovao, de tendance communiste, et entretient les relations entre le comité directeur du journal et le PCF. Imongo Vaovao devient bientôt l’organe officiel des partis indépendantistes. La même année, elle participe au Congrès mondial des Mères organisé par la FDIF à Lausanne, après avoir participé aussi au Congrès du Secours Populaire Français à Paris et au Conseil Mondial de la Paix à Helsinki. C’est au cours de ce dernier voyage qu’elle rend visite à Joseph Raseta, placé en résidence surveillée à Grasse. Elle représente aussi le Comité de solidarité de Madagascar dans les pays communistes d’Europe de l’Est, au Vietnam et à Cuba. En 1956, elle participe à la fondation du Comité d’Action Politique et Sociale pour l’Indépendance de Madagascar (CAPSIM) et à celle de l’Union du Peuple Malgache (UPM) dont elle devient secrétaire. Elle est élue au conseil municipal de la ville d’Antananarivo en 1956, sur la liste du Comité d’Entente et d’Action Politique (CEAP), composée par des membres de l’Union du Peuple Malgaches et du Front National Malgache. En 1958, elle fait partie des fondatrices du Antokon’ny Kongresin’ny Fahaleovantenan’i Madagasikara (AKFM) – le parti du Congrès de l’Indépendance de Madagascar - créé en réaction au referendum sur la Communauté française. Elle en devient secrétaire générale de 1962 à 1998. A l’échelle internationale, elle participe aussi au Congrès mondial pour le désarmement et la coopération internationale, mais elle ne se rendra pas au IVe Congrès de la FDIF à Vienne, où Madagascar est représentée par Mme Rasafindramisa – du syndicat des sages-femmes de Madagascar.
À partir de 1959, après avoir participé aux consultations politiques dans le cadre des négociations sur les accords de coopération franco-malgache, elle subit la répression contre l’AKFM organisée par le nouveau gouvernement Tsiranana. Après avoir été présente à la réunion du Conseil de la FDIF en 1960 à Varsovie, elle est empêchée de se rendre au congrès de la FDIF à Moscou en 1963.
Mais elle contribue malgré tout à la création d’un réseau afro-asiatique : elle est présente à la Conférence du Caire en 1958 au cours de laquelle est créée l’organisation de la Solidarité des Peuples Afro-asiatiques (OSPAA). Elle y rencontre les Camerounaises militantes de l’Union des populations du Cameroun (UPC), Marthe Ouandié et Marthe Ekemeyong. Elle est aussi présente à la IIIe Conférence de Solidarité afro-asiatique à Moshi (Tanganyka), en février 1963. En 1962, elle a contribué à la création du Comité Malgache pour la Paix et l’Amitié entre les Peuples impliqué dans les campagnes pour la paix au Vietnam.
Après l’indépendance de son pays, elle représente l’AKFM au Front National pour la Défense de la Révolution et est élue députée d’Antananarivo à l’Assemblée nationale. Ses bonnes relations avec le Parti Communiste Réunionnais la conduisent à participer au deuxième congrès de celui-ci en 1967. En parallèle, elle continue de militer au sein de la FDIF, participe notamment à son Congrès de 1975 à Berlin. Elle est présente à la IIe conférence sur la décennie de la femme à Nairobi, en 1985.
En 1977, elle devient la première femme ministre de Madagascar, en charge de la Culture et de l’Art révolutionnaire, un mandat qu’elle occupe jusqu’en 1991. Elle s’engage pour la vulgarisation de l’art et de la culture, en créant des bibliothèques et des maisons de la culture, en restaurant sites et monuments historiques. Son travail au ministère contribue aussi à la promotion de la littérature malgache. Son militantisme syndical continue : en 1976, lors de la scission de la FISEMA – la Fédération Syndicale des Travailleurs Malgache créée en 1956, elle rejoint le FISEMARE, dont elle reste membre d’honneur jusqu’à la fin de sa vie.
Elle continue par ailleurs de voyager, participe à la Conférence Mondiale sur les Politiques Culturelles organisée par l’UNESCO au Mexique en 1982 et se rend deux fois à Cuba : la première en 1980 pour une visite officielle, la seconde en 1990 invitée par la Fédération des Femmes cubaines. En 1993, elle participe aux élections de la première assemblée nationale de la IIIe République, coordonnant la liste de l’AKFM dans la circonscription d’Antananarivo, mais elle n’est pas candidate. En 2001, elle est nommée membre du Sénat par le président Ratsiraka et devient vice-présidente de l’institution. Lors de la crise gouvernementale du début des années 2000, pendant laquelle elle reste quelques semaines à la Réunion, elle achève son mandat de sénatrice. En 2009 elle est nommée dans le Ray Aman-dreny Mijoro, un comité de médiation formé des citoyens qui se sont distingués dans le domaine politique, culturel et social. Elle est décédée le 27 juin 2011 à Antananarivo, à 82 ans.
Par Pascale Barthélémy et Anna Nasser
OEUVRE : Rabesahala Gisèle, Que vienne la liberté ! Ho tonga anie ny Fahafahana !, La Réunion, Océan Éditions, 2006.
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Allen Philip M. et Covell Maureen, Historical Dictionnary of Madagascar, Lanham, Scarecrow Press, 2005. — Altius Ave, Joel Raveloharimisy, « Women’s Access to Political Leadership in Madagascar. The Value of History and Social Political Activism » Journal of International Women’s Studies, 17, 4, 2016. — Armstrong Elisabeth B., Bury the corpse of colonialism. The Revolutionary Feminist Conference of 1949, Oakland, University of California Press, 2023. — Barthélémy Pascale, Sororité et colonialisme. Françaises et Africaines au temps de la guerre froide (1944-1962), Paris, Editions de la Sorbonne, 2022. — Rabearimanana Lucile, « Femmes merina et vie politique à Madagascar durant la décolonisation (1945-1960) », dans ‘Mama Africa’, Hommage à Catherine Coquery Vidrovitch, Chanson Jabeur Chantal et Goerg Odile (éds), Paris, L’Harmattan, 2005. — Raberimanana Lucile, « Le pouvoir et l’opposition à Madagascar sous la Première République (1960-1972) », Revue Historique des Mascareignes, 2002, p. 17-30. — Spacensky Alain, « Regards sur l’évolution politique malgache 1945-1966 », Revue française de sciences politique, 17, 4, 1967, p. 668-688. — Waibel Germaine, « Les évènements politiques à Toamasina en 1958 », Revue Historique de l’Océan Indien, 2005, p. 350-362. — Archives nationales de France : Note du préfet, directeur de la sécurité extérieure de la communauté, Paris le 18 novembre 1960 : dossier 19920033/2, 2-2. — Archives du PCF, Archives départementales de Seine-Saint-Denis, dossiers 261 J 7/386 et 261 J 7/379 ; La documentation française, Les mouvements panafricains depuis 1958, 16 octobre 1964, n. 3128, p. 10 – 261 J 7 /387. — Archives de la préfecture de police de Paris : Note du 17 janvier 1950, 143 W 7 dossier 14273 ; Rapport de police du 17 janvier 1950, 77W3612, Dossier 359802. — Archives nationales du Sénégal : 21 G 581 ANS ; 17G 272 ANS. — Archives du Service Historique de la Défense (SHD) : Annexe à la Note sur la participation africaine au congrès de la paix de Stockholm, 4 juillet 1958, GR 10 R 346 ; Annexe à la notice d’information sur le IVe congrès de la FDIF, 1er juillet 1958 – GR 10 R 346. — https://histoireparlesfemmes.com/2016/11/14/gisele-rabesahala-avocate-des-droits-humains/ . — https://www.eces.eu/template/default/documents/Recueil%20sur%20la%20participation%20politique%20des%20femmes%20a%20Madagascar%20Version%20electronique.pdf . — https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/client/mdh/militaires_decedes_seconde_guerre_mondiale/detail_fiche.php?ref=1812929